Sur la piste de Casimir de Gourcuff

En début d’année, le Village de Billancourt a décidé d’entrer en contact avec les descendants de Marie Casimir Auguste de Gourcuff, l’homme qui a transformé, en 1826, la ferme médiévale de Billancourt en un lotissement résidentiel moderne. Nous avions ainsi l’espoir de recueillir davantage d’informations sur l’homme, sa famille et la vie à la ferme de Billancourt.

Extrait du "Nouveau Village de Billancourt".
Extrait de la plaquette « Nouveau Village de Billancourt ». Archives nationales.

Nous cherchions surtout la réponse à une question non résolue : Gourcuff étant mort en 1866 (et les terrains alentours étant déjà vendus à Bonnard), qu’est-il advenu des bâtiments de la ferme avant leur rachat par Louis Renault au début du XXème siècle ? Est-elle passée entre les mains de ses héritiers ? A-t-elle été vendue ? Et si oui, à qui ? Nous avions là une lacune d’un tiers de siècle.

Et bien, nous avons la réponse !

Mais tout d’abord, comment avons-nous retrouvé la famille ? Une petite recherche généalogique nous a permis d’identifier les descendants directs, les plus à même d’avoir conservé des archives familiales. Mais comment les contacter ? Un généalogiste, approché via le site Geneanet et se trouvant être un cousin éloigné de la famille, nous a communiqué une adresse. Nous avons donc préparé et posté un courrier à l’actuelle comtesse de Gourcuff, lui décrivant les raisons de notre démarche, avec une copie de notre article « le génial Marie Casimir Auguste de Gourcuff ». Le courrier est finalement arrivé chez son fils, le comte Arnaud de Gourcuff et son épouse Dorothée. Il est l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de Casimir.

Marie Casimir Auguste de GOURCUFF 1780-1866
&1814 Agathe Joséphine de COËTNEMPREN de KERSAINT 1793-1873
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Henri de GOURCUFF 1832-1896
&1876 Marie Louise de VILLÈLE 1834-1909
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Hervé de GOURCUFF 1872-1952
&1902 Marguerite de MONTSAULNIN 1877-1944
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Alain de GOURCUFF 1903-1994
&1926 Odette Le LOUP de SANCY de ROLLAND 1907-1993
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Jean-Louis de GOURCUFF 1935-2019
& Dominique ZUBER 1937
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Arnaud de GOURCUFF 1967
& Dorothée WIGNY 1969

Notre courrier a été formidablement bien accueilli ! Il s’est vite transformé en échange de mails. Tous deux occupent le château familial de Fontenay, à Tendron, dans le Berry. Un magnifique château du XIXème siècle, entouré d’un grand parc, entre Bourges et Nevers.

Première surprise, la version définitive du portrait d’Horace Vernet, que nous avions publiée, leur était inconnue. Ils en possèdent bien une ébauche au château, mais celle-ci est incomplète. Trop heureux de leur avoir été utile.

Plus intéressant, ils nous ont communiqué un autre portrait qui se trouve maintenant dans le château, et il est magnifique ! Le voici:

Auguste Casimir Marie comte de Gourcuff_1780-1866 par François Gerard (a conf)
Auguste Casimir Marie comte de Gourcuff 1780-1866, attribué à François Gerard.
Propriété familiale.

Il serait l’œuvre de François Gérard, un élève de Jacques-Louis David. A en juger par l’âge du modèle, il pourrait dater de la période où Gourcuff arrive à Billancourt. Il a 45 ans en 1825 lorsqu’il acquiert notre ferme déclinante de 50 hectares avec des projets plein la tête. Voici donc à quoi ressemblait l’homme qui transforma Billancourt ! La famille en conserve également une petite copie, ainsi que des mèches de ses cheveux.

Nous avons également reçu une photo de son épouse Agathe Joséphine, qui donna naissance à quatre garçons et trois filles. Nous avons trouvé la trace du mariage de l’ainée à Billancourt.

