La guinguette du Robinson et le passeur Meunier

L’île Robinson mentionnée sur cette carte postale du début du XXème siècle n’est pas une île, mais le nom d’un bal-restaurant situé à la pointe amont de l’île de Billancourt, devenue île Saint-Germain. Ce bal du « Petit Robinson » ou du « Ballon de Pierre » était la propriété de madame Husset. Il attirait, le dimanche et à la belle saison, les promeneurs parisiens qui descendaient les berges depuis le Point-du-Jour.

L’allusion à Robinson Crusoé n’est évidemment pas fortuite, l’isolement et le pittoresque sont évidents. Elle fait sûrement écho au « grand Robinson », célèbre guinguette créée en 1848 au Plessis-Piquet et qui donnera son nom à la ville.

Le Pont d’Issy n’existe pas encore et un passeur du nom d’Edouard Meunier, également pêcheur, fait la navette depuis la rive de Billancourt.

Le dessinateur Auguste Lepère (1849-1918) nous a laissé d’autres témoignages de ce passeur. À en juger par l’un de ses dessins, il avait un air bien peu engageant…

Les exploits du passeur Meunier

Ce passeur, s’est rendu célèbre pour de nombreux sauvetages, depuis 1859 : Un jour il sauve le jeune Schmidt qui allait se noyer. En 1880, il sauve le soldat Letard qui voulait se suicider, au viaduc d’Auteuil. En 1885 il tire de l’eau le fils Noël, rue des Peupliers. En 1888 il sauve le sieur Thomas, pris dans les hautes herbes de la Seine.

Et ce n’est pas tout. Le Petit Journal du 1er août 1869 nous raconte un double exploit :

Les dimanches parisiens

Sur une note plus gaie, on retrouve le petit Robinson dans « les dimanches parisiens, notes d’un décadent« * de Louis Morin, publié en 1898. Dans ce roman, le narrateur et sa pétillante amie Pompon, après avoir longé la berge depuis le Point du Jour, cherchent à se joindre à une noce partie vers le Robinson avec le passeur :

« ..Pompon avait trouvé pour chacun le petit compliment qui devait lui aller tout de suite au cœur, et c’est en vieux camarades que nous débarquâmes au Robinson de Billancourt. Toute la noce accostait, et nous fumes présentés tout de suite aux vingt et quelques personnes qui la composaient, car les cousins voulaient absolument, en gentilshommes bien élevés, nous offrir un verre. Le verre n’était pas pris que toute la noce était dans les filets de Pompon, et la tournée de liqueurs supérieures que nous offrîmes fit des amis inséparables du coiffeur et de la fleuriste, et des ébénistes, charcutiers, femmes de ménage, couteliers, herboristes et cordonniers qui composaient la bande.« 

« Cette bande manquait d’un boute-en-train. Voici Pompon qui entraîne tout le monde, organise une sauterie sous les arbres, installe sur une table le papa ravi et son accordéon; elle forme les quadrilles, entraîne à son bras le petit soldat, confus, enchanté, et qui va oublier son regard noir et la défense de l’honneur de la famille ; elle fait ouvrir la danse par le marié et la mariée, mis d’autorité au bras l’un de l’autre et qui ne se quitteront plus; à moi-même, elle me fait danser un cavalier seul qui doit être la chose la plus drôle du monde, à cause de mon manque d’habitude, car je la vois rire de bon cœur. « 

« Je fais tout ce que je peux pourtant pour me souvenir des gestes que j’ai vu faire dans les bals publics : accroupi, j’écarte les genoux et les rapproche dans un joli battement, je pique des entrechats vertigineux, je saute alternativement d’un talon sur l’autre, dans une course à fond de train sur place qui ne doit pas manquer de grâce, j’alterne le saut en avant et le saut en arrière en bat tant des bras repliés comme des ailerons; je termine enfin par une culbute qui ne réussit malheureusement pas tout à fait et au cours de laquelle je m’étale piteusement sur le côté comme un canard amoureux.
Mais la glace est rompue, tout le monde est mis en joie, nous aussi. »

La famille Meunier et le « bon pêcheur »

Le passeur Edouard Meunier décède en 1892 et a cédé la place à son fils Jules, pêcheur également. Jules Meunier s’était déjà converti dans ce qu’on savait faire de mieux en bord de Seine : tenir une guinguette. Son restaurant « Au Bon pêcheur » est idéalement situé juste en face de l’ancien débarcadère de son père.

La construction du pont d’Issy en 1910 met un terme au bal du Petit Robinson et à l’activité de passeur. Jules, 67 ans, a pris sa retraite et confié les rênes du « Bon pêcheur » à son fils, Emile. Celui-ci perpétuera la tradition de son grand-père en devenant président fondateur des Sauveteurs Mariniers et des Joutes Parisiennes et Lyonnaises. Il fondera une école de natation qui durera jusqu’en 1939.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui… comme dire…avec le pont d’Issy posé en travers, on peine à imaginer l’atmosphère de l’époque.

Pont d'Issy 2020
Le Pont d’Issy en 2020

Au passage, saviez-vous que l’île de Billancourt était sur le domaine de Billancourt, comme son nom l’indique ? Nous l’avons perdue en 1808, mais c’est une autre histoire.


* les dimanches parisiens, notes d’un décadent. Louis Morin. Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1521951n

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