La guerre d’Emma (2/2)

Emma a vécu 85 années près de la Place Nationale. Elle a connu le front populaire, les glacières, les luttes ouvrières, les russes blancs et les deux bombardements. Elle a bien voulu se confier au Village de Billancourt pour deux articles exclusifs. Voir le premier article : « Le Billancourt d’Emma »

En 1940, la guerre arrive et, avec elle, les privations. Emma se souvient des queues interminables pour récupérer le quart de litre de lait écrémé auquel elle a droit une fois par semaine, avec ses tickets. Le marché de Billancourt est bien maigre. Il faut recourir au marché noir pour certains produits, comme le beurre ou les pommes de terre, ce qui changeait de la margarine et des rutabagas. L’école fournit un biscuit vitaminé chaque jour. Certains jours, Emma a faim.

Durant ces années, l’usine Renault travaille pour l’ennemi. A Billancourt, on sait que l’usine est une cible possible pour des bombardement alliés. Emma doit, comme les autres, aller à l’école avec un masque à gaz en bandoulière.

Le 3 mars 1942, vers 9 heures du soir, la famille est au salon, Emma est alors une jeune fille de 17 ans. Son père Ferdinand entend un grondement. Il se lève, écarte le rideau, puis se rassoit. Quelques instants plus tard, il retourne à la fenêtre et distingue des fusées éclairantes rouges et vertes qui déchirent la nuit. Il se retourne : « Je crois qu’il va falloir descendre à la cave » Les sirènes se mettent aussitôt à hurler. La famille attrape rapidement la valise qui est toujours prête, au cas où, et descend se mettre à l’abri, avec les voisins.

A minuit, le bombardement terminé, tout le monde quitte la cave. Il n’y a plus d’électricité, il faut allumer les bougies et les lampes à pétrole. Les escaliers, les pièces, les lits sont jonchés de débris de verre, les fenêtres ont toutes explosé. Mais les bâtiments sont intacts. On apprend que c’était des avions anglais. Emma ne le sait pas encore, mais ce ne sera pas son dernier bombardement.

Boulogne-Billancourt,_Royal_Air_Force_Bomber_Command,_1942
Le bombardement de 1942, Royal Air Force Bomber Command.

Une année plus tard, c’est un beau dimanche ensoleillé en ce 4 avril 1943 vers 14 heures. Emma a maintenant 18 ans, elle est montée chez sa voisine du dessus pour l’aider à poser des bigoudis. Son père Ferdinand est à la pêche au bord de la Seine avec ses amis, comme tous les dimanches. Elle jette un œil machinalement par la fenêtre de la cuisine, une pluie de bombes tombe au-dessus du pont de Sèvres ! Elle presse sa voisine, un peu sourde « Il faut descendre, vite ! ». Au passage, elle passe prendre sa mère et toutes trois descendent à la cave. La sirène ne s’est pas déclenchée. Pendant ce temps, son père, courant sous les bombes, traverse le pont de Billancourt et se réfugie à Issy-les-Moulineaux. Il ne peut que contempler avec effroi le chaos sous lequel Emma et sa maman sont prisonnières.

Une fois les avions partis, les dégâts sont là : une bombe est tombée sur la façade de l’immeuble, heureusement sans exploser. Des traces y sont encore visibles aujourd’hui. L’immeuble de l’autre côté de la cour, côté rue Heinrich est, lui, durement touché. Un jeune couple gît sur les décombres. L’homme revenait tout juste pour sa première permission du STO.

« Ce bombardement est plus brutal que le précédent, Les américains ont bombardé de très haut sans aucune précision ». Partout des destructions, des pans de murs abattus, des rues encombrées de gravats.

Eglise Immaculée Conception détruite bombardements 1942-1943
Eglise de l’Immaculée Conception détruite.

L’église de la place Bir Hakeim est durement touchée, les Glacières également, l’immeuble de la place Solférino n’est que ruines. On rapporte de nombreux morts du côté du pont de Sèvres. Emma apprend la mort de certaines connaissances.

117, rue du Vieux Pont de Sèvres. Archives BB.

La guerre continue. En 1944, son père Ferdinand est convoqué pour faire le STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne.

Convocation pour le STO
Convocation pour le STO

« Faut pas y aller » lui dit un de ses amis, bien informé. Le jour dit, il part avec sa valise à la gare mais il se « trompe » de gare, au lieu de la gare de l’Est, Ferdinand se rend à la gare du Nord, direction l’Oise. Il part se cacher chez son ami. Emma et sa maman, qui n’en savaient rien, sont prévenues rapidement. Elles lui rendront de discrètes visites. Mais elles ne seront pas seules longtemps à Billancourt car c’est enfin la libération.

Le 25 août, la deuxième DB du Général Leclerc entre dans Paris par l’avenue qui portera son nom. Place Nationale, des allemands se rendent à la population.

1944 25 aout prisonniers allemands place Nationale
25 aout 1944 – prisonniers allemands, place Nationale. Photo familiale.

Le lendemain, 26 août, alors que le général de Gaulle descend les Champs Elysées sous les clameurs, Emma pose sur une barricade, devant chez elle, avec son ami Georges.

26 août 1944, Emma, 18 ans, et son ami Georges sur la barricade de la rue du Point du Jour. Photo de famille.

L’amitié entre Emma et Georges est solide. Elle deviendra un amour sincère. Quatre ans après la guerre, en avril 1949, Georges et Emma se marient dans la toute nouvelle église en bois du 223, boulevard jean-Jaurès.

De leur union naîtra un fils.

Emma vit toujours près de la place Nationale, dans l’immeuble de son enfance, 85 ans après son arrivée. A 96 ans, elle garde l’esprit alerte, la mémoire vive et le sourire malicieux.

Si vous croisez une petite dame âgée, place Nationale, songez à la jeune fille de la rue du Point du Jour, dans sa petite robe bleu ciel.

* son prénom a été changé

3 Replies to “La guerre d’Emma (2/2)”

  1. Originaire du Pas-de-Calais, ma mère a vécu et travaillé à Billancourt de 1933 à 1943. Le 3 mars 1942, mon père était au ravitaillement sur la Côte d’Opale et ma mère , seule, est descendue à la cave du 247 boulevard Jean Jaurès. Quand elle est remontée, elle a trouvé un éclat d’obus planté dans la table à l’endroit où elle se tenait quotidiennement.
    Mes parents ont déménagé pour le 9 rue des Longs Près. L’année suivante, ils ont échappé de justesse au second bombardement. En effet je suis née à Berck-sur-mer le 9 avril 1943 près d’une plage où les Allemands attendaient le débarquement. Ils ont dû repartir.
    Ma mère a gardé de ses frayeurs un eczéma qui ne l’a plus quittée …

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