La déchéance d’une voie royale

C’est une rue comme les autres, à Billancourt, et pourtant la rue du Vieux Pont de Sèvres a connu un siècle et demi de gloire.

Louis XIV fixe sa résidence à Versailles et, pour la lier à la capitale, il ordonne en 1684 la construction d’un pont entre Billancourt et Sèvres, le vieux pont de Sèvres. Pour accéder à ce pont il faut emprunter le chemin de la Ferme de Billancourt, aujourd’hui rue du Point du Jour, mais cette route est peu carrossable et peu adaptée, étant essentiellement fréquentée par les habitants de la Ferme.

Louis XIV ordonne qu’une nouvelle route soit tracée depuis Auteuil. Elle est large de 30 mètres, bordée d’arbres et plus directe, c’est notre rue du Vieux Pont de Sèvres. Sur les cartes de l’époque on la désigne par « Grande Route de Versailles à Paris ».

On trouve également sur les plans les noms d’ « avenue du Pont de Sèvres » ou « Route de Paris à Bayonne ».

Le tableau de Carle Vernet, ci-dessous, pris des hauteurs de Brimborion, montre à quel point la route de Versailles était un axe majeur.

Le vieux pont de Sèvres est détruit au début du XIXème siècle, sur décision de l’empereur Napoléon. Un nouveau pont, est construit plus en aval, c’est l’emplacement du pont actuel. Pour le desservir, un nouvel axe est percé : la future avenue du général Leclerc. La route Royale devient alors inutile.

En 1825, la rue du Vieux Pont de Sèvres est reléguée du statut de route royale à celui de simple chemin vicinal. Sa largeur est réduite, par le préfet, de 30 à 13 mètres. L’excédent est proposé aux riverains qui ne se bousculent pas pour le racheter. On arrache les arbres, comble les fossés, descelle les pavés qu’on distribue gratuitement aux habitants de Boulogne pour leurs propres caniveaux. Trente ans après, on la repave et on fait peser les frais sur riverains qui protestent en arguant qu’elle était déjà pavée. La municipalité répond avec aplomb qu’elle ne l’avait jamais été.

On la renomme « rue de la Vieille Route de Sèvres » en 1837, puis « rue du Vieux Pont de Sèvres » lors de l’annexion de 1860.

La rue du Vieux Pont de Sèvres est celle qui a connu le plus de victimes lors des bombardements de 1942 et 1943. Notamment, 80 personnes moururent étouffées ou noyées dans les caves de leur immeuble par les eaux du gazomètre voisin, touché par une bombe.

Aujourd’hui, elle semble partir de nulle part et n’aboutir à rien. Elle n’a plus rien conservé de sa largeur et de ses arbres.

Passants qui empruntez notre rue du Vieux Pont de Sèvres, la prochaine fois, souvenez-vous qu’elle a longtemps transporté la couronne de France.

Photo d’en-tête : la rue du Vieux Pont de Sèvres, vue de la rue Thiers. Collection : Jean-Pierre Lebaillif.