La villa Bottin, au vieux pont de Sèvres

Nous poursuivons notre enquête sur les villas disparues de Billancourt avec cette maison que l’historien Penel Beaufin est le seul à évoquer brièvement dans son ouvrage de 1905. Il n’y donne qu’une seule indication : sa situation au 59 du quai de Billancourt, près de la rue du Vieux Pont de Sèvres. Avec ce seul indice et notre opiniâtreté habituelle, nous avons fini par la retrouver et reconstituer son histoire.

Après avoir parcouru nos photos anciennes, une première piste nous est apparue, de manière fugace, à droite, sur cette carte postale du début du siècle dernier, à courte distance du pont de Sèvres.

Notre intuition a été confirmée par ces photos de 1918 trouvées chez Renault Histoire. Aucun doute c’est bien elle. Voir ci-dessous :

Le style est classique, avec ses fenêtres à frontons et pilastres, le tout étant un peu monolithique. Le pignon est traité curieusement, à la manière d’un fronton grec orné d’une grand buste placé dans une ouverture circulaire. Les encadrements de fenêtres et les chaines d’angle en pierre de taille contrastent avec la brique claire, ils complètent l’élégance de l’ensemble.

Une des plus anciennes maisons de Billancourt

Nous ne savons pas bien de quand date la maison, on la voit nettement sur le panoramique de Le Deley pris depuis Meudon en 1903 et sur une photo de 1871, après le siège de Paris. On pense la reconnaître sur le tableau de Carle Vernet aux alentours de 1810 et sur celui de Hyacinthe Dunoy en 1821. Elle figure parmi les maisons du petit hameau qui s’est constitué au vieux pont de Sèvres, face à l’ïle Seguin. La vue est lointaine mais c’est probablement elle, si on regarde les volumes, l’orientation des toitures et l’emprise au sol qui reste inchangée d’un cadastre à l’autre. Ceci en ferait l’une des plus anciennes maisons identifiées de Billancourt après la ferme et les écuries du comte d’Artois.

La propriété

Les actes que nous nous sommes procurés nous révèlent que, vers 1918, outre cette grande maison bourgeoise avec caves et grenier, la propriété comprend également une construction à l’arrière, de deux étages, visible sur les photos, avec une cour, un cabinet d’aisances et un poulailler. Un potager occupe l’angle du quai et de la rue du Vieux Pont de Sèvres.

Du côté de l’entrée secondaire, au 237 de la rue de Vieux Pont de Sèvres, on trouve, derrière de hauts murs, diverses dépendances abritant une salle de billard, une écurie et un hangar. Le reste de la propriété est constitué d’une vaste terrasse ombragée et d’un grand jardin d’agrément comprenant un puits doté d’une pompe, commun avec les voisins. Le tout s’étend sur une superficie de 2 110 m².

« Villa Bottin », comme l’annuaire des PTT ?

« Bottin » vous fait probablement penser au mot « annuaire », y aurait-il un lien ? Oui. « L’almanach Bottin du commerce et de l’industrie » est une référence, au XIXème siècle, pour qui cherche des informations sur les commerces et industries à Paris et en région parisienne*. C’est l’ancêtre des « pages jaunes ».

Né en 1764, Sébastien Bottin est prêtre durant la révolution française. Il renonce à l’état ecclésiastique et occupe un nombre surprenant de fonctions administratives. Il est surtout connu comme statisticien. Il édite, chaque année, entre 1819 et 1853, son « Almanach du commerce de Paris et des principales villes du monde », qui donnera le nom générique de « bottin ». Après sa mort en 1853, l’entreprise est reprise par la famille Didot, une dynastie d’imprimeurs remontant au XVIIème siècle. Elle le rebaptisera « Annuaire Didot-Bottin » et publiera plusieurs annuaires spécialisés dont, à partir de 1903, le fameux « Bottin mondain » qui recense les personnalités du tout-Paris, encore aujourd’hui.

Mais, non, la « villa Bottin » n’était pas la résidence de Sébastien Bottin. La villa a été baptisée ainsi par son propriétaire Alfred Choisnet, ex-directeur des papeteries Firmin-Didot, président du conseil d’administration de l’annuaire Didot-Bottin, à la fin du XIXème siècle. Un choix étonnant.

La famille Choisnet

On ne connait pas grand chose des premiers propriétaires de la villa. On trouve un certain « Hypolite (sic) Ballée » au cadastre, dans les années 1860.

Alfred Charles Choisnet et son épouse Marie Euphrasie Constance Avenel acquièrent la propriété le 28 décembre 1879 auprès de la famille Alabarte, sûrement après une succession. C’est probablement à ce moment que la villa reçoit son nom. Ils ont alors quatre enfants, Georges, Gabrielle, Suzanne et Lucie qui épousera Henri Gustave Choinet (sans « s ») qui deviendra, lui aussi, directeur de l’annuaire Didot-Bottin.

