La villa Rozier de la rue de Meudon, enfin dévoilée

C’est quand on ne cherche plus qu’on finit par trouver. Il y a quelques jours, en parcourant un site de vente de cartes postales anciennes, mon œil est attiré par cette carte inconnue. « Une villa à Billancourt« , dit simplement la légende. Aucune indication de rue, ni de mention d’éditeur. Juste une date d’oblitération: 17 octobre 1900. C’est une photo prise manifestement depuis le jardin, donc sûrement privée, et utilisée comme carte postale (donc une carte-photo).

Soudain je réalise que la toiture, à gauche, m’est familière. Serait-ce la villa de la rue de Meudon, sur laquelle nous avions publié un article en juin 2020 ? Une maison dont nous n’avions jusqu’à présent que des vues médiocres, masquées par les arbres ?

La villa, telle que nous la connaissions en 2020.

Vérification. Oui, c’est bien elle ! C’est bien sa façade sur la rue avec son toit pentu et sa fine ferme caractéristique. L’une des villas du Village de Billancourt s’offre enfin entièrement à nos yeux. Petit plaisir d’historien !

Maintenant que nous pouvons la voir toute entière, que peut-on en dire ?

Architecturalement, elle présente bien des attributs de son époque : style régionaliste, épis de faîtage, toits à double pente et à ferme apparente cintrée, posée sur des consoles. La partie arrière et le sous-sol sont en pierre meulière. Côté jardin, la façade, décorée de motifs en céramique, présente un avant-corps élégant coiffé d’un pignon à double pente et soutenu par de fortes colonnes. La porte d’entrée vitrée est surmontée d’une marquise. Les ouvertures sont de styles variés. Devant le perron on découvre un puits étroit aux ferronneries finement ouvragées. sur la droite on devine un petit kiosque.

C’est l’occasion d’en dire davantage sur cette villa, car depuis l’année dernière, nous avons recueilli d’autres informations, aux archives municipales ou nationales et ailleurs.

Nous avons retrouvé son architecte : M. Collin, résidant rue Blanche à Paris (le même Collin que pour l’immeuble du 34 rue Yves Kermen ?).

Les cadastres antérieurs à 1882 ne mentionnent sur cette parcelle qu’un terrain non bâti. La maison apparaît pour la première fois sur le cadastre de 1882, au 8 rue de Meudon. Outre la villa, sont mentionnés sur le terrain, un pavillon et une remise pour voiture. Elle est la propriété d’un certain Claude Rozier, résidant rue Villaret de Joyeuse, à Paris. La villa est certainement leur maison de campagne.

8 rue de Meudon 1912-1 extrait
8 rue de Meudon. extrait du cadastre de 1912. Archives municipales.

Grâce à cette adresse parisienne, nous sommes parvenus à le retrouver : Claude Rozier est un entrepreneur en serrurerie, né le 10 mai 1851 en Auvergne. Il épouse en 1877 Isabelle Constance Rose Caboche, couturière parisienne de 22 ans. La maison a du être construite à cette époque. Deux filles naissent de leur union : Marthe Marie en 1880 et Caroline Louise en 1881. Il faut imaginer les deux sœurs jouant dans le jardin, aux beaux jours.

L’auteur de cette carte-photo datée d’octobre 1900 signe « M.R.« , il pourrait s’agir de Marthe, elle a alors 20 ans. Le texte laisse à penser qu’elle a pris elle-même la photo puisqu’elle écrit « c’est un supplément pour te montrer mes débuts« . Détail amusant : Nous avons trouvé d’autres cartes postales de sa sœur Caroline, qui signe « Liline », adressée au même destinataire en Corrèze et qui se targue de posséder « presque 1500 cartes postales ». Sûrement une mine d’or pour le village de Billancourt, si nous mettions la main dessus !

Les Rozier ont sûrement connu Gabriel Voisin, qui en 1911 résidait au numéro 7, de l’autre côté de la rue.

Claude Rozier décède le 19 décembre 1922 à Paris. À cette époque, l’usine Renault a envahi l’autre côté de la rue, et les nuisances devaient rendre la maison bien peu agréable.