Agathe Joséphine de Coëtnempren de Kersaint, comtesse de Gourcuff 1793-1873. Propriété familiale

Et ce n’est pas tout. Le père d’Arnaud, le comte Jean-Louis de Gourcuff, décédé il y a peu et mémoire de la famille, avait constitué une notice très intéressante sur Casimir.

Et c’est cette notice qui répond enfin à notre grande question : qu’est devenue la ferme de Billancourt entre 1866 et 1900 ? Entre la mort de Gourcuff et l’achat par Renault ? Et voici la réponse : La famille Gourcuff n’a pas vendu à Renault, puisque deux ans après la mort de Casimir, en 1868, sa veuve vend finalement la propriété aux Dames de l’Abbaye aux bois.

Mais qui étaient ces dames de l’Abbaye aux bois, nouvelles propriétaires de la ferme de Billancourt?

L’abbaye-aux-Bois est un ancien couvent de bernardines situé à Paris au 16, rue de Sèvres et au 11, rue de la Chaise dans le 7e arrondissement. Le couvent est supprimé durant la révolution. Les bâtiments, deviennent une prison durant la Terreur, puis sont vendus. Une ordonnance royale du 18 novembre 1827 permet l’installation des chanoinesses de Saint-Augustin dans les bâtiments de la rue de Sèvres. Celles-ci y installent une maison d’éducation, et louent une partie à des dames seules de la haute société. C’est dans l’aile transformée en maison de repos que madame Récamier, en difficulté financière, vécut de 1819 à 1849.

Juliette Récamier dans sa chambre de l’Abbaye aux Bois, à Paris. Source : Wikipedia.

Alors, qu’est devenue la ferme de Billancourt entre les mains des dames de l’abbaye au bois ? A-t-elle hébergé d’autres dames de la haute société ? A-t-elle été exploitée à des fins d’élevage ? Utilisée comme maison de campagne ? A-t-elle été laissée à l’abandon ? A-t-elle été revendue avant 1900 ? Et si oui, à qui ? D’autres questions qui trouveront sûrement leur réponse dans les archives de l’Abbaye au bois. Nous avons encore du pain sur la planche.

Le Village de Billancourt garde le contact avec la famille de Gourcuff. Qui sait, peut-être trouvera-t-on d’autres informations sur Billancourt dans les archives familiales ?

Pour être complet, nous reproduisons ci-dessous in extenso, la notice rédigée par feu le comte Jean-Louis de Gourcuff. Elle donne des information intéressantes sur l’homme qu’il était, sa vie avant et à Billancourt :

