L’immeuble décoiffé de la rue Yves Kermen

C’est un bel immeuble proche de la place Jules Guesde, devant lequel on passe peu. Autant dire que seuls les riverains le connaissent, et encore… Vous le trouverez à l’angle des rues Heinrich et Yves Kermen, au numéro 34 de cette rue, face à l’école du numérique (l’école bleue). Ce qui frappe au premier abord, sur cette photographie des années 1910, ce sont ses quatre toits pointus et son élégant bulbe qui lui donnent cette belle allure, bulbe qui n’a rien à voir avec l’immigration russe d’après-guerre.

Aujourd’hui l’immeuble a perdu sa coiffe.

Tout beau tout neuf.

Sa façade a été rénovée tout récemment. On peut enfin admirer le rez-de-chaussée en pierre de taille avec ses détails sculptés, les trois nuances de brique, ses bow-windows et ses larges toitures débordantes.

Le haut de la façade est orné de motifs en grès flammé de Gentil et Bourdet, un savoir-faire Billancourtois diffusé dans toute la France.

Qui est à l’origine de cet immeuble ? Le terrain de 950 m² est acquis en juin 1910 par un ancien administrateur du « Bon Marché », Monsieur Camut, pour 22 000 francs. Il obtient l’autorisation de bâtir un immeuble de rapport comprenant 30 appartements, desservis par trois escaliers avec trois boutiques. A partir de 1912 il met les appartements en location.

L’architecte qui a sauvé la cathédrale de Noyon

L’architecte, André Collin, a 37 ans à sa construction en 1912. Il est alors Architecte en Chef des Monuments Historiques. Cette même année, il participe aux épreuves artistiques des jeux olympiques de 1912 (oui, ça a existé) dans la catégorie « architecture ».

Quelques années plus tard, après la Grande Guerre, il se verra confier le difficile chantier de restauration de la cathédrale de Noyon (Oise), ravagée par les bombardements alliés de 1918 qui ont chassé les allemands. Un chantier qui durera 20 années, jusqu’en 1938, et qui restera son œuvre majeure.

cathédrale de Noyon. André Collin
Cathédrale de Noyon. André Collin. Inventaire Hauts-de-France.

Il sera nommé adjoint à l’Inspection Générale en 1929 puis Inspecteur Général des Monuments Historiques en 1938. Il meurt en 1966.

La coopérative Renault

Retournons à Billancourt. Après la première guerre mondiale, les locaux commerciaux du rez-de-chaussée abritent des magasins de la coopérative Renault. Les employés de l’entreprise peuvent s’y approvisionner à bon prix à proximité des réfectoires et du dispensaire qui, eux, sont situés entre la rue Heinrich et la rue du Point du Jour. Contrairement à ses habitudes, Renault n’achète pas l’immeuble.

Dans le recensement de 1921, on compte 65 personnes avec leurs familles. Il s’agit essentiellement d’ouvriers, probablement de chez Renault, mais aussi des employés de commerce, un agent de publicité ou un marchand forain.

M. Camut décède en 1934. L’immeuble revient à sa femme et à ses enfants.

L’immeuble résiste aux bombardements alliés de la seconde guerre mondiale. Une bombe tombe devant l’immeuble, l’autre derrière.

Madame Camut décède en 1954. Ses héritiers décident de vendre chaque appartement, permettant ainsi à de nombreux locataires d’acquérir leur logement.

Les toitures pointues disparaissent des photos aériennes de 1956. Elles ont été supprimées à l’occasion de la réfection de la toiture en 1955, trop coûteuses à refaire. Construite avant la forte industrialisation du quartier, ce type de toiture bourgeoise était probablement un luxe hors de portée des nouveaux propriétaires. Dommage.

Le 34 de la rue Yves Kermen restera l’un des témoins privilégiés du vieux Billancourt, dans notre quartier en profonde mutation.


Article enrichi en décembre 2022 pour prendre en compte des informations historiques complémentaires de S. Guinel.

One Reply to “L’immeuble décoiffé de la rue Yves Kermen”

  1. Mon arrière grand-père que je n’ai pas connu et mon arrière-grand-mère (avec sa jeune fille au pair qui deviendra ma marraine) habitaient au 5ème et dernier étage, à droite sur la photo, jusque dans les années 70 à son décès. J’y allais gamine et je me souviens qu’il fallait monter les 5 étages à pieds. Je me rappelle aussi très bien de la pièce aux 3 fenêtres chez elle qui était un puits de lumière. Toute ma famille maternelle travaillait chez Renault depuis sa création. Ma grand-mère était d’ailleurs la secrétaire d’un des frères Renault. Mes grands-parents étaient résistants FFI pendant la guerre et fabriquaient des armes en douce dans l’usine. Il me reste quelques rares photo prises dans l’usine et leurs cartes d’accès à l’usine. Lætitia, descendante de la famille Rub et Parisse.

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