Mais quel est ce curieux bâtiment circulaire ?

Voila en effet un bien étrange édifice ! Implanté au début du 20ème siècle près du pont de Sèvres, rue Collas aujourd’hui disparue, et d’une surface au sol estimée à 160 m2, sa hauteur devait avoisiner les 40 mètres. Bombardé durant la seconde guerre mondiale, il ne fut pas rebâti car jugé dépassé, inutile.

Alors, selon vous, s’agissait-il (cochez la bonne case) :

d’une salle de spectacle du type Géode ou Futuroscope ?

d’un hangar à ballons ?

d’un précurseur de la Maison de la Radio ?

d’une piscine ou d’un stade municipal ?

Réponse : rien de tel bien sûr ! Il s’agissait d’une immense cuve de stockage de gaz de houille alimentant les becs d’éclairage de nos rues. On appelait ce type de bâtiment un gazomètre. Toutes les agglomérations un peu importantes en étaient équipées (550 villes en 1872).

Et parce que le gaz de houille était essentiellement destiné à l’éclairage des rues de nos villes, on l’appelait « gaz de ville »

La question de l’éclairage public : comment éclairait-on nos rues  » avant  » ?

Nous sommes tellement habitués à voir nos rues éclairées que nous en oublions que ce ne fut pas toujours le cas.

Avant la « révolution » du gaz de ville, Paris s’éclaire à la lampe à huile d’une lueur rougeâtre et tremblante. Et c’est un luxe !

L’allumeur de réverbères assure leur entretien et, bien sûr, leur allumage, la flamme s’éteignant par consommation du combustible quand ce ne sont pas les intempéries qui s’en chargent !

Cette photographie a été prise à Attigny (Ardennes), vers 1900. Elle rend assez bien, à notre avis, l’atmosphère des rues de banlieue et des villes moyennes, éclairées à la lanterne à huile. Pas très rassurant tout ça !

Une innovation qui passionne les contemporains et crée la polémique.

En 1799, le français Philippe Lebon fait la démonstration d’un système éclairage public d’un type nouveau alimenté au gaz hydrogène à partir du bois.

Le principe est appliqué à la houille et des améliorations techniques augmentent rapidement son rendement et la qualité de sa flamme.

Cette découverte fait sensation lorsqu’à Paris, en 1816, elle conquiert les lieux à la mode, les théâtres, les opéras, les cafés, les passages couverts.

Elle fait vite l’objet d’enjeux financiers et devient une affaire de prestige et d’utilité publique.

Mais parce qu’elle n’est pas confinée au seul domaine industriel, cette innovation de la sphère publique suscite des craintes pour la santé, la sécurité et même la beauté féminine : ne l’accuse t’on pas de propager des nuisances, de présenter des risques d’explosion, et de rendre les teints blafards, selon certains de nos poètes romantiques ? Vous l’aurez donc noté, comme pour toute nouvelle technologie la question du gaz de ville fait polémique entre ses défenseurs, prompts à en minimiser les dangers réels, et ses détracteurs, pas toujours très objectifs.

Dessin satirique anglais de 1814 – Blessed effects of gas lights

Gaz de ville contre huile minérale.

A Boulogne, on s’éclaire encore à l’huile quand Paris est rapidement converti au gaz de ville. La commune est loin d’être entièrement éclairée : on reste très parcimonieux car l’argent public ne se gaspille pas.

Puis, les administrés exprimant un intérêt légitime pour la sécurisation des rues, la mairie favorise à partir de 1840 des initiatives dans lesquelles le gaz de ville n’a pas toujours la préférence malgré un meilleur rendement et l’évidente supériorité de sa flamme. Une unité de production de gaz de ville est construite par le sieur Foucart rue de Sèvres en 1842 pour une concession de 30 ans. Tout cela reste bien modeste.

