L’Alhambra, cinéma et music-hall

Situé au 18 de la rue du Dôme, ce cinéma aurait ouvert ses portes, selon l’historien Couratier, en 1913 sous le nom de « Palais du Dôme* ». En 1920, l’établissement se serait transformé en un music-hall dénommé l' »Alhambra », un nom exotique, reprenant le celui du célèbre palais de Grenade, à l’architecture arabo-musulmane.

Une recherche au cadastre nous indique pourtant une date de création antérieure : dès 1907 on voit apparaitre une « salle de spectacle » à cet endroit, propriété d’un imprimeur de Caen, Charles Valin-Depoix. Si le registre mentionne le 14 rue du Dôme, il ne fait pas de doute qu’il s’agit du même édifice car on le retrouve bien au 18 sur les matrices ultérieures et avec le même propriétaire.

Par ailleurs ce bâtiment est visible sur une carte postale affranchie en 1907 et sous ce nom « Alhambra ».

Le style de l’Alhambra n’a pas grand chose à voir avec le style mauresque du palais andalou. Sur un bâtiment plutôt ordinaire, on a plaqué, au dessus d’une large baie cintrée, un fronton orné d’un énorme cartouche baroque porté par ce qui semble être deux angelots. La façade est ponctuée de statues de personnages non identifiables. Une meilleure photo nous en dirait davantage.

Nous n’avons trouvé aucune information sur sa contenance ou sur l’agencement intérieur.

Toujours selon Couratier, la salle est dirigée par Adolphe Bérard, chansonnier célèbre de la Belle Époque. Ce ténor à la voix puissante était admiré pour ses chansons mélodramatiques et ses drames populaires. Ses interprétations patriotiques, écrites durant la Grande Guerre, exaltaient l’esprit de corps des parisiens.

Bérard de l’Alhambra

On peut lire, dans ses mémoires :

« En 1920 je me suis intéressé à la création d’un établissement que des amis avaient eu la délicate attention d’appeler « le Concert Bérard ». C’était à Billancourt, rue du Dôme ».

Il y décrit l’incroyable succès de l’ouverture :

« La veille de l’ouverture, la musique municipale organisa une cavalcade à travers les rues de la ville pour annoncer l’inauguration du « concert Bérard ». La salle était déjà entièrement louée pour les quatre premières représentations… Le soir venu, une foule innombrable envahit le contrôle et il fut impossible de faire rentrer les personnes qui avaient réservé… Malgré un service d’ordre imposant, les belles portes neuves du concert Bérard furent arrachées. »

Quatre ans plus tard, en 1924, un fait divers nous confirme que Bérard en était bien le directeur.

Fait divers en 1924
L'Alhambra est proche de l'angle des rue du Dôme et de la rue Thiers. Le bâtiment à l'angle est toujours là
L’Alhambra, visible à droite, vu de l’angle des rues du Dôme et Thiers.
Le bâtiment à l’angle existe toujours et abritait encore en 2017 un restaurant dont le nom reprenait celui du cinéma : « Le Palais du Dôme ». C’est aujourd’hui un restaurant indien.

Au début du XXe siècle, le cinéma était devenu une distraction très populaire dans toute la France. Les habitants de Billancourt s’y pressaient pour rire aux facéties de Charlot, Buster Keaton ou Laurel et Hardy. Quels films étaient à l’affiche de l’Alhambra ? Hélas, nos recherches quasiment rien donné. Il faut en déduire que sa publicité ne passait pas par la presse.

Chaplin & Buster Keaton
Chaplin & Buster Keaton.

Si nous n’avons rien retrouvé de la programmation du cinéma, nous avons glané beaucoup d’informations sur ses propriétaires successifs. Et c’est un vrai jeu de chaises musicales !

En 1914, le cinéma, propriété d’un certain Chabot, est acheté par un certain Moyon. En 1921 le propriétaire de l’Alhambra s’appelle Jules Carlier. En octobre 1923, M. Poulet revend le cinéma à M. Rouco. Et ça continue : en 1925 M Fabre, revend à messieurs Gardrat et Collet. La salle est curieusement au n°16 de la rue.

En août 1926, on trouve mention de la vente, par Gardrat et Collet à une certaine Renée Augustine Villebonnet, « directrice de cinématographe » ; le cinéma s’appelle alors le « Palais du Dôme ».

Pourquoi tous ces changements de propriétaires ? Y avait-il un problème de rentabilité ?

La presse du début du siècle nous révèle que la salle de cinéma était également le lieu de rassemblement. On pouvait y voir des matchs de boxe ou assister à des réunions politiques et syndicales, surtout dans la période agitée des années 30. On trouve également un concert en faveur des « soupes communistes » en 1919, ou une quête en faveur des sinistrés des inondations du midi, en juin 1930. La salle diffusait, en 1934, les actualités cinématographiques produites par « Éclair-Journal ».

En 1937, le cinéma change encore de mains : un certain Hodent le vend à Mlle Amorfini. En 1938, c’est terminé : le bâtiment devient une piste de danse puis, après guerre, un gymnase, puis un garde-meuble, avant d’être détruit.

L’Alhambra fait partie des nombreuses salles de cinéma qu’on pouvait trouver à Billancourt aux débuts du siècle, comme le Casino de Billancourt, rue Danjou, ou l’Artistic Palace qui, lui, a conservé sa façade des années 30. Voir les articles que nous leur avons consacré.

Il ne reste rien, aujourd’hui, de l’Alhambra. Le 18 rue du Dôme abrite un ensemble de bureaux moderne, siège de l’ESI Business School :

Rue du dôme Alhambra 190718 rue du Dôme en 2020
Le 18 rue du dôme, avant-après.

Billancourt n’a plus de cinéma depuis juillet 1989 et la fermeture du Gaumont Ouest, dans le quartier du pont de Sèvres. Pour en savoir plus sur les anciens cinémas à Boulogne-Billancourt, voir ce numéro de « mémoire vive » dédié aux salles de spectacle et édité par le service des archives municipales.


* Le dôme en question fait référence au dôme des Invalides vers lequel la rue est alignée.

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