Le Point du Jour, au temps des guinguettes

Le saviez vous ? Comme à Nogent, il fut une époque où des employés, ouvriers, boutiquiers en habits du dimanche, venaient s’amuser à la belle saison au Point du Jour. Le «Village de Billancourt » va vous raconter cette histoire.

Tout commence avec l’Exposition Universelle de 1867 lorsqu’une compagnie lyonnaise de bateaux omnibus obtient une concession et établit son terminus-embarcadère sur la berge d’Auteuil. L’opération s’avère rentable et survit à l’Exposition. Sur cette large plate-forme formée par la berge s’installe une foire bientôt permanente qu’une foule en mal de distractions et de plaisirs bruyants alimente.

Cette foule hésite notamment entre le café-concert des Bâteaux-Omnibus ou celui du Cadran, deux beuglants où se produisent des chansonniers, mimes, acrobates et autres chiens savants, affichant «…des façades en bois peinturluré, découpées à la mécanique, bâties à la diable, déteintes par tous les soleils et toutes les pluies » selon Joris-Karl Huysmans dans sa nouvelle « Autour des fortifications ».

Ou alors, elle peut tenter sa chance dans les stands de tir ou auprès des joueurs de bonneteau qui l’emportent  toujours après avoir laissé aux naïfs gagner quelques pièces. L’ambiance est bon enfant, on se frotte aux mauvais garçons et aux « pierreuses ». Mais la police veille : nous voici rassurés.

Bien vite, cette bonne fortune s’exporte au delà des fortifications sur l’ancien chemin de hallage de Billancourt qui ne portera l’appellation « quai du Point du Jour » que suite à une décision du conseil municipal du 29 juin 1892. Curieusement, le quai est intitulé du nom d’un quartier qu’il ne traverse pas puisque ce dernier se situe derrière la porte de St Cloud !

Rien de bien original pourtant sur ces 500 mètres du quai du Point du Jour entre l’octroi de la porte de Billancourt, aujourd’hui au débouché du boulevard Murat sur le quai, et le Gymnase Bonnaire, aujourd’hui sur les terrains du stade Pierre de Coubertin. Mais passé l’octroi, le contraste est saisissant entre un secteur parisien tapageur et la simplicité toute campagnarde de cette zone de verdure où broutent des vaches.

A gauche, un marchant du vin typique puis le gymnase Bonnaire avec ses grands arbres, et au loin Auteuil. Cette zone de 500 mètres du quai était celle des guinguettes de Billancourt.

Ce territoire est à présent parisien. Pour bien le situer aujourd’hui voir la carte interactive

Il faut d’abord faire preuve d’imagination pour trouver du charme à ces terrains incultes, couverts de chardons, de ronces, de matériaux de démolition, submergés tous les hivers, d’autant plus que l’usine des produits chimiques Billaut-Billaudot s’y est installée.

Mais bientôt les spectacles de variétés, les manèges, les bals de plein air, les buvettes et les guinguettes avec leurs tonnelles où l’on déguste de la friture et du vin des coteaux de Seine, vous ravissent. Et le choix est large. Voilà qui console de bien des soucis de la semaine.

Casquettes, canotiers, redingotes, chapeaux à fleurs et robes à volants, se fondent sous les arbres, dans les éclats des voix et du soleil, le miroitement de la rivière si proche, les rires, les refrains … quand on s’promène au bord de l’eau, au trémolo des p’tits oiseaux…

Parmi les plus populaires de ces lieux de réjouissances, on trouve le « Gymnase Bonnaire », fondé en 1873 par un vieil artiste de cirque qui fit la renommée de l’hippodrome de l’Alma sous le second Empire. Il fait aussi restaurant ; on y sert des moules frites.

Voyez, à gauche, cette guinguette avec sa tonnelle : elle est typique des baraques en bois de démolition qui jalonnaient alors le quai. La « buvette de la marine », une construction plus « sérieuse », la remplacera (voir la carte interactive).

Le concurrent de Bonnaire, plus en amont vers les fortifications, s’intitule « les Marronniers ». C’est aussi un gymnase-restaurant où l’apéritif-concert-matelote est à un franc. Les clients sont prévenus que « nous aimons la pêche » : qu’on se le dise !

Ces deux gymnases implantés sur de larges terrains plantés de grands arbres voient s’entraîner, dans de hauts portiques équipés de trapèzes, les Maximes, les Alex, les Aleximes, les Paris, les Angevols, les Aéros…les meilleurs voltigeurs de leur temps.

Et ce tourbillon de danses et de chansons qui, le vin aidant, vous tourne parfois la tête vous entraîne tard dans la nuit.

Mais il ne fait pas bon, une fois les bals fermés, traîner dans ce quartier qui retrouve son aspect miséreux et peu rassurant.

Hélas, les belles histoires ayant une fin, les derniers lampions de la fête s’éteignent après la Grande-Guerre. C’est l’hiver dira Prévert. Il est vrai que la nouvelle usine O de Renault ne fait pas bon voisinage avec ce commerce de la gaieté.

La nostalgie pourra bien enjoliver ces beaux moments, qui se souvient encore de cette époque ?

Le « Village de Billancourt » aurait pu évoquer d’autres lieux de réjouissance plus en aval comme le « Petit Robinson » ou le « Ballon de Pierre » où l’on se rend en bateau, à la pointe de cette île de Billancourt qui ne s’appelle pas encore St Germain.

Merci aux bulletins municipaux de Boulogne-Billancourt dont 2 articles ont alimenté ce post. Merci également aux auteurs de l’article en ligne « les Marronniers »  http://germain-aeros.chez-alice.fr/Les_marronniers.htm.

Les gravures sont dues à Auguste Lepère en illustration de la nouvelle de Joris-Karl Huysmans, de 1886, évoquée plus haut, disponible à la BNF