Concernant Billancourt, rattaché à la commune d’Auteuil jusqu’en 1859, ses habitants ne peuvent le plus souvent compter que sur eux-mêmes pour améliorer la sécurité de leurs rues. Il est vrai que cette plaine est encore faiblement peuplée, l’essor démographique ne venant qu’après 1860.

La question de l’éclairage public trouvera t’elle une solution lors de la fusion de Boulogne et Billancourt (voir « Quand Billancourt voulait devenir une commune indépendante ») ? On peut le penser surtout que les 6 compagnies pionnières alimentant Paris sont regroupées en 1855 sous le nom de « Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz » qui exploite 550 km de canalisations. Celle-ci dispose des moyens financiers et de l’ambition nécessaires pour partir à la conquête de la banlieue.

Les usines de production du gaz, désormais considérables, étant dangereuses et polluantes, elles se situent à l’écart, dans des zones peu urbanisées. L’essor démographique de la seconde moitié du 19 ème siècle et l’augmentation des loyers dans Paris auront tôt fait de changer la donne !

Une sorte de boite télescopique.

Dans ce tentaculaire dispositif fait de grosses unités de production et d’un incroyable réseau de tuyaux, les gazomètres sont des relais, des unités de stockage jouant le rôle de régulateurs : ils garantissent une pression constante et pallient les risques de rupture d’approvisionnement. Le gazomètre de la rue Collas est du type coulissant à charpente de guidage extérieure :

Le gazomètre à colonnes ou gazomètre télescopique, inventé en 1817, par un ingénieur-mécanicien, Philippe Gengembre, est le modèle typique de la révolution industrielle facilement reconnaissable à sa charpente de guidage extérieure caractéristique et dans laquelle coulisse la cloche du gazomètre. Le gaz est conservé sous la cloche, dont la hauteur varie en fonction de la quantité de gaz emmagasinée, en flottant sur un réservoir d’eau (la cuve) situé au-dessous et permettant d’assurer l’étanchéité à la base….La cloche qui contenait le gaz en flottant dans la cuve était conçue d’une seule pièce, et de la même hauteur que la cuve d’eau. En se déployant, le gazomètre doublait de hauteur.                                                                              Source : Wikipedia

 Les photos aériennes indiquent que notre gazomètre comportait au moins 2 levées, ce qui pouvait amener sa hauteur maximale à 40 mètres et sa pleine capacité à 50.000 m3 de gaz de ville. Sur cette photo nous voyons le réservoir d’eau (en jaune) dans lequel les cloches télescopiques sont placées. La première cloche (en bleu) est remplie de gaz. L’autre cloche reste en attente de remplissage dans le réservoir

Nous le retrouvons ici…

Une réussite mitigée.

Les 2 techniques, éclairage à l’huile minérale et éclairage au gaz de ville, vont cependant longtemps cohabiter à Billancourt : en 1902 la moitié des rues éclairées l’est encore par 64 becs à huile. Et il reste beaucoup de voies à équiper !

Question : le gaz de ville connu t’il à Billancourt un usage domestique pour l’éclairage, le chauffage et la cuisine ? On peut le supposer, au fur et à mesure de l’avancée de la tuyauterie dans les rues. Savourons ces belles illustrations d’une autre époque.

Le gaz de ville domestique était alors un signe distinctif, celui des maisons bourgeoises, très probablement nos belles villas disparues, et des immeubles de qualité.

Des réverbères à bec de gaz dans les rues de  Billancourt :

A partir de 1950, le gaz naturel va remplacer le gaz de ville dans les foyers après la découverte d’importants gisements, notamment à Lacq. Et l’électricité fait son apparition dès 1925 dans les rues de notre commune pour ne plus les quitter. En 1956, il n’existe plus de becs, l’allumeur de réverbères disparaît de notre paysage urbain.

Ce fut une bien triste fin pour notre gazomètre de la rue Collas et son voisinage : voici ce que relate cet article du bulletin municipal de novembre 1966 à propos de l’histoire de la rue du Vieux Pont de Sèvres.


Photo d’entête : IGN – Remonter le temps – 1932

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