Le logis de la ferme de Billancourt

En avril dernier, nous avions laissé Danjan et Taboureur, architectes experts, décrire dans les détails les communs de la ferme de Billancourt lors de leur visite du 10 avril 1782.

Aujourd’hui nous les suivons dans la visite des bâtiments d’habitation.

En ce matin du 5 avril 1782, les architectes Pierre-Alexandre Danjean et Pierre Taboureur sont reçus par le propriétaire de la ferme : Jean-Pierre Joantho Dujean, 47 ans, sieur de Mignabure, écuyer et conseiller secrétaire du roi près le Parlement de Navarre. Il est aussi trésorier receveur et payeur des rentes de l’hôtel de Ville de Paris. Aujourd’hui, il est en compagnie de l’ancien propriétaire, Nicolas Charles François Claëssen, venu lui rendre visite. Claëssen, né en Martinique et brièvement capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes, est le fils de Nicolas Claëssen, le fondateur de la Compagnie des Indes et maire de La Rochelle. Joantho et Claëssen se connaissent très bien, Joantho avait épousé en 1766 la nièce de Claëssen. Nous ne disposons d’aucun portrait d’eux, malheureusement.

La date à laquelle la ferme est passée de Claëssen à Joantho n’est pas claire, probablement 1779. Nous n’avons pas trouvé d’acte. On peut soupçonner une histoire d’argent, en effet, Claëssen a beaucoup emprunté au fil des années, et souvent auprès de son neveu Joantho, notamment pour l’acquisition de la ferme dès 1764. Or nous avons découvert que Claëssen avait bien du mal à rembourser ses dettes ! Ajoutons à cela que Claëssen, agé de 68 ans, n’avait pas de descendance et donc pas d’héritier direct.

Mais, trêve de mondanités, Danjan et Taboureur commencent la visite. Rappelons-le, ils sont mandatés par l’abbaye de Saint-Victor pour évaluer l’état de la ferme, sur laquelle l’abbé perçoit des redevances perpétuelles, en vertu d’un accord de 1772 (voir notre article).

L’entrée du logis ne se fait pas par la porte charretière des communs, mais par une grille de fer encadrée de pilastres en pierre de taille, côté ouest de la propriété. Elle donne accès à une vaste cour close de murs : au nord le « grand chemin » vers le pont de Sèvres, au sud un grand jardin potager planté de vignes et d’arbres fruitiers et à l’est les communs, avec sa grange monastique.

Le premier bâtiment sur la gauche est récent, il a été bâti quelque 50 ans auparavant, par les Gautier, dit « seigneurs de Billancourt », détenteurs du bail emphytéotique entre 1690 et 1755 . Il s’agit d’un pavillon à toiture d’ardoise aux larges ouvertures, qui tranche avec les autres bâtiments plus anciens.

Le rez-de-chaussée du pavillon abrite une grande cuisine pavée. L’accès au premier étage s’effectue par un escalier extérieur en pierre d’une vingtaine de marches à rambarde de fer à panneaux. Après une antichambre et en laissant à droite un cabinet, on pénètre dans la plus belle salle de la ferme : le grand salon. Il est éclairé par deux grandes fenêtres sur le chemin et deux vers Sèvres, loin des bruits des communs. Il est entièrement recouvert de lambris de chêne, on note la présence de grandes glaces aux trumeaux (les miroirs étaient un accessoire luxueux), des sculptures, des bordures parquetées et dorées. Tout cela en faisait une salle sûrement digne d’invités de marque. Malheureusement, nous n’avons aucune image de cette décoration intérieure.

« …, le dit salon revêtu en son pourtour et hauteur d’un lambris de bois de chêne dans lequel sont comprises deux portes à placards pareilles aux précédentes dont l’un est dans le dit lambris et l’autre est ouvrante à la cheminée garnie d’un chambranle le foyer en pierre de liais et tablette de marbre et plaque de fonte au contrecœur, au-dessus de la dite cheminée dans les trumeaux vis à vis ainsi que dans celui vers l’ancien chemin et dans la partie en face sont quatre trumeaux de glace formant…sur parquet dont les bordures parquetées et dorées avec panneaux au-dessus ornées de sculptures, chacune des glaces ., et dans les combles au-dessus du dit salon est un grenier perdu… » (extrait du compte-rendu de visite de 1782).