« Auguste, Marie, Casimir de Gourcuff (1780-1866) est né à Quimper dans une maison appartenant à sa mère et qu’il vendit en 1830. En 1789, il était élève au collège de Vendôme. Ses parents décidèrent de le faire passer en Angleterre au début de la Révolution, et ce fut une femme de service qui fut chargée de l’embarquer afin de ne pas attirer l’attention. Elle commit l’imprudence de lui laisser pendant le voyage une timbale en argent qui éveilla bien des soupçons. Il retrouva à Jersey ses parents qui l’emmenèrent en Allemagne. Il aida ses parents aux dépenses de la famille en travaillant dans une épicerie et chez un banquier. Il rentra en France en 1802, et fut dispensé du service militaire comme n’ayant pas la taille voulue (il mesurait 1 mètre 58).
Il constitua un dossier sérieux pour certifier qu’il n’avait jamais quitté la France : séjour à Bouillé-Menard en Maine et Loire d’août 92 à octobre 93 et de mars 95 à 1799. Un certificat d’amnistie lui fut délivré, et son nom fut rayé de la liste des Emigrés. Bien au courant des mesures à prendre, sa sœur n’est certainement pas étrangère à ces démarches.
Fin 1802, il repart à Londres où il travailla dans une banque et s’intéressa aux questions d’assurances. Au cours de ses aller et retour sur Paris, il rencontre Mademoiselle de Kersaint née en émigration. Il se marièrent en 1817 à Quimperlé. Ils quittèrent peu après la Bretagne où ne les retenaient plus que des souvenirs ; le château du Cosquer dont le comte de Gourcuff avait hérité de sa mère, fut vendu par lui à son beau-frère le comte de Kersaint.
Il revint définitivement à Paris quelques années plus tard et devint l’associé de Roman Vassal, directeur de la maison de banque Vassal, 4 rue du Faubourg Poissonnière. Monsieur Vassal avait été désigné en janvier 1818 avec sept autres négociants comme administrateur d’une société en formation destinée à assurer les risques maritimes, les risques d’incendie et la vie des hommes. Par suite de la résistance des pouvoirs publics, l’autorisation de fonctionner fut donnée, d’abord, à la branche maritime, seule, le 22 avril 1818. Elle fut accordée à la branche incendie le 14 février 1819, et le 22 décembre 1819 à la branche Vie.
Le 3 juin 1818, la première assemblée Générale eut lieu chez l’un des administrateurs Monsieur Ternaux-Rousseau, et elle nomma Directeur Auguste Casimir de Gourcuff, qui, à mesure que les deux autres branches furent fondées, en fut également nommé Directeur, et il eut ensuite le titre de Directeur Général. La Compagnie d’Assurances Générales s’installa d’abord 8 rue du Faubourg Poissonnière, puis successivement au fur et à mesure de son développement 7, rue Le Pelletier, en 1819, 19, rue de Provence, et enfin en 1822 87, rue de Richelieu (ancien hôtel de Roquelaure) que la Compagnie acheta en 1851, démolit et fit reconstruire en 1859. Très en avance sur son époque, le comte de Gourcuff instaura en 1850 un fonds de pension alimenté par un prélèvement de 5% sur les bénéfices de la compagnie, au profit du personnel retraité.
En 1857, les actionnaires de la Compagnie tinrent à témoigner à son Directeur leur reconnaissance et leur sympathie et prièrent le Conseil d’Administration de faire exécuter « un beau portrait » de M de Gourcuff qui resterait placé dans la grande salle du Conseil, « Ce portrait rappellera à nous et à nos successeurs qu’il fut le fondateur de la Compagnie en 1819 ; que depuis 36 ans, il n’a pas cessé d’en être le directeur ; et que c’est aux hautes qualités qui le distinguent que nous devons la prospérité remarquable et toujours croissante à laquelle sont arrivées les affaires de la Compagnie ».

« Ce portrait de Horace Vernet dont une copie est au château familial de Fontenay, est toujours au siège de la Compagnie en dépit des essais infructueux de la famille pour le récupérer au moment de la nationalisation. A sa demande, le Conseil d’Administration accepta sa démission le 1 janvier 1862 afin qu’il puisse prendre un repos bien justifié.
Il fonda une compagnie qui fut chargé en 1825 d’acheter, partager et vendre 56 hectares de terrains situés à Boulogne-Billancourt en face de l’île Seguin (anciennes usines Renault). Il fit éditer une plaquette sur « le nouveau village de Billancourt » :

