L’homme qui perdit sa tête et l’île Seguin.

Voilà un propriétaire de l’île Seguin qui n’aura pas profité longtemps de son acquisition.

Jean-Baptiste Vandenyver, banquier de Madame du Barry, acquiert l’île le 3 octobre 1793, en pleine Terreur révolutionnaire. Il est arrêté une semaine plus tard, puis guillotiné le 8 décembre, devenant ainsi le propriétaire le plus éphémère de l’histoire de l’île.

Jean-Baptiste Vandenyver est né à Amsterdam en 1726 et arrive à Paris à l’âge de 26 ans. Il fonde une banque en 1761 et, « homme aimable et mondain », fréquente la haute société française. Il rencontre madame du Barry, dernière favorite de Louis XV et qui vit dans sa propriété de Louveciennes depuis la mort de son protecteur. Celle-ci lui confie, en 1789, la vente d’une partie de ses diamants, qu’il évalue à 133 000 livres. Jugeant le prix insuffisant, Madame du Barry lui retire sa demande mais le prie de devenir son banquier officiel. Il sera chargé de l’achat et de la vente de ses actions et lui avancera le crédit.

A la suite d’un vol de diamants (encore!) dont elle a été victime en 1791, madame du Barry fait plusieurs séjours à Londres où ses voleurs ont été arrêtés. Ces voyages sont suspects aux yeux des révolutionnaires, surtout en cette période de Terreur. La du Barry y rencontre nombre d’aristocrates français émigrés, « ennemis de la république ». Elle fournit secrètement aux réfugiés une aide financière par l’intermédiaire de son banquier, Vandenyver .

Madame du Barry est arrêtée une première fois début juillet 1793 puis le 12 septembre. Son habitation est fouillée et des documents trouvés chez elle compromettent Vandenyver. Celui-ci est arrêté à son tour puis relâché à deux reprises en août et septembre.

Signature de Vandenyver
Une signature compromettante

Le 3 octobre 1793, Vandenyver achète l’île de Sèvres (future île Seguin) et ses bâtiments à la société Jean Riffé, une grande blanchisserie qui a fait faillite. On ne sait pas bien ce qui a motivé ce banquier à un tel achat. Il n’était pas dans ses habitudes de faire de telles opérations industrielles, De plus, la construction d’une résidence secondaire est peu probable, l’île étant souvent inondée l’hiver. On ne sait pas si Vandenyver a même posé le pied sur l’île.

Quoi qu’il en soit, il n’aura pas le temps d’y laisser son empreinte car, huit jours après l’achat, le 11 octobre, il est arrêté pour de bon avec sa femme et ses deux fils, Edme-Jean-Baptiste et Antoine-Augustin, dont les signatures apparaissent aussi sur les documents.

Après un procès de deux mois, le 6 décembre, le tribunal révolutionnaire accuse les Vandenyver d’avoir mis leur caisse, « trésor inépuisable », à la disposition de Madame du Barry en lui remettant des « sommes immenses » et de verser de l’or « à grands flots» aux émigrés. Fouquier-Tinville, l’accusateur public de sinistre mémoire, accuse les Vandenyver d’avoir « méchamment et à dessein conspiré contre la République française ». La foule conspue les accusés, l’ancienne favorite de Louis XV est pâle et angoissée. Le tribunal prononce la mort pour la du Barry, Vandenyver et ses deux fils et demande l’exécution dans les 24 heures.

Les Vandenyver sont menés à la guillotine, place de la Concorde, le 8 décembre 1793, partageant la même charrette que Jeanne du Barry. Celle-ci crie, sanglote et supplie, dévastée. Les Vandenyver gardent une mine impassible. Au pied de l’échafaud, la du Barry prononce sa célèbre supplique : « Encore un moment, Monsieur le bourreau ! » mais le bourreau Sanson fait son office. Vandenyver avait 67 ans et la du Barry 50.

une exécution guillotine
Une exécution, place de la révolution.