Il semble que la villa ait été utilisée comme maison de campagne, leur adresse principale étant à Paris. Ils ne figurent donc sur aucun recensement. En 1901, on y trouve juste le concierge Achille Mariguet, son épouse Augustine et leurs deux enfants Léon et Augustine.

Petite annonce vente 1905
En 1905, Alfred Choisnet est âgé et propose la propriété à la vente dans les journaux par petites annonces, sans succès semble-t-il.

Alfred Choisnet décède en 1905 puis son épouse, en 1907. En 1908, leurs enfants héritiers cèdent leurs parts à leur sœur Lucie, alors veuve avec trois enfants.

Une association de lutte contre la « traite des blanches » devient propriétaire

Lucie ne conserve la propriété que deux ans seulement. Le 22 septembre 1910 elle la revend à l’ « Association pour la Répression de la Traite des Blanches et la Préservation de la Jeune Fille« . Elle décède deux ans plus tard à l’âge de 55 ans. Peut-être la villa prend-elle un autre nom ?

On ne sait pas bien ce que cette association, basée à Paris, fait de la Villa Bottin, peut-être a-t-elle l’intention d’en faire un refuge ? Cette société de bienfaisance, fondée en 1901 par le sénateur Henri Béranger, entend lutter contre ce qu’on considère à l’époque comme un fléau : l’enlèvement de jeunes femmes à leur famille pour alimenter la prostitution. Les victimes étaient attirées par des petites annonces alléchantes, abordées dans les lieux publics, leur promettant une vie meilleure. On les envoyait au loin pour servir d’esclaves sexuelles.

Dans un ouvrage de morale de l’époque on pouvait lire « Tu n’as probablement jamais entendu parler de la traite des blanches. Sache qu’il existe, dans tous les pays et dans presque toutes les villes, des gens qui, sous prétexte d’offrir de bonnes places aux jeunes filles, les emmènent et, en cachette, sans qu’elles s’en doutent, les vendent, tu entends bien, enfant… les vendent à des tenanciers de maisons de prostitution. On vend des femmes oui, comme autrefois on vendait les nègres ! ». On sait aujourd’hui que ce « fléau » n’avait pas les proportions qu’on lui prêtait.

La villa est achetée à prix d’or par Louis Renault

Le 14 juin 1918, la villa est vendue par le président de l’association, Louis Hennequin, à Louis Renault, toujours prompt à étendre son usine. Le prix de vente est astronomique : 300 000 francs, à comparer aux 55 000 francs déboursés par l’association huit ans plus tôt. Une belle plus-value !

Renault ne rase pas la villa immédiatement. Elle est toujours là en 1926 sur les photos aériennes mais on remarque un nouveau bâtiment construit à l’angle de la rue et du quai. Un plan de l’usine de 1928 montre que la villa est encore debout. Elle disparait complètement des photos aériennes en 1932 : le terrain est alors occupé par un grand atelier de l’ilot L.

Epilogue : 57 métal

En 1984, Renault fait bâtir à cet endroit un nouveau bâtiment baptisé « 57 métal ». Ce vaste hangar signé par l’architecte Claude Vasconi devait être la figure proue d’une nouvelle cité industrielle, « Billancourt 2000 », finalement abandonnée.

Des architectes de renom, dont Jean Nouvel, ont lutté contre la destruction de ce « chef d’œuvre de l’architecture industrielle » et ont obtenu gain de cause puisqu’il a finalement été classé.

Il été réhabilité en 2022, sous le nom « métal 57 ». Il abritera des bureaux de BNP Paribas.


* Au village de Billancourt nous nous y référons très souvent, comment croyez-vous qu’on trouve les noms des commerçants ?


Les villas disparues de Billancourt:

Les villas disparues de Billancourt

Villa Solferino carré
Villa 10 rue Solferino

Villa Renault
Villa Aussillous carré
Villa Aussillous
Villa Bican carré
Maison Bican


Villa Boitelle
Villa Bottin carré
Villa Bottin
Villa Caprice carré
Villa Caprice
Villa Casteja carré
Villa Casteja
Villa Damiens carré
Villa Damiens
Villa Tavernier carré
Maison de Tavernier
Villa prince polonais carré
Villa de la Feuillée
Villa Flora carré
Villa Flora
Villa Fountaine carré
Villa Fountaine
Villa Mauresque carré
Villa Mauresque
Villa Morel carré
Villa Marti – Morel
Villa Nouzillet-Clinch carré
Villa Nousillet-Clinch
Villa Rozier carré
Villa Rozier
Villa Toucy carré
Villa Toucy
Ferme carré
Ferme de Billancourt

Maison du prince polonais
Villa Boucher carré
Villa Boucher