« Une compagnie vient d’acquérir une partie de la plaine situé entre la Seine et l’ancienne route de Sèvres. Elle se propose d’y former un village composé de maisons de campagne ; le site y est agréable, la route qui y conduit très belle, : on y est près d’Auteuil, du bois de Boulogne, de Saint-Cloud et de Sèvres ; on n’est sépare de Meudon que par la rivière : tous les environs offrent de jolies promenades, et cette position est une des plus agréables que l’on puisse trouver près de la capitale.
Ce village réunira tout ce qui peut contribuer à en faire un séjour d’agrément; des rues plantées et bien disposées, une place publique, une église, une belle promenade déjà existante et aboutissant à la rivière. La Compagnie a, de plus, pris des dispositions qui lui permettront de fournir, dès l’année 1826, la quantité d’eau de Seine que l’on pourra désirer dans chaque habitation. On propose aussi d’établir un bac ou un pont communiquant avec Bas-Meudon. Le village de Billancourt ayant de toutes parts des abords faciles, est cependant assez éloigné de la grande route de Sèvres pour n’être pas exposé à l’inconvénient de la poussière.
Tant d’avantages réunis ne peuvent manquer d’attirer l’attention des personnes disposées à dépenser une somme de 30 à 60.000 francs pour se procurer une habitation agréablement située. La Compagnie a divisé les terrains de manière à ce qu’ils puissent être à la portée de toutes les fortunes ; et, quant aux constructions, la proximité de la rivière facilite les transports de matériaux qui, pour la plupart, se trouvent à petite distance, ce qui permet de les obtenir à des prix plus modérés.
L’agrandissement de Paris s’opère dans la direction de l’ouest ; la construction de la gare, du pont et du port de Grenelle va donner une nouvelle vie à tout ce qui l’environne ; les terrains à Passy, à Auteuil, à Sablonville, à la Folie Saint-James, à Boulogne, ont acquis une valeur telle qu’ils se vendent couramment de 25 à 45 francs la toise ; l’accroissement de la prospérité et de la fortune publique leur donne chaque jour un plus grand prix. Les terrains à Billancourt n ‘ont pas encore atteint des prix aussi élevés ; ils offrent, aux personnes qui voudront en acquérir, la double perspective de jouir d’habitations agréables, et d’obtenir dans peu d’années une augmentation de la valeur qui peut facilement s’élever au-delà du double du prix d’acquisition. La Compagnie prendra en paiement des terrains ses propres actions, à 10 pour cent de bénéfice. S’adresser, pour traiter des terrains, à :

M. de Gourcuff, gérant de la Compagnie, rue de Richelieu N° 97 ;
M Baudesson, notaire de la Compagnie, rue Montmartre n° 160 ;
M. de la Guépière, agent de la Compagnie, rue de Seine n° 66 ;
MM Piron et Duponchel, architectes, rue de Montholon n° 24 »

Plan parcellaire 1926 le Nouveau Village de Billancourt
Plan parcellaire 1926. le Nouveau Village de Billancourt. Archives nationales

« L’opération ne fut pas une réussite, il vendit la plupart des terrains à Bonnard et Cie en 1855 pour la somme de 750.000 francs, et à sa mort, il se retrouva avec 3,5 hectares de terrain, où était implantée sa résidence d’été ; ce terrain que la Comtesse de Gourcuff loua jusqu’à sa mort, fut vendu en 1868 aux Dames de l’Abbaye aux bois.
Il possédait en outre un hectare à Grenelle. II fit bâtir la première église de Billancourt, une grande chapelle desservie chaque dimanche par un prêtre d’Auteuil. »

Eglise de l'Immaculée Conception. Place de l'église (Bir-Hakeim). Vers 1900.
Eglise de l’Immaculée Conception. Place de l’église (Bir-Hakeim). Vers 1900. Source : Steve Legere.

« En 1822, il s’intéressa à la politique en briguant un poste de député en Bretagne ; il fut nommé président du 4ème collège électoral du Finistère (Quimper). Une forte opposition royaliste soutenait le général de Cheffontaines candidat poussé par le ministre de l’intérieur. Afin de ne pas favoriser l’élection du candidat libéral, le comte de Gourcuff retira sa candidature, avisa Cheffontaines de sa décision, remplit sa mission en tant que président du collège électoral, et il semble qu’à partir de cette date, il se soit désintéressé de la Bretagne. Il commença à vendre la plus grande partie des biens qui lui restaient. Néanmoins, il ne s’est nullement désintéressé des Bretons puisque son appartement de la rue de Richelieu et sa maison de Billancourt étaient connus pour les accueillir.
Le Comte de Gourcuff mourut en l’hôtel de la rue de Richelieu le 17 mai 1866, et fut inhumé dans la chapelle mortuaire du vieux cimetière de Suresnes. A sa mort, il laissa à sa veuve en plus des meubles meublants, argenterie et bijoux, une somme de 20.000 francs en capital et une rente annuelle de 24.000 francs. »

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