Vandenyver était-il coupable ? Les historiens ont depuis longtemps établi que madame du Barry avait en effet aidé financièrement les émigrés de Londres qui avaient hâte de combattre la révolution, notamment par 200 000 livres versées au duc de Rohan-Chabot. Le banquier, fidèle envers sa cliente, était bien complice en avançant ces sommes.

Les biens de Vandenyver sont confisqués par la république, dont l’île de Sèvres. Un projet d’armurerie y est lancé mais le gouvernement a finalement trouvé mieux : l’île de Sèvres est confiée le 21 novembre 1794, à un certain Armand Seguin, chimiste, qui y installera sa tannerie. On connait la suite : Seguin deviendra le principal fournisseur de cuir de l’armée révolutionnaire et bâtira une immense fortune (voir notre article).

Mais l’histoire Vandenyver ne s’arrête pas là.

A sa sortie de prison, le 29 septembre 1794, la veuve de Vandenyver, Marie-Anne Charlotte, adresse une pétition à la Convention Nationale pour récupérer les biens de son époux au profit de ses petits-enfants, arguant d’une loi qui protège les veuves et les enfants des individus condamnés. La pétition ne semble pas avoir reçu de réponse.

Pétition à la Convention Nationale
Pétition à la Convention Nationale. Source : Gallica

Heureusement, le 9 juin 1795, une loi rend définitivement ces biens aux veuves et héritiers des condamnés. La veuve Vandenyver pourrait reprendre son bien, mais son dossier est incomplet : Jean-Baptiste Vandenyver, arrêté une semaine après son acquisition, n’avait pas eu le temps de s’acquitter du prix convenu : 157 196 livres ! La veuve s’empresse de régulariser la situation le 20 juillet en versant la somme due. Seguin, pour se couvrir, fait de même en décembre. L’île Seguin a donc été payée deux fois !

Mais la manufacture Seguin tourne déjà à plein régime, et est trop importante pour l’effort de guerre. Devant l’influence de Seguin, l’administration révolutionnaire fait la sourde oreille.

En 1795, sous le Directoire, la veuve finit par obtenir gain de cause auprès du conseil des Cinq-Cents, mais Seguin contre-attaque en demandant et obtenant que la décision soit remontée au directoire exécutif. Tout est à refaire. Sans se décourager, Marie-Anne Charlotte Vandenyver monte jusqu’aux plus hautes strates du gouvernement, passant de ministère en ministère. Mais ceux-ci penchent en faveur de Seguin.

Avec l’arrivée du Consulat de Bonaparte, Seguin entre en disgrâce, la qualité du cuir n’est pas celle attendue, la tannerie cesse son activité au début des années 1800. L’espoir renait pour les héritiers Vandenyver. Marie-Anne Charlotte adresse un mémoire de 16 pages au conseil d’Etat. Deux ans plus tard, elle meurt sans avoir eu de réponse.

Longtemps plus tard, en 1807, le Conseil d’Etat tranche enfin, et c’est encore en faveur de Seguin.

Illustration d’en-tête : Alexandre-Jules Monthelier-L’île Seguin à Sèvres. British Museum

Nous n’avons pas l’acte d’achat de l’ïle, mais un autre acte du 22 octobre 1793, nous en donne la description suivante :
Premier lot: une très grande usine bâtie sur le bord du canal qui traverse l’île, propre à l’établissement d’une manufacture, avec cour, grandes salles, très grands greniers bien  » airés » , loge de gardien à l’entrée. Il y a encore un hangar servant de logement au portier et une petite cabane avec cheminée ; d’autres constructions sont inachevées. Toute cette partie de l’île, à gauche du pont de Sèvres en venant de Paris, contient trente-quatre arpents.
Second lot: une maison récemment réparée de neuf, comprenant un rez-de-chaussée avec cuisine et salle à manger, un premier étage de cinq pièces, dont trois avec cheminées et galerie en dalle de pierre; un second étage en mansardes, le tout couvert en tuiles. De plus, il y a petite cour, poulailler, écurie pour trois chevaux, cabinet d’aisances, petit jardin avec arbres fruitiers en plein rapport, le tout clos de murs en grande partie. Cette partie de l’île, à droite du pont de Sèvres et à la pointe de l’île, ayant environ 1 arpent.

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