Comment avons-nous perdu l’île Saint-Germain ?

La moitié ouest de l’île Saint-Germain (aujourd’hui la partie habitée), a été la propriété du domaine de Billancourt durant des siècles. Pourtant, elle est aujourd’hui sur la commune d’Issy-les-Moulineaux. Que s’est passé ?

L’île de Longueignon

Mais tout d’abord, qu’allions-nous faire dans l’île Saint-Germain ? Anciennement, l’île s’est appelée « grande île de Billancourt » ou « île de Longueignon ». Les orthographes ont grandement varié.

Dès 1173, un premier fief sur l’île appartenant à Pierre de Saint Cloud et à sa femme Guineburc est donné à l’Abbaye de Saint Victor, déjà propriétaire du domaine de Billancourt. S’ensuivent d’autres acquisitions sur l’île dont on a conservé la trace.

La moitié amont, elle, est depuis 1236, la propriété de l’abbaye Saint-Germain. Elle lui donnera son nom. Elle relève de la paroisse Saint-Étienne d’Issy depuis le XIIIe siècle.

Sur cette île inhospitalière et souvent inondée, on sait, par des baux accordés par Saint-Victor, qu’on y fait paître des vaches et qu’on y exploite des saules. Ces arbres sont d’ailleurs au centre d’une première contestation qui éclate entre les deux abbayes, à la fin du XIVe siècle : un jour, des hommes en armes envoyés par l’abbaye de Saint-Germain posent pied dans l’île et entreprennent de couper et emporter « plusieurs et grant et petite des dits saulx qui étoient sur les bords et rives de la dite île« . L’abbaye de Saint-Victor porte l’affaire devant le prévôt de Paris et obtient gain de cause en mars 1382. Les moines de Saint-Germain sont condamnés à payer 50 livres parisis.

Un plan de masse conservé aux Archives nationales, nous montre que le domaine de Billancourt, possède encore en 1770 toute la moitié aval de l’île.

La révolution française rebat les cartes

Les communes, en tant qu’administration territoriale, sont créées par décret le 12 novembre 1789. Elles remplacent plusieurs types d’organisation d’ancien régime que sont la paroisse, la seigneurie et la communauté. Le domaine de Billancourt passe ainsi de la seigneurie d’Auteuil à la commune d’Auteuil (Billancourt ne rejoint Boulogne qu’en 1860)

La nouvelle organisation réveille les contestations territoriales dans toute la France. Selon la loi, la limite des communes passe par le milieu des cours d’eau. Mais que faire des îles ? L’île Seguin et l’île Saint-Germain (pour sa moitié ouest), sont historiquement rattachées au domaine de Billancourt, et donc d’Auteuil, depuis des siècles. Mais, en ces temps de remise en question, elles sont vivement contestées par les communes de Sèvres et d’Issy.

Le précédent de l’île Seguin

Concernant l’île Seguin, le cas est traité rapidement. La commune de Sèvres demande en 1791 au district de Versailles que « l’Isle et les maisons qui s’y trouvent » soient de son ressort. Versailles approuve, argumentant que le bras droit du fleuve étant seul navigable, la limite devrait passer par son milieu. Sèvres avance, de plus, que l’île Seguin est légèrement plus proche de Sèvres (70 mètres) que de Billancourt (90 mètres).

À partir de là démarre un bras de fer qui va impliquer de nombreuses administrations révolutionnaires, des communes d’Auteuil et Sèvres, leurs districts et mêmes leurs départements puisque la Seine est aussi la limite des départements de Paris et de Seine-et-Oise.

Des commissaires sont nommés, des visites sur place organisées sans parvenir à un accord. L’affaire remonte jusqu’au ministre de l’intérieur et à l’Assemblée nationale.

Le rapporteur Cazes, député chargé de l’affaire, évalue les arguments des uns et des autres et conclut le 24 juin 1792 : « Il apparait naturel de laisser cette île au département de Paris (et donc à la commune d’Auteuil) puisque le pont de Sèves (sic) auquel elle tient est à la charge de ce département ». Un projet de décret est rédigé en ce sens mais n’aboutit pas pour cause de fin de fonction de l’assemblée.

En 1794, le problème n’est toujours pas réglé et les municipalités de Sèvres et d’Auteuil décident, un jour et à quelques heures d’intervalle, de se déplacer pour poser leurs scellés sur les bâtiments de l’île (l’ancienne blanchisserie Riffé). Même la municipalité d’Issy fait de même ! En décembre de la même année, un courrier fait toujours état de leur désaccord territorial. C’est la dernier document connu sur ce conflit.

