Nous avons beaucoup évoqué la ferme monastique de Billancourt, au Village, mais que produisait-elle ? Que trouvait-on à la place de nos rues et de nos immeubles il y a plus de 200 ans ?
La ferme de Billancourt, propriété de l’abbaye Saint-Victor de Paris, était l’une des plus grandes fermes proches de Paris. Sa superficie de plus de 110 hectares permettait certainement d’atteindre des productions notables.
Billancourt n’est pas la Beauce, le sol a toujours été de qualité médiocre. Les rives de la Seine sont peu fertiles, la faute à la présence de sables, comme de nombreux écrits en attestent.

Malgré nos efforts, nous n’avons pas (encore) retrouvé de registres de comptes permettant de se donner une idée précise des volumes cultivés sur ses huit siècles d’existence, mais nous avons une bonne description des espèces.
En France, avant 1800, un hectare de terre produisait en moyenne 6 quintaux de blé par an, c’est dix fois moins qu’aujourd’hui ! La terre était laissée en jachère une année sur trois. A supposer que 60 hectares étaient dédiés aux céréales, on peut donc estimer cette production à 36 tonnes annuelles.
Dans le contrat de délaissement de 1772, qui fait de Nicolas de Claessen le propriétaire de fait de la ferme, on trouve d’autre chiffres à caractère agricole. En contrepartie de la pleine propriété, de Claessen est tenu de reverser chaque année à l’abbaye de Saint-Victor, ancien propriétaire, une redevance en nature : « 20 septiers de blé (2,3 tonnes), 30 septiers d’avoine (3,5 tonnes) et deux milliers de bottes de foin. » Nous estimons donc cette redevance à 15% de la production céréalière annuelle de la ferme.

Avant cela, les archives évoquent également une exploitation importante des saules durant des siècles sur les iles et en bord de Seine, pour la fabrication d’osier utilisé en vannerie. On sait aussi que la plaine de Billancourt était largement peuplée de moutons comme nous raconte au XVIIème siècle Louis Balthazar Néel dans son étonnant « Voyage de Paris à Saint-Cloud par mer« . Les documents nous relatent également la présence de chiens de garde qui aboyaient si fort que les bourgeois d’Auteuil pouvaient les entendre.
Les remises à gibier du domaine
Le domaine de Billancourt est situé sur un terrain de chasse royal. A ce titre, il est soumis à l’obligation de préserver des remises à gibier. Il s’agit de bois ou bosquets destinés à constituer à la fois une refuge et une réserve de gibier. Les remises étaient impopulaires, à Billancourt comme ailleurs. Ces parcelles ne pouvaient pas être exploitées et les animaux qui s’y réfugiaient détérioraient régulièrement les récoltes. Bien sûr, il était interdit de les chasser.
Sur le domaine, on trouvait la « remise du haut de la Cure », la « remise de Billancourt » et le « buisson des arches », sous la responsabilité la Capitainerie des Chasses de la Varenne des Tuileries . La révolution mettra un terme à ces privilèges.


Un tableau plus précis avant la révolution
A l’aube de la révolution française, trois comptes-rendus de visite de 1762 à 1782 nous donnent des éléments plus précis. Sur les illustrations qui suivent nous avons localisé les espèces cultivées et les espèces d’arbres sur l’ensemble du domaine. Derrière le mot « grain », il faut entendre blé, avoine ou seigle, les espèces les plus courantes en région parisienne. Pour le fourrage, la luzerne côtoie le sainfoin. On mentionne quelques vignes à l’extérieur et à l’intérieur de l’enceinte de la ferme.

Le jardin potager et le grand clos (aire agricole clôturée), étaient à l’abri des vols, derrière des murs ou des haies vives.

Parlons un peu d’élevage : les textes mentionnent un poulailler et une porcherie mais de petites dimensions, probablement réservés à un usage local. Les principaux bâtiments d’élevage ont curieusement vu défiler des espèces différentes : En 1762 il s’agissait de bergeries, en 1773 d’étables puis en 1782, d’écuries. Pourquoi de tels changements en si peu de temps ? On ne sait pas.

