Avant l’époque Renault, Billancourt était un lotissement résidentiel pour parisien aisé, créé par Casimir de Gourcuff en 1836 sous le nom de « Village de Billancourt ».
On s’installe à Billancourt pour se reposer en famille le dimanche, loin des bruits de Paris, profiter de la verdure et se promener sur l’avenue du Cours bordée de tilleuls (devenue avenue Emile Zola). On peut y croiser Alfred Sisley et son chevalet, au bord de la Seine.
Entre 1836 et la fin du XIXème siècle, on y construit des dizaines de maisons de campagne, entourées de jardins. On pense au Hameau Fleuri, à la villa Flora, à la villa de la rue de Meudon, à la Maison Bican, ou à la villa Mauresque, étonnantes villas que nous avons toutes déjà évoquées dans ce blog.
Et puis, à la fin du XIXème siècle, avec l’essor du train notamment, Billancourt n’est plus à la mode, les parisiens s’éloignent davantage vers la mer, notamment, Deauville ou Trouville. Puis c’est l’arrivée de l’usine Renault, bien sûr, qui chasse les derniers propriétaires, parfois contre leur gré. Les jardins laissent progressivement la place aux ateliers, les villas aux hôtels meublés. Au début du XXème siècle, Billancourt devient une ville ouvrière.

Toutes ces maisons disparaîtront, sauf une. Coll : Pleskoff
Ne reste-t-il vraiment plus rien de ces propriétés ? Si, il en reste une, la villa de la rue de Solferino. C’est la dernière !
Aviez-vous remarqué cette maison, au numéro 10 ? Peut-être pas. La rue n’est pas très passante et la villa se cache derrière de hautes grilles opaques. Je suis moi-même passé devant pendant des années, deux fois par jour, sans la remarquer. Pourtant beaucoup d’anciens du quartier la connaissent car elle a été, jusqu’en 1998, le cabinet médical du docteur Michel Pleskoff.
Cachée derrière sa grille noire, le regard est guidé vers le dernier étage, sur une grande baie vitrée arquée, coiffée d’un pignon. Elle longe un large balcon rentrant, aux rambardes de pierre ouvragées et encadré par des pilastres. Les lambrequins de toit ajourés, typiques des maisons de campagne de l’époque, complètent harmonieusement l’ensemble.

La façade est parfaitement symétrique. Les deux autres étages, sont soutenus par des murs de briques alternant avec des blocs de pierre taillée. Un perron, portant l’année de construction, dessert le rez-de-chaussée.

D’une superficie de 300 m² sur trois étages, elle fait face à un grand jardin planté d’arbres et dans lequel on trouve la trace d’un ancien puits. Le petit bâtiment à droite de l’entrée abritait une petite écurie.
Désireux d’entrer en contact avec le propriétaire, nous avons glissé un mot dans sa boîte aux lettres. Sa réponse ne s’est pas fait attendre et un premier rendez-vous est pris. Nous avons été formidablement bien accueillis. Après une visite guidée, nous sommes repartis avec beaucoup d’informations, des documents et des photos de famille.
La villa est classée à l’inventaire Mérimée depuis 1992, sous la référence IA00119949. Elle figure dans certains ouvrages sur l’architecture à Boulogne-Billancourt.
Avec ces informations et l’aide des archives municipales, nous avons reconstitué son histoire. La voici :

Le 18 juin 1864, Aimé Henri Maillet et son épouse Perpétue Marion du Mersan, parisiens, acquièrent, à l’occasion de leur mariage, un terrain à bâtir au 10 de la rue de Solferino auprès du Comptoir de Crédit Bonnard, alors propriétaire de la quasi-totalité de l’ancien terrain de la ferme de Billancourt. En 1866, les Maillet bâtissent sur ce terrain la maison qui existe aujourd’hui. L’architecte est malheureusement inconnu. Cette année-là, Napoléon III règne sur les français, Paris s’est agrandi en absorbant ses faubourgs et Offenbach fait la première de « La Vie Parisienne« . Billancourt est rattaché à Boulogne depuis 6 ans seulement.
Au décès d’Aimé, en 1892, puis de Perpétue en 1893, leurs sept enfants héritent de la maison, puis la mettent en vente. Elle est acquise aux enchères par Raoul Fano, un courtier en objets d’art, pour le compte de sa mère Henriette Louis Caroline Fano née Hübotter. Elle y vivra avec son mari Emmanuel Fano, sans profession.

