Qui sont les Sarreste, propriétaires durant plus de 50 ans du restaurant sur l’ile Seguin dont nous parlions la semaine dernière ? En complétant nos recherches documentaires par des recherches généalogiques nous avons pu retrouver les membres de la famille. Car il s’agit bien d’une famille regroupée autour d’un père, Eugène, et son fils ainé, Lucien.
La famille Sarreste en photo ?
Examinez bien les deux cartes postales ci-dessous. Elles montrent l’île Seguin au début du siècle dernier. Si vous êtes observateur vous avez sûrement remarqué qu’il s’agit du même groupe de personnes. Même les chiens sont identiques. Il nous a fallu du temps pour le réaliser.


Il s’agit de la même série de cartes postales (même éditeur et numéros qui se suivent). En outre, les deux scènes se déroulent sur la propriété Sarreste, l’une côté Meudon (on distingue les tables) et l’autre côté Billancourt. Bref, vous l’avez compris, pour nous il s’agit de la famille Sarreste. On peut ajouter qu’à l’époque les français aimaient se prendre en photo devant chez eux et envoyer ces photos à leurs amis par la poste.
Le moustachu à casquette de marinier pourrait être le fils, Lucien. S’il est debout sur une barque, c’est peut-être parce que c’est la sienne, barque qui se trouve également sur la deuxième photo. L’homme qui rame pourrait être le père, Eugène Sarreste. Il y a, d’ailleurs, un air de famille avec passeur de l’île Seguin figurant sur cette autre carte postale:

Bien sûr tout cela reste hypothétique, mais les indices sont intéressants. C’est anecdotique, mais ça donne un visage sympathique à notre restaurant. Qu’en pensez-vous ?
Mais commençons notre histoire par le début:
Eugène Sarreste dans l’histoire de France
Eugène Jacques Martin Sarreste est né en 1829 à Laduz, village près d’Auxerre, d’un père sans doute cultivateur.
Il a 23 ans lorsque Louis Napoléon Bonaparte, président de la république depuis trois ans, fait un coup d’état. Il dissout, le 2 décembre 1851, l’Assemblée Nationale et prépare une nouvelle constitution établissant un régime autoritaire. Ce coup de force aboutira, l’année suivante, au second empire. Dans certains lieux, les républicains prennent les armes et marchent sur les chefs-lieux. L’état de siège est prononcé sur une partie du territoire. Eugène Sarreste, comme 26 000 autres français, est arrêté. Il passe en commission aux motifs suivants « Affiliateur aux sociétés secrètes. Il convient d’avoir recruté de nombreux affiliés. Ne mérite aucune indulgence« .

Le jeune homme est condamné à être déporté pour cinq ans dans un pénitencier en Algérie. Finalement considéré comme non dangereux pour la sécurité publique, Eugène bénéficie d’une grâce en avril 1852 et est libéré.
Est-ce à ce moment qu’il quitte son Yonne natale pour la région parisienne ? On le retrouve quatorze ans plus tard, en 1866, où il épouse Gabrielle Prugnard, née à Argenteuil. L’année suivante, ils sont à Sèvres où, le 5 aout 1867, nait un fils qu’ils baptisent Gabriel Jacques Lucien (Lucien sera son prénom usuel). Eugène est alors charretier.
Les débuts du restaurant sous les bombes
Eugène achète ce terrain sur l’île Seguin le 20 novembre 1868 à Marguerite Canin, rentière, veuve de Leonard Niguiroloc et habitant le bas-Meudon. Le terrain est vierge de toute construction.
A quelle date le restaurant est-il construit ? Difficile d’être sûr car la période 1868-1881 n’est pas couverte par le cadastre. Mais sans doute sont-ils déjà sur l’île en 1870, puisque leur deuxième fils, Adrien, est déclaré né à Boulogne cette année-là.

