La semaine dernière nous faisions connaissance avec l’une des plus grandes villas disparues de Billancourt. Aujourd’hui nous allons raconter son histoire.
Une des premières villas du Village de Billancourt.
Les premières cartes du Village de Billancourt nous montrent que cette propriété faisait partie des premières parcelles acquises. En 1830 elle semble limitée à la proximité du carrefour rue du Cours / rue de Saint Cloud. En 1834 la propriété semble s’être prolongée jusqu’à la place de l’Église (Bir Hakeim), pour, ensuite s’étendre sur la rue Nationale.

En 1860, on y trouve un certain Marie-Édouard Pinaud, parisien. La maison qui figure sur les plans n’est pas la maison définitive. Le baron Casimir de Gourcuff occupe l’ancienne ferme de Billancourt, de l’autre côté de la rue. Pinaud meurt à Billancourt en 1868.

La propriété est vendue en 1879 à Edgard de Porto-Riche. Il est banquier parisien d’origine bordelaise, et frère de l’écrivain et académicien Georges de Porto-Riche. C’est lui qui fait construire, en 1883, cette grande maison.
Il revend finalement la maison le 23 août 1886 à Thomas Taylor (ou Tayler pour l’état civil) Fountaine et Jacob Lehmann. Constitués en société civile, ces hommes d’affaires ont pour objectif de la revendre. Mais, changement de programme, en 1887, Lehmann revend finalement sa moitié à Fountaine. Ce dernier s’y installe avec sa famille. Il a alors 49 ans et y restera 26 années.
La grande famille de Thomas Taylor Fountaine
Né à Londres en 1838, on ne sait pas bien à quelle date et pourquoi il est arrivé en France (après 1851, c’est sûr). En 1878, il réside à Enghien et est déclaré comme commerçant. En 1891 et 1898 il est identifié comme « propriétaire ». Dans les recensements de 1896 à 1911, il est référencé comme « commissionnaire » (un homme d’affaire qui joue les intermédiaires pour d’autres personnes moyennant commission). En 1912, il sera identifié au cadastre comme « joailler ». Que croire ? A-t-il changé d’activité à ce point ?
Il est maître de la loge maçonnique anglo-saxonne de Paris. Il ne semble pas avoir pris part à la vie publique de Boulogne-Billancourt et n’est mentionné nulle part dans les ouvrages historiques de Penel-Beaufin ou Couratier.
Il entretient une relation entre 1874 et 1877 avec une jeune française, Joséphine Lottin (1848-1898). Elle lui donne quatre enfants qu’il reconnait et qui vivront avec lui. Raphaël sera peintre et Grégoire sculpteur. Aurore et Eléonore, comme Grégoire, se marieront à Billancourt en 1897 et 1898.


Puis Thomas Taylor se marie en Angleterre en 1879 avec une jeune Mary Ann Agnès Fountaine de 23 ans (probablement une cousine germaine). Il a, avec elle, d’abord deux enfants : Agnès (1880) et Bernard (1882). C’est alors qu’ils s’installent à Billancourt où nait son septième et dernier enfant, Albert, en 1887.

Sept enfants, il fallait bien une grande maison !
Nous n’avons trouvé à ce jour aucun portrait de lui, ni de sa famille. Trouvera-t-on des descendants* ? En 1891, les recensements nous apprennent que le couple habite la villa avec ses sept enfants et trois domestiques. Le parc est entretenu par Auguste Cantel, jardinier, et son épouse. Au fil des années les enfants se marient (probablement pas à l’église de Billancourt car ils sont anglicans). Le nombre de domestiques ne variera que très peu malgré le départ progressif des enfants.
Un grand passionné d’aviron
Thomas Taylor Fountaine a une passion qu’il partage avec nombre de ses compatriotes : l’aviron. Membre du Yacht Club de France, il possède un yacht à vapeur baptisé le « Nightingale ». Il est président d’honneur de la Société Nautique de la Marne depuis 1886, fonction qu’il assurera durant 31 ans. Il dote des courses en objets d’art, médailles d’or et d’argent et en sommes allant jusqu’à 10 000 francs. Une compétition porte son nom en 1906 : la coupe Thomas Taylor Fountaine. Elle persistera bien après sa mort.
Ce n’est peut-être pas un hasard si nombre de courses de rowing ont lieu devant l’île Seguin. Il n’a que quelques centaines de mètres à faire pour aller soutenir ses rameurs, à l’extrémité de l’Avenue du Cours (Émile Zola).



