Les frères Voisin à Billancourt : des géants du ciel

Voler ! En ce siècle nouveau, des hommes et des femmes, sportifs, industriels, mécènes, ingénieurs, vont réaliser ce vieux rêve de l’humanité. Certes, les ballons, ces « plus légers que l’air« , existent depuis plus de 100 ans, mais ils  sont lents et difficilement manœuvrables.

Gabriel Voisin pense aussi que l’avenir appartient aux « plus lourds que l’air ». Lui et son frère Charles y croient depuis leur adolescence provinciale à Belleville-sur-Saône avec leurs essais de planeur en 1898 et les récits des pionniers.

C’est un défi considérable car il lui faut tout inventer ou presque, expérimenter, convaincre des acheteurs et des investisseurs, sans mise de départ. Et puis personne ne sait manœuvrer un avion qui reste à inventer ! Mais il a 25 ans, déborde d’énergie et d’idées, est doté d’un grand sens de la mécanique.

Essai en juillet 1905 d’un planeur de sa conception tracté par canot automobile sur la Seine entre les ponts de Billancourt et de Sèvres. Mal tracté, le planeur retombe. Gabriel est aux commandes et manque de se noyer, c’est la peur de sa vie ; il ne sera jamais plus pilote.

Malgré tout, sa conception est valable et Louis Blériot lui propose une association. La société Blériot-Voisin, première firme française d’aviation, dure 16 mois mais n’aboutit à rien. Les deux associés se séparent mais restent amis. Qu’importe, l’atelier du 4 rue de la ferme est né ! (voir situation en fin d’article).

Maintenant que son frère Charles l’a rejoint, la jeune entreprise s’appelle  » Appareils d’aviation-Les frères Voisin « .

Les débuts sont difficiles :

« de 1904 à 1908, nous avons le plus souvent, écrasés de fatigue, dormi sans nous dévêtir…nos nuits écourtées s’écoulaient sur un tas de copeaux, au pied de nos établis de menuisiers où la faim nous réveillait à l’aube »  *

Léon Delagrange et Henry Farman se présentent rue de la ferme, stimulés par le prix de 50.000 francs (or) du « Grand Prix d’Aviation » créé par deux mécènes de l’Aéro Club de France. Les exigences de ces apprentis pilotes sont précises et le paiement conditionné par la réussite du vol de réception de l’appareil. Les frères acceptent.

Le règlement de ce « Grand Prix d’Aviation » prévoit un « kilomètre bouclé » c’est à dire avec retour au point de départ, ce qui implique un virage en vol. Aucun pilote n’a jamais tenté cela.

Très vite Farman se révèle le plus assidu car les réglages, nombreux, ne s’improvisent pas. Les vols d’essai se succèdent, sur des distances toujours plus longues dans le ciel d’Issy les Moulineaux. Le moteur Antoinette de Levavasseur est choisi pour sa puissance de 50CV et sa légèreté.

Farman remporte le prix le 13 janvier 1908. La nouvelle se répand instantanément dans Paris.

C’est le triomphe…pour Farman.

Les journalistes ayant ignoré Gabriel, il ne se prive pas de les flanquer dehors le lendemain lorsqu’ils se présentent rue de la ferme.

C’est là, résumé, tout son caractère : vif, fier, peu calculateur, parfois emporté. D’autres, plus sages peut être, plus pragmatiques, sauront tirer un meilleur parti de ses inventions, notamment Henry Farman qui va devenir bientôt le grand industriel que l’on sait.

Gabriel écrit dans ses mémoires  * :

« Nous dépensions beaucoup d’argent. Nous avions des voitures, nous recevions ; du désordre et de nombreuses sorties grevaient nos recettes d’une façon dangereuse. Malgré tout, notre firme grandissait… »

Les frères, qui sont les seuls à pouvoir proposer une machine sûre et éprouvée, déménagent dans des locaux plus vastes, au 34 quai du point du jour, car les commandes affluent. Le monde entier va bientôt connaitre leurs avions. L’aviation est désormais passée de l’enfance à l’adolescence.

Dans le tableau de François Alaux, ci-dessus, sont représentés Charles Voisin (adossé), Gabriel Voisin (main sous l’aile du biplan), la Baronne de la Roche et d’autres personnalités du monde de l’aviation.

Puis, après la grande crue de 1910, nouveau déménagement à Issy les Moulineaux, autre berceau historique des débuts de l’aviation. Son frère Charles part brusquement vers son grand amour. Mais il se tue en automobile alors qu’ils étaient sur le point de se revoir après 2 ans. C’est un chagrin dont Gabriel ne se remettra jamais vraiment. Il n’aura jamais revu son frère.

Il y aurait tant à dire sur l’homme, son caractère entier, sa générosité, son humour.

Des anecdotes aussi, parfois savoureuses (il n’avait pas sa langue dans la poche), son rôle dans le développement de l’aviation de guerre, sa reconversion dans l’automobile…Il n’a cependant pas participé à l’essor des vols commerciaux.

Gabriel voisin, s’éteint à l’âge de 93 ans, la tête remplie de milles projets.

Il aura vu les hommes se poser sur la Lune.

* « Mes dix mille cerfs-volants ». Mémoires.

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