1870 n’est pas la meilleure période pour ouvrir un restaurant. C’est la guerre franco-prussienne. Les abords du pont de Sèvres et de l’île sont occupés par les prussiens qui bombardent Paris depuis la rive gauche du fleuve. S’ensuivent les combats entre la commune de Paris et les Versaillais. Voir notre article.
La paix revient, sans doute avec leurs premiers vrais clients. Leur troisième enfant, Marie Louise Alexandrine nait sur l’île en 1873.
Le sauvetage du dimanche 29 août 1886
C’est le jour de la fête de Meudon et du rivage. Des régates et des joutes à la lance sont organisées sur la Seine. De nombreuses embarcations sillonnent la pointe aval de l’île Seguin.

Le bateau-hirondelle n°25 de la compagnie des bateaux-omnibus approche du ponton du Bas-Meudon. Sous les yeux de la foule terrifiée, le bateau-hirondelle heurte et brise un canot dans lequel avaient pris place neuf personnes. Le couple Fath et ses trois garçons, monsieur Dubost et ses deux enfants et une fillette de 10 ans, Louise Mellanger se débattent pour sauver leur vie. Le passeur Lucien Sarreste, 19 ans, se porte aussitôt à leur secours. Il plonge sous l’eau à deux reprises. Il sauve successivement le père Dubost et ses enfants puis la petite Mellanger. Sur les neuf personnes, deux trouveront la mort : Le père Fath et un de ses fils. Les autres sont sauvés par le pontonnier Baptiste Contesenne.
À cette occasion le journal L’Estafette nous dresse un portrait du héros, à défaut d’une photo : « Une physionomie à la fois énergique et douce, des yeux pleins de feu, des traits réguliers où le hâle n’a point encore mis son âpre morsure, une de ces robustes mains de travailleur dont le pressement loyal et franc fait du bien au cœur ».

Le jeune homme est récompensé d’une médaille d’honneur pour actes de courage et de dévouement avec mention au Journal Officiel de la République. Et ce n’était pas son premier sauvetage. Il récidive deux ans plus tard pour un autre sauvetage en août 1888 et reçoit une médaille de 2ème classe.
Incorporé dans l’armée, Lucien participe à plusieurs campagnes de pacification dans diverses régions de l’Indochine, entre 1889 et 1891 (Vietnam actuel, alors sous protectorat français).
La vie au restaurant Sarreste
Le recensement de 1891 nous confirme qu’Eugène Sarreste est bien le patron du restaurant et que sa femme Gabrielle est à la cuisine. Ils habitent sur l’île avec leurs enfants Adrien, 21 ans et devenu charpentier, et Louise, 17 ans. Lucien, lui, a pris son indépendance.
Il habite à Issy, puis au Bas-Meudon, quai de la Seine puis Route des Gardes. Son activité n’est pas très claire. Selon les sources, il est mentionné comme pêcheur, ou passeur (pour l’île Seguin) ou charpentier marinier. Mais peut-être est-il tout cela à la fois ?

Lucien se marie à Meudon en 1897 avec une blanchisseuse de 22 ans, Blanche Alphonsine Erhard, fille d’un tailleur sur cristaux. De leur union naîtra Aimable en 1898. Mais les trois générations ne vivront pas longtemps ensemble.
Le tournant du XXème siècle est marqué par le malheur : Eugène Sarreste, tout d’abord, meurt le 25 février 1901 à son domicile de l’île Seguin, selon l’acte de décès conservé aux archives municipales. Il avait 71 ans. Le restaurant qu’il a créé passe entre les mains de son épouse Gabrielle.
Son fils Adrien meurt en 1904, puis c’est le tour de sa fille Marie Louise Alexandrine en 1907. Ils n’avaient que 34 ans. Leur mère Gabrielle décède également deux ans plus tard le 21 avril 1909. En l’espace de huit années, la famille Sarreste disparait donc presque totalement. Les affaires semblaient bien marcher puisque le restaurant s’était agrandi entre 1903 et 1905.