Nous n’avons pas de trace de la décision finale, toujours est-il que l’île Seguin finit par rester dans les limites de la commune d’Auteuil (puis de Boulogne).

L’île Saint-Germain bradée ?

On connait peu les étapes du conflit entre Issy et Auteuil concernant l’île Saint-Germain et il faudrait faire des recherches sur le sujet. Trois points majeurs ont dû peser, qui la distinguent du cas de l’île Seguin : tout d’abord, le propriétaire du domaine de Billancourt, le botaniste Augustin Sageret, a revendu tous ses terrains de l’île Saint-Germain le 8 juillet 1793 à Louis-François Psalmon, un marchand de vin, et son épouse. Le lien de propriété séculaire que maintenait Billancourt avec cette île est donc rompu.

Ensuite, la moitié amont de l’île a déjà un fort passé avec Issy, comme nous l’avons vu plus haut.

Enfin, vous l’avez sûrement remarqué, l’île Saint-Germain est bien plus proche de la rive d’Issy (30 mètres) que de celle Billancourt (90 mètres).

Si on ignore les détails du conflit, on connaît en revanche bien sa conclusion : s’appuyant sur un procès verbal du 5 mars 1804, le préfet de la Seine tranche par un arrêté, le 15 mai 1804. Il constate que « Les maires des deux dites communes ont reconnu l’avantage d’attacher invariablement à Issy la partie de terrain qui se trouve en litige » et ajoute qu’elle s’appuie sur « la limite naturelle que forme la rivière de Seine ».

Nous avons retrouvé cet arrêté :

L’article premier énonce que « La partie de la rivière de Seine qui coule entre ladite Île Saint Germain et Auteuil délimitera désormais et invariablement cette commune de celle d’Issy« . Mais il faut ratifier cela au plus haut niveau de l’État. En octobre 1806, les conseils municipaux d’Auteuil et d’Issy, acceptent les termes de l’arrêté, chacun de son côté et le 18 octobre 1808, le ministère de l’intérieur rend à Napoléon, un rapport favorable. Le décret impérial est promulgué le 11 décembre. Et voilà comment nous avons perdu l’île Saint-Germain.

On peut être surpris que la municipalité d’Auteuil ait semblé accepter cet état de fait d’aussi bonne grâce. Auteuil-t-elle obtenu des contreparties ? A-t-elle subi des pressions ? On ne sait pas. Il faut également savoir que, contrairement à l’île Seguin, ces terrains quasiment déserts n’apportaient que peu de recettes fiscales.

Le nom « île de Billancourt » subsiste encore longtemps

Bien que l’île ait perdu tout lien administratif avec notre commune, elle a longtemps conservé le nom d’ « île de Billancourt« .

Sur les plans de l’époque, les documents ou les affiches promotionnelles, le vocable « Ile de Billancourt » est souvent utilisé pour désigner tout ou partie de l’île (même si le nom d’ « île Saint-Germain » est également utilisé, surtout pour la moitié amont).

Observez ces cartes postales anciennes du début du XXe siècle montrant l’île ou la berge d’Issy, elles portent toujours la mention « Billancourt » :

Dans son roman « Les dimanches parisiens », de 1898, Louis Morin emmène ses personnages danser au « Robinson de Billancourt » à la pointe de l’île. Quelques années plus tôt, le graveur Auguste Lepère, illustrateur pour Huysmans, dessine les mêmes lieux sous le nom « pointe de Billancourt ».

1860 env Affiche Naud Ile de Billancourt
Affiche promotionnelle Naud, vers 1860.

En poussant nos recherches dans le temps, nous avons trouvé le terme « île de Billancourt » jusque sur un plan de 1945 !

L’île Saint-Germain aujourd’hui.

Si, en 1808, les familles de la moitié aval devaient se compter sur les doigts d’une main, aujourd’hui ils sont environ 5 000 résidents à vivre sur l’île. Elle compte une école maternelle, un terrain de sports, des boutiques et restaurants. D’incroyables jardins ouvriers datant de l’époque Renault en occupent encore l’extrémité aval. Les maisons ouvrières ont laissé la place, ici et là, à de belles maisons dessinées par les architectes Jean Nouvel ou Philippe Stark. Seule une « allée de Billancourt » a préservé la mémoire de son passé Billancourtois. Les petit bras de la Seine est régulièrement parcouru par des promeneurs à la rame, entre les péniches et les rives ombragées.

La moitié amont porte l’un des parcs les plus agréables des alentours de Paris, avec sa « Tour aux Figures » de Dubuffet et son poney club, hébergé dans un bâtiment historique hérité de l’exposition universelle de 1867.

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