Quand Billancourt voulait devenir une commune indépendante

Et si le baron Haussmann avait dit « oui » ?

Jusqu’à la révolution française notre village de Billancourt dépendait administrativement de la seigneurie d’Auteuil, puis, jusqu’en 1859, de la commune d’Auteuil. Que s’est il passé en 1860 ? Pourquoi et comment Boulogne et Billancourt sont devenus une seule et unique commune ?

Revenons 20 ans auparavant, en 1840. Adolphe Thiers, président du conseil des ministres de la Monarchie de Juillet, décide la construction d’une nouvelle enceinte autour de Paris, sur le tracé du périphérique actuel. Pensée pour protéger les zones urbanisées, ces fortifications passent au niveau de la porte de Saint-Cloud actuelle, séparant en deux parties le territoire de la commune d’Auteuil.

20 ans plus tard, le 16 juin 1859, une loi décide, sous la pression d’Haussmann, préfet de la Seine, d’agrandir Paris, jusqu’alors ceinturée par le mur des Fermiers Généraux (la zone rose sur la carte), jusqu’aux limites de l’enceinte de Thiers. Paris annexe ainsi 11 communes parmi lesquelles Vaugirard, Grenelle, Belleville… et la commune d’Auteuil, qui disparaît administrativement. Pour que tout Paris soit dans les fortifications, on coupe la partie d’Auteuil qui se trouve hors de l’enceinte. Notre Billancourt, avec ses 386 hectares et ses 1800 habitants, se trouve donc orphelin. Que va-t-on en faire ?

On donne finalement Billancourt à Boulogne-sur-Seine, sa voisine, en compensation, probablement, de la perte du quartier du Fond des Princes :  cette zone qui contient aujourd’hui le stade Rolland-Garros et les serres d’Auteuil. Cette zone, en vert sur notre carte, devient alors propriété de Paris (déjà propriétaire du Bois de Boulogne depuis 1852).

Mécontentement et velléités d’indépendance

1860 cession de Billancourt à Boulogne
Sur un dessin d’Honoré Daumier – BNF

Le projet d’annexion de Billancourt par Boulogne fait grincer des dents. Dès février 1859, des habitants de Billancourt rédigent et signent une pétition refusant leur rattachement à la commune de Boulogne, considérant que leur « intérêts seraient sacrifiés ». Ils réclament même la création d’une commune séparée ! En voici le texte :

« Nous soussignés habitants et propriétaires de la portion de territoire de la commune d’Auteuil, lieu dit Billancourt, conformément à l’article 2 du décret du 2 février 1859, faisons les observations suivantes :

La portion retranchée de la commune d’Auteuil, lieu dit Billancourt, bornée au nord par la commune de Boulogne, au sud par la Seine, à l’est par les fortifications, à l’ouest par le pont de Sèvres, occupe une surface de 250 hectares environ.

Elle se couvre, chaque jour de nouvelles constructions. Elle est percée et se perce chaque jour de nouvelles et belles voies en cours d’exécution. Elle est dotée d’un plan d’ensemble, d’une église et d’une école. Ses rapports journaliers sont et ont toujours été avec Paris et Sèvres, et non avec Boulogne. La loi d’attraction est avec Paris, via la route impériale n°10 (av Leclerc et Vaillant) et le Point-du-Jour. Les rapports journaliers de Boulogne sont avec le Pont de Saint-Cloud et sa loi d’attraction avec Paris se fait sentir par un point d’Auteuil autre que celui de Billancourt.

Il y a donc contrariété d’intérêts :

1) À réunir Billancourt à Boulogne. Les intérêts des habitants de Billancourt, dans le cas de réunion, seraient sacrifiés.

2) À ne pas constituer Billancourt en une commune distincte, cette portion retranchée d’Auteuil formant un groupe de population et un centre d’agglomération.

Fait à Billancourt les 23 et 24 février 1859″.

La pétition porte une centaine de signatures. Ça peut paraître peu, mais c’est à l’époque 10% de la population adulte de Billancourt.

Ils ne sont pas entendus. Leurs arguments sont pourtant justes : à l’époque Billancourt a bien plus de relations avec Paris et Sèvres qu’avec Boulogne. 

On leur rétorque que la faible population de Billancourt (1800 habitants) ne justifie pas la création d’une nouvelle commune. Mais ce motif est fallacieux car à l’époque bon nombre de communes du département de la Seine sont encore moins peuplées. Les véritables motifs (peut-être l’indifférence, comme le suggère l’historien Couratier) ne sont pas connus.

Il faut noter que les édiles de Boulogne ne voient pas, non plus, cette annexion avec enthousiasme car Billancourt nécessite de nouvelles dépenses d’aménagement et rapporte bien peu de ressources. La décision d’Haussmann est acceptée presque passivement.

La délimitation administrative entre Boulogne-sur-Seine et Billancourt, originellement située à la rue du Vieux Pont de Sèvres, est fixée à la rue de la Plaine (aujourd’hui rue Gallieni).

Comme on pouvait le craindre, Billancourt sera longtemps négligée, au grand dam de ses habitants, le nom même de « Boulogne-Billancourt » ne sera officialisé qu’en 1925 ! Billancourt ne sera vraiment considérée par la municipalité de Boulogne que lors de l’essor de l’industrie et de sa population au début du XXème siècle.

Et si Haussmann avait dit « oui » en 1859 ?

Et si la réunion n’avait finalement pas eu lieu ? Notre commune se serait appelée Billancourt-sur-Seine, sans doute, car il existe déjà un « Billancourt » dans la somme. Nous aurions probablement une mairie sur la place Jules Guesde, un théâtre ou une salle des fêtes sur le boulevard Jean-Jaurès, une association sportive peut-être baptisée « ACB ». Le projet d’aménagement de notre île Seguin aurait peut-être connu moins de difficultés ? Qui sait ? Et nous ne serions pas « boulonnais » mais « billancourtois » !

Alfred Renault aurait tout de même acheté sa maison de campagne chez nous et laissé son fils Louis jouer avec les outils dans la cabane au fond du jardin… avec les mêmes conséquences…

Une nouvelle pétition en 1898

La lecture des délibérations du conseil municipal du 14 février 1898 nous a réservé une nouvelle surprise. Le conseiller Laloge y rapporte qu’un « opuscule répandu dans la ville, il y a deux mois environ, traitait de la question de la séparation de Boulogne et de Billancourt » et que « des pétitions tendant au même résultat » circulent en porte à porte.

Pour se prémunir contre le succès de cette pétition, il fait voter au conseil la proposition suivante « Le Conseil proteste contre la séparation de Boulogne et de Billancourt« . La proposition est adoptée mais rencontre tout de même une voix contre et 10 abstentions sur les 23 votants.

Cette pétition et ces abstentions donnent la mesure du malaise qui persistait encore, près de 40 ans après, entre les deux parties de Boulogne-Billancourt, y compris au sein même de la municipalité.

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