Dernier survivant de la famille, Lucien, le héros de la noyade de 1886, hérite donc du restaurant de ses parents, à l’âge de 42 ans.
Selon le recensement de 1911, il a quitté Meudon et habite à nouveau sur l’île avec sa femme Blanche. Y sont logés également Emile Huteaux, un jeune tourneur (de chez Renault?) et Maurice Grégy, un journalier. Celui-ci connaitra une mésaventure que nous avons dénichée dans la section des faits divers du journal le « Matin » du 25 septembre 1910 : « Hospitalisé charitablement par monsieur Sarreste, restaurateur à l’île Seguin, René Colin cambriole dans la maison et s’empare de 3 000 francs appartenant à monsieur Grégy. L’indélicat personnage est arrêté« . Un journalier gagne à l’époque 3 ou 4 francs par jour, c’était probablement toute sa fortune.

Les dernières années
La première guerre mondiale éclate. Réformé en 1904 pour cause de tuberculose pulmonaire, Lucien n’a sans doute pas été appelé. De l’autre côté de la Seine, l’usine Renault, gros fournisseur de l’effort de guerre, devient un géant industriel.
La paix revenue, Louis Renault, trop à l’étroit sur la rive droite, s’intéresse à l’île Seguin. Il contacte les propriétaires et les convainc les uns après les autres. L’opération est menée en un éclair : lors du seul mois de juin 1919, il réussit le triple tour de force de louer la propriété du comte de Lambert (la majeure partie de l’île), d’acquérir ensuite la propriété de Sarreste le 12 juin et enfin d’acheter le tir au pigeons d’Aubry le 18 juin. En quelques jours Louis Renault s’est rendu maître de la quasi-totalité de l’île.

Lucien Sarreste signe les quelque 3 000 m² de la propriété pour la somme de 120 000 francs. C’est bien peu au mètre carré, au regard des autres acquisitions de Louis Renault. Peut-être Lucien, 52 ans, pense-t-il à d’autres horizons ?
Après la vente, la famille Sarreste s’installera à Joinville-le-Pont, au 55 quai de la Marne pour y bâtir une guinguette.
Renault détruit le restaurant
À la demande de Renault, la propriété de Sarreste est photographiée sous tous les angles par les photographes du cabinet d’architectes Plousey. Ces photographies de juillet 1919 (un mois après la signature), retrouvées dans le fonds de l’association Renault Histoire, nous offrent de magnifiques vues du restaurant :



Mais l’atmosphère de ces photos est quelque peu impersonnelle. Pourtant, c’est curieux, les tables sont encore là, recouvertes de nappes. Le restaurant tourne-t-il encore quelque temps ?
C’est bien possible car au début Louis Renault préserve l’île. Il fait de l’île Seguin un lieu de détente pour son personnel qu’il invite, une fois la journée finie, à « respirer l’air pur et vivifiant de l’île où on trouve des endroits merveilleux« . Des activités sportives sont organisées régulièrement et des jardins ouvriers apparaissent sur l’île.
Pourtant, en 1922, Louis Renault change d’avis. Il a besoin de place pour construire l’usine moderne qu’il ambitionne et se décide pour l’île Seguin. Dès 1923 il débute de gigantesques travaux de terrassement pour en surélever le sol et la mettre à l’abri des crues.


Le restaurant Sarreste doit disparaître pour que naisse la légende Renault. L’œuvre d’Eugène Sarreste est vite oubliée… jusqu’à ce que le Village de Billancourt ne s’en émeuve.
Il faudra attendre près d’un siècle et l’arrivée de la Seine Musicale en 2017 pour voir revenir des restaurants sur l’île.
Avec l’aide de Martine Riou, du Cercle Généalogique, de nous avons eu la chance de retrouver une descendante Sarreste qui habite toujours à Joinville. Nous allons la rencontrer prochainement. L’arrière-petite-fille de Lucien Sarreste aura-t-elle des choses à nous raconter ? Nous le saurons très vite. A suivre, donc !
Photo en tête d’article : au restaurant Sarreste sur l’île Seguin – Coll. Steve Légère
Magnifique histoire sur cette famille. Mon arrière grand père du nom de Cheval Alfred, tenait un café au rond point du jour. Malheureusement je n’ai aucun renseignement sur ce café mais j’ai une photo qui doit datée entre 1860-1880. Si intéressé je px vs envoyer la photo, dites-moi simplement où.
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Oui, bien sûr ! Je vous contacte par mail.
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