Il est des personnalités qui nous ont touché par leur engagement désintéressé. L’abbé Joseph Gentil, premier curé de Billancourt, est de ceux-là. Cet article est un hommage.
Nous sommes en 1870, la guerre franco-prussienne s’est invitée aux portes de Boulogne-Billancourt. Les prussiens sont à Saint-Cloud et font le siège de Paris. Les ponts de Sèvres et de Billancourt ont été volontairement coupés pour arrêter l’avancée ennemie

La population qui le pouvait a déjà fui en province ou loué un logement dans Paris. Le curé de Billancourt a mis en sécurité ses 26 orphelines et leurs maîtresses dans un couvent à Chartres. Restent à Billancourt les familles pauvres de la paroisse. Elles appellent leur curé à l’aide.

Ce sont des mères ouvrières, blanchisseuses ou couturières, sans ressources, avec entre 3 et 6 enfants. L’abbé Joseph Gentil, prend alors la décision de les mettre en sûreté loin de Paris. Mais où ? Une ancienne paroissienne installée à Saint-Jean-d’Assé, près du Mans, lui a vanté le caractère charitable de ses habitants. Alors, va pour la Sarthe. Il en informe l’archevêché et la mairie qui lui donnent accord et encouragements.
Le 14 septembre 1870, Paris ferme ses portes, il n’est plus possible de s’y réfugier. Billancourt est pris en tenaille entre les prussiens et l’enceinte de Thiers. Le même jour, l’abbé Joseph Gentil et une centaine de paroissiens quittent à pied Billancourt et montent à la gare de Meudon Bellevue. Là, ils partent par les Chemins de Fer de l’Ouest, avant la fermeture de la ligne. Suite à un décret du gouvernement le transport est gratuit pour les évacués. Le voyage dure toute la nuit. Une fois parvenus à Saint-Jean-d’Assé, les réfugiés sont pris en pitié par la population. On leur apporte aussitôt réconfort, gîte et nourriture. Le curé de la ville coordonne les opérations de ses paroissiens.

Le 19 septembre, il part pour Chartres et ramène à Saint-Jean-d’Assé ses 24 orphelines. Il a regroupé toutes ses ouailles au même endroit.
L’abbé se démène pour ses protégés et fait en sorte qu’ils ne manquent de rien. Parti avec 3000 francs, il aura dépensé 40 centimes par personne et par jour, beaucoup de sa propre poche. Les réfugiés confient « n’avoir jamais été aussi bien nourris chez eux« .
Pourtant la vie n’est pas simple, même là ils se trouvent confrontés à des régiments prussiens de passage qui réquisitionnent logements et nourriture. Il raconte : « Messiers les prussiens n’eurent rien de plus pressé que de jeter brutalement dans le jardin de M. le curé les tables du réfectoire commun et dans la rue, les lits des petites orphelines« .
Le 5 octobre 1870, un vicaire devenu aumonier de deux bataillons de l’Aube lui écrit : « Votre pauvre paroisse est bien triste à voir, bien abîmée. Toutes les maisons ont été ouvertes et fouillées par presque tout le monde. Votre maison elle-même n’a pas été épargnée, votre bureau a été tout brisé ».
Puis c’est l’armistice, le 28 janvier 1871, la France a capitulé.


Les armes se sont tues. Le 3 février 1871 l’abbé revient seul à Billancourt, via Sèvres pour évaluer la situation. Après avoir traversé la Seine en bateau, il retrouve quelques paroissiens émus de le revoir : « C’est à peine si je les reconnaissais ! Tant ils étaient maigres, décharnés, pâles, et tant ils paraissaient épuisés ! Depuis un mois, ils avaient une nourriture insuffisante en quantité et détestable en qualité. Quinze jours de plus de ce régime, et ils seraient morts d’inanition« . Une femme venait de mourir la veille. Elle avait tiré sur des oiseaux dans son jardin, un prussien a pris les coups de fusil pour lui et a riposté.
Le 18 février, il ramène enfin ses 122 réfugiés à Billancourt, plus un bébé né là-bas. Ils auront passé cinq mois en exil. Tous sains et saufs. Il passe par le pont de Sèvres avec l’autorisation des allemands. Le retour est difficile : ils trouvent leur logement vandalisé. Ils n’ont plus que leur toit.
Mais les hostilités reprennent car, le 18 mars 1871, c’est l’insurrection : la Commune de Paris refuse de rendre ses canons. Le gouvernement d’Adolphe Thiers est contraint de se réfugier à Versailles.

Les troupes du gouvernement, appelées « Les versaillais« , tentent de reprendre le contrôle. Billancourt est à nouveau pris en tenaille, cette fois entre deux factions françaises ! Le 14 avril 1871, les fédérés de la commune de Paris envoient de grosses canonnades sur Billancourt. Le curé se réfugie dans sa cave. Billancourt est bombardé jour et nuit du 25 avril au 8 mai. Le 15 mai, une batterie versaillaise postée sur l’île Saint-Germain coule la canonnière « L’Estoc » qui croisait sur la Seine. Pendant l’insurrection, une centaine de maisons auront reçu des obus. Le curé s’affaire auprès des victimes.
Le 21 mai 1871, il assiste à l’entrée des versaillais dans Paris, par la porte du Point du Jour. Ce jour-là, l’abbé se charge de l’ambulance, accompagne les blessés et administre les derniers sacrements. Commence alors la « semaine sanglante » qui verra la Commune de Paris durement réprimée.

Une fois la guerre terminée, sa détermination ne s’éteint pas. Il doit aider ses protégés à survivre. Il écrit à l’un de ses correspondants : « Ne nous inquiétez plus sur notre sort, nous n’aurons plus d’autre ennemi que la misère« .
Joseph Gentil a consigné tout ce récit dans sa « notice sur l’émigration paroissiale de Billancourt« . Sa lecture vous touchera. Au-delà du témoignage historique, ce récit dévoile des qualités de cœur et un belle énergie au service des plus faibles.

S’il faut encore d’autres témoignages, en voici : avant son départ pour Saint-Jean-d’Assé, le maire adjoint de Boulogne lui avait dit « Vous rendez un service à la commune… Vous rendez service à la ville de Paris… si on avait fait en grand ce que vous faites personnellement en petit, il en serait résulté pour Paris un avantage considérable. Que Dieu bénisse votre entreprise ! »

Ajoutons qu’il avait fondé en 1867 à Billancourt un orphelinat pour jeunes filles, (celles qu’il a pu envoyer à Chartres durant la guerre). Il a transformé la petite chapelle de Gourcuff en une église digne de ce nom. Il a créé une école de garçons, puis une école de filles qui deviendront plus tard les écoles communales du groupe scolaire des Glacières, rue de Clamart. Il a créé également une association de charité qui distribuait des provisions aux pauvres l’hiver : cartes de pain, viande, combustibles, vêtements, secours de loyers, frais d’études. Il fonde aussi une société de secours mutuel pour les femmes, une autre pour confectionner des vêtements pour les vieillards et enfants pauvres, une bibliothèque et d’autres œuvres encore qu’il serait trop long de citer ici.
Il a, sans relâche, cherché et trouvé avec succès des subventions et donateurs pour financer ses œuvres. L’historien Penel-Beaufin n’hésite pas à écrire « Billancourt lui doit sa prospérité première ».
Joseph Christophe Mathieu Marie Gentil retourne à Dieu le 23 décembre 1880.
Et qui se souvient de lui, aujourd’hui ?
6 Replies to “L’abbé Joseph Gentil et ses 122 réfugiés de guerre”