(Note : nos connaissances ont évolué depuis la publication de cet article. Voir les errata)
Jusqu’ici (début 2020) on ne savait ni pourquoi, ni quand ni comment notre ferme de Billancourt avait été détruite. Le Village de Billancourt a mené l’enquête. Sans certitudes, mais avec de sérieux indices, voici ce qui a pu arriver:
Commençons avec le suspect numéro 1, Marie Casimir Auguste de Gourcuff, qui achète la ferme en 1825. C’était un homme d’affaires citadin, assureur, pas fermier. En créant son Nouveau Village de Billancourt, il cherchait à faire une opération foncière et, accessoirement, s’offrir une maison à la campagne. Il était plus intéressé par la vente par lots de ses 70 hectares de terrain que par les bâtiments. Il décide donc probablement de conserver la maison de maître, où on sait qu’il s’installe, et d’abandonner les communs de la ferme : étable, basse-cour, grange, écurie, logements des fermiers…. Nous le supposons, car sur son document promotionnel de 1826, il a découpé les terrains sur laquelle elle repose en 6 parcelles.

De plus, on ne trouve plus nulle part de mention suggérant une activité agricole, vente de produits, de bétail etc.
Gourcuff ne détruit toutefois pas les bâtiments, sûrement pour éviter d’avancer des dépenses. Il est aussi possible qu’il décide de laisser la tâche aux futurs acquéreurs. Les communs sont donc probablement laissés à l’abandon.
Que se passe-t-il ensuite ? Nous ne disposons d’aucun texte, aucune photo ou image de l’époque, aussi sommes-nous contraints de chercher nos réponses sur les plans à notre disposition.
Sur le cadastre de 1823, le bâtiments apparaissent sensiblement dans le même état que sur le tableau de Vauzelle de 1812.
Sur le cadastre de 1842, en revanche, une partie du grand bâtiment a disparu.

En 1857, devant le maigre succès de son opération, Gourcuff revend le Village de Billancourt, avec la ferme (erratum février 2021 : non, il conserve la ferme), au comptoir Bonnard, deuxième suspect, qui en fait, à son tour la promotion.
Sur le cadastre de 1859, les bâtiments de la ferme toujours sont là mais leur superficie s’est encore réduite. Il ne reste quasiment plus rien du grand bâtiment. Le manoir, à l’ouest, semble intact. Sur ses publicités, Bonnard invite les futurs acquéreurs du village à se présenter à la ferme (probablement au manoir) pour information (erratum février 2021 : non, probablement à la ferme Delaguepierre),.

En 1863, Bonnard est évincé par ses associés pour mauvaise gestion et passe la main à son gendre Edouard Naud, troisième suspect, qui donne son nom au comptoir.
En 1869, la ferme figure toujours sur un plan du comptoir Naud et les 6 parcelles n’apparaissent ni vendues, ni à vendre. Naud ne souhaite peut-être plus les vendre? Pourquoi ? (Erratum février 2021 : Non, il n’en est pas propriétaire).
En 1900 et 1901, la ferme a survécu et apparaît clairement sur deux cartes, dont celle ci-dessous, établie par les Ponts et Chaussées. Mais dans quel état ? Ce sont les dernières cartes qui en font mention.

Les 6 parcelles sont finalement acquises par le voisin, Louis Renault, notre dernier suspect, qui a besoin d’agrandir son usine.
Nous avons retrouvé cette carte postale du terrain, ci-dessous, oblitérée en 1904, éditée par Courtois. Sous des dehors de terrain vague sans intérêt, c’est en réalité une véritable passation de pouvoir qui s’y déroule. Le terrain est en friche, suggérant qu’il était resté invendu. On sait qu’il s’agit du terrain de la ferme car on reconnait très bien l’usine Renault Frères au fond à gauche, installée sur le terrain familial. La rue qui y mène est la rue Sandoz. Elle n’existe plus. On reconnait les coteaux de Meudon à l’horizon. Le photographe est placé dans un immeuble, tout récemment construit, et tourne le dos à la Place Nationale (Jules Guesde).

On le voit, Renault a déjà installé un atelier, au fond à droite, de l’autre côté de la rue du Cours. La ferme, ou ce qui en reste, est-elle toujours debout à l’époque de la photo ? Le mur au premier plan en est-il un vestige ? On ne sait pas, il semble plutôt récent. Malheureusement, la carte ne montre pas la partie droite du terrain, où devraient se trouver les bâtiments.
L’absence de photo de la ferme plaiderait évidemment en faveur de sa disparition. Considérant le nombre important de photographes qui sillonnaient les rues pour produire des cartes postales, si la ferme avait été debout, quelqu’un l’aurait prise en photo. Mais l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence et il existe peut-être, au fond d’un tiroir, dans la famille Courtois, une photo de la ferme, floue ou surexposée et non éditée.
Ce qui est sûr c’est que, dès 1905, la ferme ne figure plus au cadastre, ni sur aucune autre carte. Le terrain est recouvert d’ateliers. On vous racontera l’histoire de cette reconversion dans un post ultérieur.

C’est la fin de la ferme de Billancourt. Elle aura régné sur la plaine durant sept siècles et lui aura donné son nom. Billancourt passe résolument de l’ère agricole à l’ère industrielle.
Alors, qui, de nos suspects, a abattu le dernier bâtiment de la ferme ? Ni Gourcuff, ni Bonnard, c’est sûr. Naud ? (Erratum février 2021 : Non, il n’en est pas propriétaire). C’est plus probablement Louis Renault. Le Village de Billancourt continue l’enquête. Des amateurs pour aller à la recherche de l’acte de vente ? Il mentionne sûrement la présence ou non des bâtiments.
5 Replies to “Qui a détruit la ferme de Billancourt ?”