Au décès d’Henriette, en 1907, la maison revient à son fils Raoul, son mari et son autre fils Charles, renonçant à la succession. Le mari décède à son tour en 1912, puis Raoul en 1944. La maison revient alors à Charles en 1946.
Charles Fano est courtier en objets d’art. Ses sculptures peupleront longtemps la maison. Des photos de lui le présentent dans un atelier qui n’est probablement pas rue de Solferino. On sait qu’il habitait à Paris, rue Saint-Georges.

Faisons maintenant un saut en arrière de quelques années. Léon Pleskoff est un ancien combattant de 1914-1918, décoré pour acte de bravoure. Avec son épouse Louise, ils ouvrent une boulangerie au 33 bis, rue Nationale, en 1929. Ils ont deux enfants Michel et Jean. Léon décède en 1933, laissant la boulangerie à Louise. Le quartier, peuplé de familles et d’ouvriers Renault, connait bien sa boulangère et l’apprécie.

Après la guerre, Louise cherche une maison dans le voisinage, près de sa clientèle. Elle pense à son fils Michel, qui fait ses études de médecine et qui aura besoin d’un cabinet. La villa de la rue de Solferino est alors inhabitée et en mauvais état. Elle retrouve le nom du propriétaire, Charles Fano, devenu un homme seul et affecté par le décès de son épouse. Les deux se lient d’amitié. La vente est conclue, Louise devient propriétaire en 1952. Charles quitte Paris et finit ses jours à la villa, dans une chambre du rez-de-chaussée. Il y meurt en 1954.

Devenu médecin, Michel Pleskoff ouvre son cabinet médical au rez-de-chaussée de la maison. Il y exercera 40 années. Combien de ses patients, alors qu’ils traversent le jardin vers la salle d’attente, se doutent du caractère unique de cette maison ?
Le 10 septembre 1998, Louise Pleskoff décède, elle a 90 ans. Le docteur ferme son cabinet et prend sa retraite ailleurs. En 2001, il passe la maison à son fils Olivier, qui l’occupe aujourd’hui.

Pourquoi la villa de la rue de Solferino a-t-elle été préservée ?
Aucune certitude mais on peut constater que, contrairement à beaucoup d’autres, la villa est située à l’écart des usines Renault et Salmson, les nuisances y étaient sans doute réduites. Et c’est probablement grâce à cette situation que les industriels n’ont pas convoité le terrain.

Photo : le Village de Billancourt.
Le 10 rue de Solferino a échappé à la démolition. Et c’est heureux car il reste le tout dernier témoin d’une page bien peu connue de notre histoire, le Village de Billancourt.
Les villas disparues de Billancourt:
![]() Villa 10 rue Solferino | ![]() Villas Renault | ![]() Villa Aussillous |
![]() Maison Bican | ![]() Villa Boitelle | ![]() Villa Bottin |
![]() Villa Caprice | ![]() Villa Casteja | ![]() Villa Damiens |
![]() Maison de Tavernier | ![]() Maison du prince Polonais | ![]() Villa Flora |
![]() Villa Fountaine | ![]() Villa Mauresque | ![]() Villa Marti – Morel |
![]() Villa Nousillet-Clinch | ![]() Villa Rozier | ![]() Villa Toucy |
![]() Ferme de Billancourt | Propriété de lady Hunlocke |

Exceptionnel !
Patrick Monnerot-Dumaine
J’aimeAimé par 1 personne
Bravo pour votre blog et vos « enquêtes »!
C est passionnant de découvrir notre ville, son histoire, ses habitants à travers vos articles ! Continuez !!
Mille mercis!
J’aimeAimé par 1 personne
Très belle villa chargée d’histoire. Je suis admirative de vos enquêtes, photos et documents à l’appui …merci beaucoup de nous raconter avec autant de talent notre ville.
J’aimeAimé par 1 personne