Le vieux pont de Sèvres

C’était quoi ce vieux pont de Sèvres de la rue du Vieux Pont de Sèvres ? Nous nous sommes tous posés la question, à un moment ou à un autre. Et bien, parlons-en.

Remontons au XVIIème siècle. Le roi Louis XIV fixe sa résidence à Versailles. La cour, le gouvernement, les fournisseurs doivent se déplacer régulièrement entre Paris et le nouveau palais royal. Il existe bien une route, rive gauche, et le pont de Saint-Cloud, rive droite, mais le chemin le plus court passe par Auteuil, la ferme de Billancourt et Sèvres.

Mais, voilà, il n’y a pas de pont à Sèvres. Pour traverser la Seine il faut, à l’époque, emprunter un bac, ce qui ne sied guère à Sa Majesté.

Le roi ordonne donc la création du premier pont de Sèvres. Le choix du site est très naturel, il s’agit de passer entre le coteau de Meudon et le coteau de Saint-Cloud, en s’appuyant sur la pointe de l’île de Sèvres (qui ne s’appelle pas encore île Seguin).

Un premier projet, soumis par Claude Perrault, constructeur de la colonnade du Louvre, propose deux grandes travées de 60 mètres, mais il est jugé trop ambitieux. C’est finalement un pont en bois, de 11 travées côté Sèvres et 10 travées côté Billancourt qui sera bâti. La travée la plus large mesure près de 10 mètres. Le pont, de 20 pieds de largeur (6,5 mètres), s’appuie sur des culées de pierre bâties sur les berges.

Il ouvre à la circulation en août 1684. Il n’a pas de trottoir et est fermé dès la tombée du jour. Du côté de Sèvres, un bâtiment à deux étages est construit à son extrémité. Un porche permet le passage et le contrôle par le Maître et des commis, vêtus « à la livrée du Roy ».

Le tableau en tête d’article, visible au musée Carnavalet, est l’œuvre de Charles Léopold Grevenbroeck, vers 1740. Il nous montre le vieux pont tel qu’on pouvait le voir des hauteurs de Meudon. Celui de Bacler d’Albe, ci-dessous, nous révèle les dimensions considérables de sa charpente.

La gravure de Lespinasse ci-dessus nous montre la boucle de la Seine au XVIIIème siècle, avec Saint-Cloud et le mont Valérien au fond, depuis les hauteurs de Meudon.

Le pont abrite une chapelle. Des mariages y sont célébrés par le curé de Sèvres. Un dépôt de bois permanent est installé à la pointe aval de l’île pour les fréquentes réparations, ainsi qu’une petite maison utilisée par les entrepreneurs.

Un pont très fréquenté

Il devient un axe très emprunté par la cour, comme par les parisiens et les habitants de Billancourt qui y voient un débouché pour vendre leurs produits de la ferme sur la rive gauche du fleuve. L’animation y est permanente.

Ce tableau de Carle Vernet, de 1810 environ, pris des hauteurs de Brimborion, montre la foule des voyageurs. La route qui vient de Paris, construite en même temps que le pont, est large de 30 mètres et bordée d’arbres. C’est l’une des plus fréquentées du royaume. Qui reconnaît aujourd’hui la rue du Vieux Pont de Sèvres ?

Comme pour tous les ponts à l’époque, il faut payer. Un arrêt du conseil d’état de 1701 fixe les droits de péage à 3 deniers pour un homme à pied et 9 pour un homme à cheval. Les charrettes, carrosses et chariots payent entre 2 et 3 sols selon le nombre de chevaux de l’attelage. Le mouton ne paye qu’un denier tandis que la chèvre ou le porc en payent deux. Certains, grâce à un laisser-passer, bénéficient de la gratuité, mais lorsque les finances du roi sont en déficit les droits sont doublés.

Le péage est aussi sous le pont. Les bateaux qui descendent ou remontent le fleuve, tirés depuis le chemin de halage, doivent s’acquitter d’un droit de passage.

Le vieux pont de Sèvres est aussi une source d’inspiration pour le peintre Louis Bacler d’Albe qui en a fait une série de lithographies extraordinaires, voir notre article :

Le vieux pont dans l’histoire

Le 6 octobre 1789 le pont voit passer « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » (le roi, la reine et le dauphin) escortés par la foule en colère, en route vers Paris. À partir de cette date, Versailles n’étant plus la capitale du royaume, sa fréquentation va décliner.

Un quart de siècle plus tard, le 15 juin 1815, Napoléon est défait à Waterloo. Les prussiens de la première brigade du lieutenant-général von Zieten s’approchent de Paris par l’ouest. Pour couper leur avancée, le général François-Nicolas-Benoit Haxo ordonne de brûler le pont de bois. Le 1er juillet, trois travées sont détruites par le feu. Les prussiens sont contenus à Sèvres. Des combats d’artillerie ont lieu d’une berge à l’autre.

Après la capitulation de l’empereur, des réparations sont effectuées et la circulation est difficilement rétablie. Mais pour peu de temps car la décision de le remplacer est en réalité prise depuis longtemps.

La fin du vieux pont de Sèvres

Le pont faisait l’objet d’une maintenance constante. Les lourds convois de 60 à 80 chevaux qui acheminaient le marbre vers le château de Versailles l’ont mis à rude épreuve. En 1726 les inondations de la Seine ont entraîné plus de 400 bateaux et moulins qui se sont encastrés sur les piliers du pont.

Lors de la crue de l’an XI, le lit du fleuve a été affouillé jusqu’à 4 mètres de profondeur et sur une largeur de 22 mètres. Le pont donne des signes de faiblesse et suscite l’inquiétude. Il met en danger un axe important qui relie la capitale à une grande partie de la France, jusqu’à Bayonne.

De plus, ses arches étroites, ses dimensions et sa structure en bois ne répondent plus aux exigences de l’époque.

Napoléon prend la décision, en 1808, de construire un nouveau pont. Il sera en pierre, plus large et plus solide. Le tableau d’Achille-Etna Michallon, ci-dessous, nous montre les deux ponts côte à côte :

La démolition du vieux pont est prescrite le 6 novembre 1821. Un procès-verbal du 3 avril 1823 atteste que les démolisseurs mandatés, les sieurs Grimaux, père et fils, de Rouen, ont mené à bien leur tâche. La route de Versailles est déclassée et deviendra la rue du Vieux Pont de Sèvres (voir « la déchéance d’une voie royale« ).

Le vieux pont de Sèvres n’existe plus. Il ne figure plus au cadastre de 1823. Ou presque. Les culées de pierre, sur les berges, subsistent durant un temps, car, pour le démontage, on a fait appel à des charpentiers et on a oublié les maçons. L’oubli est réparé en novembre 1823.

Reste, sur l’île de Sèvres, un dernier vestige : la « chaussée du pont« . Il s’agit des trois grandes arches de pierre s’étendant sur 55 mètres, qui permettaient de joindre les deux ponts de bois. On ne juge pas utile de la détruire.

Armand Seguin propriétaire de l’île, construit dessus un bâtiment qui se trouve ainsi au-dessus de la limite des crues.

Le trafic circule depuis longtemps sur le nouveau pont de Sèvres, plus solide et plus large. Il est construit 200 mètres en aval. Pourquoi donc ? on vous raconte tout ça la semaine prochaine et plus encore.