Quand Billancourt disparait de la carte

Non il ne s’agit pas d’une des nombreuses crues de la Seine, mais un projet fou : une immense rade en aval de Paris, qui engloutit tout Billancourt.

L’idée nait en 1805 dans l’esprit d’un certain Naudy Perronet, dont on ne sait pas grand chose. Il publie ce projet tardivement en 1825 dans son ouvrage « Projet pour transformer la plaine de Grenelle en une naumachie* (rade) qui serviroit à l’instruction de l’école polytechnique« , ouvrage dont cette carte est tirée.

Le projet reprenait une idée déjà évoquée par d’autres, de créer près de Paris un espace de manœuvre pour les navires d’un école polytechnique à créer. Il le situe sur la plaine de Grenelle (aujourd’hui le XVème arrondissement) qui était était à l’époque peu peuplée.

Il l’inscrit dans le cadre d’une autre projet de cité impériale incluant le Palais du Roi de Rome voulu par Napoléon pour son fils, sur la colline de Chaillot, un projet abandonné également.

Dans le chapitre 3 de son ouvrage, Perronet s’ adresse à l’empereur lui- même « Ce projet peut paroître extraordinaire et inexécutable à tout autre qu’à Votre Majesté, mais pour exiger de grands travaux, il n’est pas impossible, et votre règne nous apprend que rien n’arrête l’élan du génie ». Le génie de Perronet ?

Observons ce plan. Billancourt est intégralement sous l’eau, tout comme les iles Seguin et Saint-Germain, ainsi que la moitié du XVème arrondissement actuel. Issy est aussi amputé d’une grande partie de son territoire. Le village de Boulogne, lui, est inexplicablement épargné. Une baie sépare les villages d’Auteuil et de Passy.

Mais le grand miracle est en haut à droite : Un canal vers le Havre gravit hardiment le coteau de Meudon, haut de 150 mètres !

L’ouvrage de Perronet fait l’objet d’une critique acerbe dans le numéro du 14 août 1825 du « Journal des débats politiques et littéraires«  .

Journal des débats politiques et littéraires 14 août 1825 – Gallica

Dans son introduction le journaliste nous prépare : « l’audace des inventeurs, l’étendue gigantesque de leurs conceptions, leur mépris pour tous les obstacles,…. indiquent dans les esprits une singulière exaltation qui doit produire ou de véritables prodiges, ou des folies bien dispendieuses et bien ridicules ».

« l’auteur veut noyer la ville naissante de Grenelle, et voir des frégates louvoyer autour du cap d’Auteuil et dans le golfe de Vaugirard« .

Il évoque également Boulogne : « Les arbres qui ombragent la jolie route de la Reine vont se transformer en corvettes, en bricks, en sloops, en lougres, en chaloupes, en canots on en yawls; Sèvres ne communiquera plus par terre avec la capitale, il n’aura plus de pont; ni ancien, ni nouveau qui le croiroit? »

Il continue par une série d’objections mettant en lumière l’impossibilité du projet. « Je pense fermement, que l’isthme de Panama sera percé, et que les océans Atlantique et Pacifique feront leur jonction, avant qu’on ne voie des vaisseaux mexicains, péruviens ou colombiens amarrés aux grilles de notre Ecole-Militaire. » (le canal de Panama sera ouvert en 1914)

Le journaliste termine son article en qualifiant le projet d’ « ouvrage somptueusement stérile et puéril dans sa grandeur« , et d’ironiser : « …mais en revanche, que de compensations ! Comme on retranchera la portion de terrain qui me sépare du bord de l’eau, je pourrai pêcher par ma fenêtre« .

Perronet raconte avoir présenté son projet à l’empereur dès 1811. Laissons à Napoléon le dernier mot : « L’idée est bonne et l’intention excellente, mais il faut que cela passe par les mains de maîtres expérimentés ». Comprendre : « c’est du travail d’amateur« .

Naudy Perronet, lui, est tombé dans l’oubli.

Voir également l’excellent article de nos voisins d’Issy-les-Moulineaux.

*Une naumachie désigne littéralement un spectacle de combat naval.

One Reply to “”

  1. Heureux de vous retrouver avec toujours autant d’histoires totalement méconnues à nous faire découvrir.
    Concernant celle-ci, peut-être que Naudy Perronet s’est inspiré pour son projet de canal traversant la colline de Meudon, d’un célèbre perceur de canal, Pierre-Paul Riquet qui lors de la construction du Canal du Midi entre 1666 et 1681, a fait traverser la Montagne Noire par le canal avec un dénivelé de 48 mètres au plus haut. Au passage Pierre-Paul Riquet avait émis le projet d’alimenter le Château de Versailles en eau par un canal en provenance de la Loire !
    Alors, peut-être que Naudy Perronet s’est dit qu’avec l’avancée des techniques, c’était réalisable.
    Thierry

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