A la veille de la révolution, en 1788, la sécheresse et de violents orages s’abattent sur la France. Les récoltes sont catastrophiques. Les prix du blé flambent. Le pain se fait rare et cher.
La révolution française rebat les cartes
La population en colère blâme le pouvoir royal. En octobre 1789, elle va chercher le roi à Versailles. Celui-ci est contraint de rentrer à Paris et traverse la plaine de Billancourt sous les cris des femmes qui scandent « Nous ne manquerons plus de pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ».
Le domaine de la ferme est alors entre les mains de Jean Riffé depuis 1786, un bourgeois peut intéressé par l’agriculture qui tentera d’y établir une blanchisserie industrielle. Il faudra qu’on en parle un jour. Il loue les terrains. On trouve aux archives nationales un « état des terrains loués verbalement pour l’année 1790 ». La moitié des 68 hectares du domaine est ainsi louée à pas moins d’une trentaine de personnes, pour des parcelles allant de 20 perches (500 m²) à 10 arpents (3,5 hectares). Les terrains hauts, loin de la Seine (donc à l’abri des crues), sont loués à 12 livres l’arpent (2 500 m²) alors que les terrains bas sont laissés à 10 livres.
Les expériences scientifiques du botaniste Augustin Sageret


En 1791, la ferme de Billancourt est acquise par un jeune botaniste de 28 ans : Augustin Sageret, qui deviendra un des fondateurs de la Société d’Horticulture de Paris. Il fait de la ferme de Billancourt un lieu d’expérimentation scientifique. Il décrit la terre comme « assez fertile, ni trop grosse ni trop légère » . Elle forme une couche de « six mètres d’épaisseur jusqu’au lit de sable sur laquelle elle est assise« . Ses expériences pour en mesurer la fertilité donnent des résultats inégaux.
Il s’intéresse à la pomme de terre, promue avec succès par Parmentier qui la considère comme le moyen d’éradiquer définitivement la famine en France. Soutenu par la société Royale et Centrale d’Agriculture, dont il est membre, Sageret effectue à Billancourt des semis de pomme de terre en 1792, 1793 et 1794 et obtient un « très grand nombre de variétés » qu’il distribue. L’une d’elles porte son nom.

Après 16 années passées à Billancourt, Sageret revend le domaine pour conduire d’autres expériences dans la gâtinais. Il deviendra un des spécialistes français des arbres fruitiers.
Il sera surtout l’un des pionniers de l’hybridation végétale (croisement de variétés pour en accroitre leurs qualités). Il sera le premier à utiliser le terme « dominant » pour caractériser la prépondérance de certains caractères. Ce terme sera compris lorsque les lois de la génétique seront établies par Georg Mendel.
L’agriculture cède lentement la place au Village de Billancourt
A partir de 1805 le domaine passe entre les mains de Roch Chevalier, propriétaire parisien. En 1824, il donne 54 hectares de terres en location à Auguste Encelain, avoué au tribunal de la Seine.
Les 60 hectares du domaine sont ensuite acquis en 1825 par Casimir de Gourcuff qui en fera « le Village de Billancourt« , une zone résidentielle pour parisiens en mal de campagne. Au milieu des champs, il trace des rues, découpe des parcelles et les propose à la vente.

Le lotissement ne connait pas le succès espéré et les parcelles ont du mal à trouver preneur. Pour ne pas laisser les terres inexploitées, Gourcuff contracte donc des baux agricoles. En 1834 un premier bail accorde l’exploitation des 34 hectares de terre labourable à M et Mme Dufour. Bien sûr, les terrains restent en vente et, si un acquéreur est intéressé par une parcelle, une clause permet à Gourcuff de la récupérer, moyennant une indemnisation plus ou moins importante selon que le terrain a été semé ou non.
Cinq années plus tard, Gourcuff n’a vendu que 2 hectares. Un nouveau bail agricole est signé en 1839 pour 32 hectares avec Jacques Benjamin Delaguepierre. Il lui donne également l’autorisation d’utiliser la grange de la ferme. Celui-ci est un de ses fidèles employés depuis ses débuts. Sur le plan ci-dessous, les terres objet du bail sont figurées en couleur. On le voit, à cette date la moitié du domaine de Billancourt est encore agricole. On ne sait pas bien ce qu’il y cultive mais on sait que les terres sablonneuses autour de Paris sont de plus en plus utilisées pour des cultures maraîchères et que cette tendance va s’accentuer au fil du siècle. Le reste est constitué de grandes propriétés et de prés.

Terres d’en haut = vert et terres d’en bas = jaune.
En 1848 il reste encore 27 hectares de terre agricole et un troisième et dernier bail sera signé avec Joseph Chorin, nourisseur (éleveur et producteur de lait).
En 1855, Gourcuff, âgé, cède finalement les 28 hectares de terres invendues au promoteur Bonnard. Celui-ci les relotit en parcelles plus petites, monte des opérations de vente aux enchères et réussit à les vendre l’une après l’autre. Les champs et prés disparaissent rapidement au profit des parcs et jardins.
Cette fois, c’est la bien fin de l’ère agricole à Billancourt, Le domaine de la ferme aura duré sept siècles.
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