La Maison Bican, Place Jules Guesde

Vous avez sûrement remarqué sa photo sur le socle de la sirène Renault, place Jules Guesde. C’était une grande maison bourgeoise qui dominait la place au début du XXème siècle.

Lorsque nous avons vu cette photographie pour la première fois, nous avons cru à une erreur. Cette maison ne pouvait pas être située place Nationale (Jules Guesde) comme l’indiquait la légende. Elle devait sûrement se cacher ailleurs dans Billancourt. Les erreurs de légende n’étaient pas rares sur les cartes postales.

Puis nous sommes tombés sur la deuxième photographie, ci-dessous, portant la date 1904 et la même localisation. Donc OK pour la place Nationale et OK, elle a disparu.

C’était sans conteste l’élégante du quartier, la belle dame de la place. Elles n’étaient pas rares, ces belles demeures à Billancourt, avant Renault. Elle a sa place parmi les belles villas disparues du Village de Billancourt.

La descente aux enfers de la maison Bican

Comme beaucoup d’autres, la maison été broyée par le rouleau compresseur Renault. Entre 1900 et 1930, parcelle après parcelle, l’usine Renault gagne du terrain en direction de la place Nationale. Elle s’étend sur sa droite, rue du Point-du-Jour où elle absorbe l’ancienne ferme de Billancourt et l’immeuble de la maison Geiger-Dognin :

A sa gauche, rue de Meudon, Renault crée un immense bâtiment surmonté d’un château d’eau, finissant ainsi de la prendre en tenaille. Sur ces images du début des années 30, on la voit encore, noircie, salie et misérable.

Les vues aériennes sont désolantes, la maison y apparaît minuscule au milieu des ateliers, comme une anomalie en sursis.
Au début des années 30, la maison disparait. Puis la rue Gustave Sandoz qui la longe à droite, est fermée. A sa place on construit la célèbre porte monumentale Renault qu’on peut voir aujourd’hui.

Les deux photos aériennes ci-dessous, de 1925 et 1934, montrent la place Jules Guesde et la maison Bican (au bas de la photo) avant et après sa destruction.

La vie dans la maison Bican

Comme d’habitude, nous avons longuement enquêté pour savoir ce qu’il y avait derrière la maison Bican. Et nous avons trouvé pas mal de choses.

L’acte d’achat du 10 septembre 1910, que nous nous sommes procuré auprès le l’association Renault Histoire, nous apprend que la propriété est plus importante que les photos ne le suggèrent. Elle s’étale sur près d’un demi-hectare !

Outre cette grande maison, la propriété contient le petit pavillon du concierge, visible sur les photos à gauche, une grande serre, une grande orangerie, un chenil, une écurie et une remise pour les véhicules. Au fond du parc on trouve aussi un poulailler et un clapier. Ce qu’on voit comme un sous-sol sur les photos forme en réalité un rez-de-chaussée côté parc et abrite un salon d’été et un billard. L’accès se fait par la rue de Meudon via une porte cochère. Curieusement, le parc est partiellement coupé par la propriété d’un voisin: M. Degorge, que Bican n’a probablement pas réussi à acquérir

Revenons un peu en arrière, à l’époque où Billancourt était une banlieue agréable et peu peuplée, loin des bruits de l’industrie.

Une famille de fondeurs de cuivre

Dans la famille Bican, on s’est fait une spécialité dans la fonte du cuivre à Paris depuis au moins 1815. Guillaume Bican (1793-1837) possède une fonderie place de la corderie du Temple à Paris en 1841. Son frère Agnan (1798-) est fondeur également.

Mais c’est surtout Alexandre Auguste Bican (1819- 1886), (peut-être un cousin?) et son neveu Jules Charles Camille Bican, fondeurs aussi, qui vont nous intéresser ici.

En 1873, après les événements de la Commune, Alexandre Bican acquiert les 2 282 m² d’une propriété au sud de la place Nationale, d’un certain Etienne Caron, parisien habitant rue de la Bourse. Pour Alexandre, c’est une maison de campagne agréable où passer les fins de semaine avec son épouse Adèle, dans le calme de la boucle de la Seine, à deux pas de Paris. En 1881 il acquiert 1 684 m² supplémentaires, en deux lots, auprès du comptoir Naud, le promoteur de Billancourt.

Il fait bâtir une première maison en 1882 , ce n’est pas encore la maison de la photo.

La même année, Alexandre et son neveu, Jules, s’associent pour créer une fonderie de cuivre au 89 de la rue Oberkampf, à Paris.

Les deux hommes se connaissent bien, ils ont tous les deux épousé des demoiselles de la famille Grivet et Alexandre était d’ailleurs témoin de Jules à son mariage.

Les affaires marchent bien puisque, en 1883 c’est au tour du neveu, Jules, d’acquérir un petit terrain et une maison jouxtant la propriété. Peut-être sait il déjà qu’il héritera des biens de son oncle ?

