Quand les tramways se mettaient la pression

Imaginez, nous sommes sur le quai du point du Jour, au début du XXème siècle, à l’endroit où verront le jour les Squares de l’Avre et des Moulineaux, à côté du cimetière. Sur ce terrain isolé est installée depuis janvier 1898 une usine qui nous pompera l’air durant de nombreuses années : une usine à air comprimé. Mais que fait une telle usine à Billancourt ?

Elle est la propriété de la Compagnie Générale des Omnibus. Quel rapport entre omnibus et air comprimé ? Ça nous a intrigués, au Village de Billancourt et voici le résultat de notre enquête.

La Compagnie Générale des Omnibus est une grande compagnie privée de transports urbains créée en 1855. Elle est titulaire d’une concession délivrée par la Ville de Paris et est l’ancêtre de la RATP.

Les transports collectifs parisiens ont longtemps roulé tirés par des chevaux, on les appelait alors « omnibus ». A partir de la fin du siècle, on expérimenta d’autres sources d’énergie comme la vapeur et, vous l’avez deviné, l’air comprimé ! Hé oui, silencieux et non-polluant, l’air comprimé présentait bien des avantages.

Le tramway à air comprimé

Louis Mékarski est un ingénieur français d’origine polonaise né en 1853 à Clermont-Ferrand. Il perfectionne les machines à air comprimé de son temps en faisant agir sur les pistons, comme fluide moteur, non simplement de l’air comprimé sec et froid, mais un mélange d’air comprimé et de vapeur d’eau. Son système marche à forte pression, ce qui permet d’emporter plus d’air dans les réservoirs et accroit donc la durée de fonctionnement.

Les premières expérimentations ont lieu en 1876. Il crée la Société des Moteurs à Air Comprimé pour exploiter son invention et une première ligne de tramway à air comprimé est inaugurée le 12 février 1879 à Nantes, avec succès.

Il présente ce nouveau mode de locomotion à Paris lors de l’exposition universelle de 1878, devant le président de la République Mac-Mahon. Des automotrices suivant son procédé sont mises en exploitation dans la capitale à partir de 1894.

L’automotrice Mekarski, photographiée ci-dessous sur la place Rhin et Danube a été mise en service en 1900 par la CGO sur la ligne TA. Cette ligne vous transporte du Louvre à Saint-Cloud, en empruntant la route de la Reine sur toute sa longueur.

Son châssis cache, sous ses jupes, de grands réservoirs d’air comprimé à 25 bars qui actionnent les pistons de la machine par un système de tiroir. L’air sous pression produit par l’usine est distribué par des canalisations en des points du réseau dits « stations de biberonnage » où les réservoirs sont rechargés.

La CGO exploite 148 véhicules de ce type. Ils pèsent 14 T, sont longs de 8,32 m et larges de 2 m. Ils offrent 52 places : 20 dans le compartiment, 4 sur la plate-forme et 28 sur l’impériale. Le tramway tire souvent une remorque, et c’est parfois un ancien omnibus hippomobile (Hé oui, on recycle les anciens équipements).

Au début du XXe siècle, l’usine de la CGO est agrandie pour ajouter des compresseurs et atteint une longueur de 120 mètres. C’est alors, avant Renault, la plus grande usine de Billancourt.

L’abandon de l’air comprimé

Mais les tramways à air comprimé sont chers et fragiles. Ils seront détrônés par l’électricité. A partir de 1912, la Compagnie Générale des Omnibus investit massivement dans l’électrification de son réseau. Les tramways Mekarski disparaissent de la capitale en 1914. Le dernier véhicule de ce type circule encore à la Rochelle en 1929.

Lors de la première guerre mondiale, notre usine à air comprimé du quai du Point du Jour est transformée en dépôt de tramways et ateliers de réparation. Les bâtiments des squares de l’Avre et des Moulineaux seront bâtis au même emplacement dans les années 30. Mais c’est déjà une autre histoire…