Le match annuel, à 8 rameurs, co-organisé par Fountaine, entre le Rowing Club de Paris et la SN de la Marne est une des grandes courses en France à l’époque. Elle se tient chaque année depuis 1880 entre la pointe de l’île Seguin et le pont de Suresnes.
Ce n’est peut-être pas un hasard non plus s’il possède aussi un petit terrain sur le quai, au numéro 32, où nous avons découvert un restaurant et un « Café de l’ïle Seguin » où les spectateurs peuvent boire un verre entre deux manches.

Les dernières années
Selon le recensement de 1911, habitent dans la Villa Thomas Taylor, 72 ans, son épouse, et leur dernier fils de 27 ans, Albert, « élève musicien » (décidément les garçons ont la fibre artistique). Les domestiques sont Lucy Wargny, Adolphine Badin, femmes de chambre, et la cuisinière France Péau. Le jardinier a changé, c’est Isidore Godard qui doit maintenant entretenir le parc. Le voisinage est de moins en moins agréable. En effet, de l’autre côté de la rue de Saint-Cloud (Yves Kermen) l’usine Renault a pris la place de l’ancienne ferme de Billancourt.

Thomas Taylor Fountaine meurt le 24 juillet 1913, dans sa grande villa de Billancourt à l’âge de 75 ans. Il devait présider une course d’aviron le dimanche suivant.
La propriété revient à son épouse, Mary Ann, et à ses enfants. Que faire de cette maison trop grande pour elle ?
La Grande Guerre éclate et l’usine Renault va prendre une ampleur insoupçonnée. Louis Renault se fait probablement pressant.
Renault s’empare de la villa en 1917.
La propriété est mise aux enchères. Elle est acquise le 26 mai 1917 par la société Renault Frères pour la somme d’un peu plus d’un million de francs. Nous avons eu accès à l’acte de vente. Dans le lot se trouvent également les 1500 m² du terrain du 32 quai de Billancourt. C’est la 163ème acquisition de l’industriel depuis 1902 et la plus grosse somme déboursée par celui-ci.


Au moment de la signature, Mary Ann Fountaine, 61 ans, a déjà un deuxième domicile au 12 bis boulevard d’Auteuil, aujourd’hui le stade Rolland Garros. Sans doute a-t-elle déjà fui la proximité de l’usine. On retrouvera Mary Ann, 80 ans, chez sa fille Agnès en 1936 à Paris, rue d’Aumale. Elle y meurt en 1948.
Le Cercle des Usines Renault
En 1919, Louis Renault installe dans la villa Fountaine son tout nouveau Cercle des Usines Renault créé le 29 octobre 1918. Le cercle a pour objectif de « permettre au personnel dirigeant de ses usines de se reposer, de se délasser en se divertissant, en dehors des heures de service ». Il en confie la présidence à M. Serre, chef du service des études. Le plan ci-dessous donne une idée des activités qui y sont proposées. À l’extérieur, les salariés peuvent jouer au tennis ou aux boules. Il y a également des garages pour autos et bicyclettes, une salle d’escrime, de boxe etc…



Mais Renault a toujours besoin de place. Le parc est sacrifié vers 1925, remplacé par un premier atelier. Les abords de la villa et les écuries sont préservés.

En 1932 tout est rasé, il ne reste plus rien. Tout le triangle de rues est occupé par un bâtiment industriel géant qui abritera le service de livraison des voitures. Le Cercle des Usines Renault a déménagé dans la Maison du Prince Polonais, à 300 mètres de là, à l’angle de la rue Heyrault et de la route de Versailles (Général Leclerc). Tiens, tiens, la sœur jumelle de la Villa Fountaine.
Ainsi s’achève notre enquête sur l’une des toutes premières propriétés du Village de Billancourt.
Retour à la vocation résidentielle
Deux ans avant la fermeture définitive de l’usine, soit en 1990, on construit un grand ensemble résidentiel. Peut-être est-ce chez vous ? Il est parcouru par des allées desservies par une nouvelle place semi-circulaire: la place Paul Verlaine. À l’extrémité s’installe le restaurant pakistanais Kayani que les résidents du quartier connaissent bien.

C’est l’un des premiers terrains Renault à être réhabilités et l’amorce d’un changement d’ère pour Billancourt.
* Le maire de La Rochelle et ancien régatier Jean-François Fountaine est-il un descendant ?
Les villas disparues de Billancourt:
Villa 10 rue Solferino | Villas de la famille Renault |
Villa Aussillous | Maison Bican |
Villa Boitelle | Villa Bottin |
Villa Caprice | Villa Casteja |
Villa Damiens | Maison de Tavernier |
Maison du prince Polonais | Villa Flora |
Villa Fountaine | Villa Mauresque |
Villa Marti – Morel | Villa Nousillet-Clinch |
Villa Rozier | Villa Toucy |
Ferme de Billancourt | Propriété de lady Hunlocke |