Alexandre décède en 1886, veuf et sans enfant. Il lègue, en effet, son bien à son neveu. Jules Bican se retrouve donc propriétaire de la fonderie de la rue Oberkampf et de la maison de Billancourt. Il s’y installe avec son épouse, Ernestine Alexandrine Grivet.

En 1887 les Bican achètent un cinquième et dernier terrain au comptoir Naud. La belle propriété au sud de la place Jules Guesde a maintenant une superficie totale de 4 782 m² !

Cadastre 1882 – 1910 – archives municipales

La première maison est détruite en 1897. Une nouvelle maison, plus grande et plus belle, est construite en 1900. C’est la maison que nous voyons sur les photos. Jules choisit de la construire en bordure de propriété, directement sur la place. C’est un choix inhabituel, la plupart des villas de Billancourt possédant un grand jardin sont construites à distance des voies.

Le style est caractéristique des villas bourgeoises de l’époque, avec, à l’angle, un grand toit évoquant un clocher, orné d’une grande arête faîtière, un fronton et des lucarnes d’inspiration néo-classique .

Malheureusement Jules n’aura pas l’occasion d’en profiter, il décède en janvier 1900, à l’âge de 55 ans. Sa veuve, Ernestine, s’installe donc seule dans cette grande maison.

Le recensement de 1901 nous apprend qu’elle y vit avec trois domestiques : Maria, Valentine et Marie. Dans le pavillon de gauche, près de la rue de Meudon, vivait le concierge Louis Amard, sa femme Rose et sa fille Lucie. Le jardinier, Alphonse Germond, y vivait aussi, avec son épouse Désirée et sa fille Alphonsine. Peut-être figurent-ils sur les photos ? C’est probable, à l’époque on aimait se faire photographier devant sa propriété. Si on regarde bien, on constate qu’au moins cinq des personnages de la première photo figurent sur la deuxième (2 femmes et 3 enfants).

La famille n’est pas loin, on trouve trace de la sœur de Jules Bican, Valentine, rue d’Issy, puis rue de Meudon, de l’autre côté de la place Jules Guesde, au dessus du bar le « National ».

La veuve Bican meurt à son tour le 16 juin 1909, à 62 ans, sans enfant, elle non plus. Dans son testament de 1905, elle lègue la propriété à ses deux neveux mineurs Henri et Jules Grivet et demande à son exécuteur testamentaire de vendre les biens qu’il jugerait utile.

Louis Renault, qui occupe déjà l’autre côté de la rue et la propriété voisine du joailler Gustave Sandoz, au sud, se manifeste auprès de l’exécuteur testamentaire. Un accord est trouvé et ils signent l’acte d’achat, le 10 septembre 1910, pour 90 000 francs, une belle somme.

La fin d’un monde

Louis Renault ne détruira la maison que dans les années 1930. Pourquoi a-t-il conservé cette maison durant 20 années ? Et pourquoi l’a-t-il laissée se dégrader ainsi ? Nous ne savons pas. On peu supposer qu’il y a installé du personnel, il a souvent procédé ainsi : la villa Fountaine a hébergé le Cercle des Agents de Maîtrise et la Villa Aussillous la pouponnière Renault.

Et que dire de cette vue, ci-dessous, prise vers 1922, depuis le sud ? A la place de ces ateliers il faut imaginer le parc, l’orangerie et la grande serre perdus dans un grand jardin arboré.

Fin de l’ancien monde. Billancourt a changé d’ère.

Aujourd’hui, un siècle après, l’ère industrielle a pris fin, à son tour. La propriété Bican a laissé la place au tout nouveau lycée Simone Veil. Sa façade sur la place Jules Guesde n’est autre que le portail monumental Renault des années 30, qui a été conservé. Le socle de la sirène Renault rappelle à chacun la présence de cette villa disparue du village de Billancourt.

Mise à jour : Voir aussi l’article « Maison Bican, épisode 2 » pour davantage de photos et d’informations.


Les villas disparues de Billancourt:

Villa Solferino carré
Villa 10 rue Solferino

Villas Renault
Villa Aussillous carré
Villa Aussillous
Villa Bican carré
Maison Bican


Villa Boitelle
Villa Bottin carré
Villa Bottin
Villa Caprice carré
Villa Caprice
Villa Casteja carré
Villa Casteja
Villa Damiens carré
Villa Damiens
Villa Tavernier carré
Maison de Tavernier
Villa prince polonais carré
Maison du prince Polonais
Villa Flora carré
Villa Flora
Villa Fountaine carré
Villa Fountaine
Villa Mauresque carré
Villa Mauresque
Villa Morel carré
Villa Marti – Morel
Villa Nouzillet-Clinch carré
Villa Nousillet-Clinch
Villa Rozier carré
Villa Rozier
Villa Toucy carré
Villa Toucy
Ferme carré
Ferme de Billancourt
Propriété de lady Hunlocke

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