Georges Gallice, le rebelle de l’Ile Seguin (1/2)

L’île Seguin fait l’objet de vives controverses, aujourd’hui. Mais c’était déjà le cas il y a un siècle !

Nous sommes en 1911, L’île Seguin est un coin de verdure isolé. Elle s’inscrit dans la boucle de la Seine, c’est un des beaux paysages en aval de Paris, au pied des coteaux de Meudon. Elle attire peintres et promeneurs. On s’y retrouve au Tir aux Pigeons ou au restaurant Sarreste.

Georges Gallice, un ingénieur résidant à Meudon Bellevue, est devenu propriétaire d’un beau terrain de 6 800 m² couverts de vergers, d’une maison de maître à deux étages, d’une maison de gardien et d’un pavillon comportant une cave. L’homme est aussi administrateur de la S.A. Immobilière du parc de Bellevue. Il devient l’un des animateurs d’une association de défense à Meudon qui cherche à contrer les visées expansionnistes de l’usine Renault.

En 1914, alors que l’île n’est pas encore entre les mains de Louis Renault, il assigne celui-ci au tribunal, lui reprochant de produire des « bruits et fumées qui incommodent le voisinage« , depuis la rive de Billancourt. Il est débouté au motif, très fallacieux, que Renault n’est pas le seul à polluer.

A l’issue de la grande guerre, Renault est à l’étroit à Billancourt et lorgne sur l’île Seguin. Le 12 juin 1919, il acquiert la propriété du restaurateur Sarreste. Six jours plus tard, c’est au tour de celle d’Aubry et de son tir aux pigeons installé sur la pointe amont de l’île. Il loue puis achète, le 6 juin 1924, celle du comte de Lambert, propriétaire de la partie centrale de l’île et de sa pointe aval.

Georges Gallice est le dernier à résister. Il refuse de vendre. il manifeste son intention de se battre pour « garder le paysage… et écarter les bruits et la fumée qui ont si tristement affligé les habitants de Bellevue » (1927).

Au début, Louis Renault consacre l’île à des aménagements pour son personnel, un centre nautique, des jardins ouvriers et des maisonnettes. C’est un patron qui croit aux vertus de l’activité physique pour son personnel.

Mais la demande automobile enfle. Les nouvelles méthodes de fabrication américaines, promues par Henry Ford, exigent de revoir les choses. Il a besoin de nouveaux ateliers et cherche à obtenir des pouvoirs publics le droit d’exploiter l’île en tant qu’usine. Il essuie un refus en août 1928 par la direction de l’Extension de Paris : « Les terrains de l’île Seguin sont entièrement réservés pour la création d’espaces libres publics« . Ils lui font entendre également qu’il pourrait être exproprié s’il contrevenait à cette décision. Ce à quoi il réplique qu’une expropriation entraînerait une demande d’indemnisation très conséquente.

Il argumente en évoquant le rôle déterminant de Renault durant la Grande Guerre, le poids économique de l’entreprise et les recettes fiscales. A force d’insistance et de manœuvres, il obtient gain de cause et commence à construire sur l’île en 1929.

Une centrale électrique est bâtie en 1931 sur la pointe aval, juste à côté de chez Gallice. Elle y restera longtemps.

Le reste de l’île se couvre rapidement d’ateliers. La propriété de Georges Gallice se trouve alors prise en tenaille. Renault installe volontairement les presses à emboutir, les machines les plus bruyantes, à proximité.

Il obtient le droit de faire construire une structure le long de la propriété de Gallice, pour joindre la centrale au reste de l’usine. Ce ponton est construit sur le cours du fleuve, sans empiéter sur le terrain de Gallice. Celui-ci ne peut plus accéder par bateau du côté du grand bras de la Seine. Il est maintenant cerné de trois côtés.

Malgré toutes les propositions financières qui lui sont faites, Gallice ne cède toujours pas : « Je ne tiens en aucune façon à faciliter la création d’une usine dont le voisinage n’a rien d’agréable. »

Durant de nombreuses années l’île Seguin présente ainsi le visage surréaliste d’un grand vaisseau de béton et l’acier enserrant une petite maison blottie dans la verdure. Le sentiment d’étau est d’autant plus marqué que Renault a fait surélever ses terrains de 6 mètres pour éviter conséquences des crues hivernales,.

Le bras de fer s’éternise. Renault fait tout pour pousser son opposant dehors, mais il tient bon.

Georges Gallice finit par mourir en 1933, à 73 ans. Sa femme poursuit son combat par fidélité.

La deuxième guerre mondiale éclate. En 1939, l’industriel, invoquant la défense nationale, demande la réquisition du terrain de Gallice. Le préfet la lui accorde le 21 février 1940 mais elle doit être faite à titre onéreux. Les locataires M. Lepetit et les époux Lerolle doivent évacuer l’île. Mais la réquisition n’est pas exécutée, du fait des circonstances.

Louis Renault meurt en prison en octobre 1944, accusé de collaboration avec l’occupant. L’entreprise est nationalisée et prend le nom de Régie Nationale des Usines Renault.

Finalement, le 31 décembre 1946, la veuve Gallice décide de quitter Meudon avec ses deux filles et consent à céder son terrain (Elle va même jusqu’à lui vendre sa maison de Meudon au 3 rue Basse de la Terrasse et 18 170 m² de terrains à Sèvres). A-t-elle attendu la mort de Louis Renault?

Georges Gallice, le rebelle de l’île Seguin, aura résisté 27 années au géant de l’automobile.

Mais cette histoire ne nous dit pas grand chose sur l’homme. Qui était vraiment Georges Gallice ? Le Village de Billancourt a enquêté et nous avons eu une surprise ! Et si ce n’était pas juste une histoire de riverain mécontent ? Réponse : découvrir le vrai Georges Gallice.


Photo d’entête : Ile Seguin et propriété Gallice en 1932. IGN