Le salon communique vers le bâtiment suivant que nous appellerons le grand logis. C’est le plus haut bâtiment, on ne sait pas de quand il date exactement, mais pourrait bien être médiéval. Le rez-de-chaussée abrite un cellier, une laiterie, un fournil et donne accès à des caves. On y trouve également une foulerie où l’on foulait les raisins des vignes de la propriété. Ce rez-de-chaussée communique avec la cuisine du pavillon. Les étages sont desservis par un grand escalier. Le premier étage comporte une chambre et la salle à manger, qui communique avec le salon du pavillon. Le deuxième étage est constitué de chambres, dont une grande avec trois fenêtres donnant sur le chemin, est probablement la chambre du maître de maison. Curieusement, le troisième étage, sous les toits, lui aussi constitué de chambres, n’est pas accessible par cet escalier, mais par un autre escalier partant des combles du petit logis.

Accolé au grand logis, on trouve ce que nous appellerons le petit logis. Il pourrait dater de la même période. On y accède par le jardin, via une petite cour. Il abrite une cuisine équipée d’un fournil. Le premier étage comprend une petite pièce, une antichambre et une chambre avec une alcôve. Le grenier est éclairé par deux lucarnes et communique comme indiqué précédemment avec le dernier étage du grand corps de logis, via un escalier.

Adossé au grand logis est un petit bâtiment à deux pans de tuiles dont le premier étage abrite la chapelle. En 1782, celle-ci n’est plus consacrée, les lambris et les plâtres sont en mauvais état et l’autel a été retiré, le plancher est en simple bois de sapin. On peut penser qu’elle a été davantage utilisée à l’époque où la ferme était la propriété de l’abbaye Saint-Victor. Curieusement, l’accès à la chapelle ne se fait pas par l’intérieur mais par un passage extérieur en bois abrité sous une toiture de tuiles en appentis. Il nous a fallu longtemps pour comprendre ce curieux passage. Peut-être s’agissait-il de permettre un accès direct entre la chambre du maître et la chapelle privée, comme c’était souvent l’usage ? (C’est une hypothèse avancée par Judith Förstel, conservatrice du patrimoine de la région Ile-de-France et spécialiste du moyen-âge, qui avait bien voulu nous accompagner dans cette reconstitution).

La chapelle et le petit corps de logis donnaient sur un parterre de gazon entourés de platebandes et bordés de buis. Sept amandiers et quelques arbres en paliers encadraient un simple banc de pierre. Des figuiers et des pieds de vigne complétaient l’espace.  (Cette description est en réalité issue de la visite de 1762. En 1782, ce jardin n’existe plus, faute d’entretien). Enfin, on y trouve un puits astucieusement partagé avec la grande cour des communs. C’est par ce jardin  qu’on communique au cabinet d’aisances.

On le voit, la ferme de Billancourt était clairement séparée entre ces espaces d’habitation et la partie agricole, avec des accès et des cours bien distincts. La disparition du petit jardin laisse à penser qu’il n’était plus guère utilisé pour l’agrément, rappelons-nous que Claëssen habitait Paris, était célibataire et sans enfant.

Il est bien difficile d’évaluer la qualité architecturale des bâtiments, les descriptions des experts mandatés avaient pour objectif d’évaluer l’état des bâtiments et les réparations nécessaires, pas leur valeur artistique. On peut penser que le pavillon, avec son grand salon (et peut-être aussi la chapelle) avaient quelques éléments décoratifs notables, mais faute d’information nous avons du nous inspirer de logis similaires des fermes d’Ile-de-France.

Combien de temps a duré la ferme de Billancourt ? Nous pensons que le grand logis a été amputé de son dernier étage, suivant les recommandations de Danjan et Taboureur, ce que suggère le tableau de Vauzelle de 1812. Des photos du début du XXème siècle et le cadastre semblent montrer que le pavillon était toujours debout, jusqu’à la destruction totale de la ferme par Louis Renault vers 1904.

Si nous savons aujourd’hui à quoi ressemble la ferme de Billancourt c’est grâce à ces précieuses pages de 1782, mais aussi grâce à la visite de 1762 par Danjan (encore lui) et Lecoeur, et celle de 1773 laissée par Pruneau de Montlouis et Lubault de Laneuville.

*Pierre-Alexandre Danjan est expert juré du roi depuis 1751, il habite rue du Cloître Saint Benoit à Paris. Pierre Taboureur est expert juré du roi depuis 1765, il habite rue de Savoie.

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