C’est alors que tout change complètement.

Dans le recensement de 1921 on trouve, au 8 rue de Meudon, une tout autre population : un mécanicien, un décolleteur, un métallurgiste, un manœuvre et sept autres personnes, la plupart ouvriers et célibataires. La maison bourgeoise est manifestement devenue une habitation à loyer pour ouvriers Renault. Et pour longtemps.

En 1926, y est créée la « Caisse Mutuelle de Solidarité Ouvrière » qui assure des secours à leurs membres en cas de maladie, de blessure ou de décès. La même année, on y trouve aussi un restaurateur et un hôtelier. Vers 1936, le recensement y liste, un manœuvre de chez Citroën (égaré ?), un comptable, un employé de métro. Et toujours des ouvriers, fraiseurs, manœuvres, avec ou sans leur famille.

Extrait "la vie ouvrière" 1er juillet 1937
Extrait « la vie ouvrière » 1er juillet 1937

En 1937, le 8 rue de Meudon est le siège du « bar de la Cigogne » où se retrouvent les « camarades tandémistes » (amateurs de cyclisme en tandem) de l’Union Sportive des Ouvriers Renault (USOR).

En 1938, elle abrite une section syndicale où les « camarades ne touchant pas d’allocation de chômage » peuvent se présenter.

Entre 1936 et 1958 la villa passe entre les mains de deux propriétaires boulonnais : la veuve Frédéric Bardes puis Jean-Maxime Asserquet, domiciliés au 19 quai de Stalingrad. En 1958 la maison devient la propriété d’un parisien, Fridolin Heckel, Alsacien d’origine, et son épouse Carmen Janaud. Ils n’y résident pas non plus. Le cadastre y mentionne une salle de café et un restaurant, qui disparaissent en 1967.

Le jardin disparait entre 1947 et 1950, vendu à Renault qui s’empresse de bâtir. La villa Rozier est maintenant entourée d’ateliers de toutes parts.

villa rue de Meudon aérienne 1971 extrait
Le 8 de la rue de Meudon en 1971. La rue de Meudon est à gauche et la rue traversière en bas de la photo.
La villa et le pavillon auquel elle est adossée y sont clairement visibles.
Le jardin a disparu, remplacé par deux bâtiments industriels. Source : IGN

Fridolin Heckel décède en 1990, à 90 ans, et la villa est toujours là ! Sûrement les anciens du quartier s’en souviennent. En 1992, c’est terminé, les photos aériennes ne montrent plus qu’un terrain vague :

1992. Source IGN

La villa Rozier a résisté 90 années à la présence de Renault. Ce sont les projets d’aménagement du trapèze qui auront eu raison d’elle.

On y bâtira le siège social de Boursorama Banque en 2015 :

Angle Meudon Traversière en 2020
l’angle Meudon Traversière en 2020 et le siège de Boursorama. Village de Billancourt.

Pour revoir l’article de 2020 sur la villa, et d’autres photos, cliquer ici.


Les villas disparues de Billancourt:

Les villas disparues de Billancourt

Villa Solferino carré
Villa 10 rue Solferino

Villa Renault
Villa Aussillous carré
Villa Aussillous
Villa Bican carré
Maison Bican


Villa Boitelle
Villa Bottin carré
Villa Bottin
Villa Caprice carré
Villa Caprice
Villa Casteja carré
Villa Casteja
Villa Damiens carré
Villa Damiens
Villa Tavernier carré
Maison de Tavernier
Villa prince polonais carré
Villa de la Feuillée
Villa Flora carré
Villa Flora
Villa Fountaine carré
Villa Fountaine
Villa Mauresque carré
Villa Mauresque
Villa Morel carré
Villa Marti – Morel
Villa Nouzillet-Clinch carré
Villa Nousillet-Clinch
Villa Rozier carré
Villa Rozier
Villa Toucy carré
Villa Toucy
Ferme carré
Ferme de Billancourt

Maison du prince polonais
Villa Boucher carré
Villa Boucher

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