Voici un photo de 1912 avec une belle qualité et une belle résolution. Ça nous change un peu des cartes postales.
Lorsque nous l’avons dénichée, nous avions une seule information: c’est à Billancourt. Mais où ? Premier indice : la grande cheminée nervurée, au fond, nous indique que nous sommes en plein dans le quartier du trapèze. Cette cheminée caractéristique était proche de la Seine et du Hameau Fleuri. On reconnait également les arbres qui bordaient le quai et le coteau de Meudon au fond avec, à gauche, le pavillon de Bellevue, toujours là aujourd’hui.
Qu’en est-il du premier plan ? Ce type de villa bourgeoise ou maisons de campagne de parisiens aisés était typique de ce qu’on pouvait trouver dans Billancourt à l’époque. Ce quartier ayant aujourd’hui disparu, il faut décortiquer le cadastre de 1905. Il nous apprend que ce que nous voyons là, c’est la rue Théodore, plus précisément sa portion à l’ouest de l’avenue du Cours (Emile Zola). Cette rue n’existe plus. On devine le carrefour avec la rue de l’Île, au delà des limites de la photo, à droite. Chaque maison y est clairement identifiée. Il n’y a aucun doute. Cette photo est précieuse car c’est la seule que nous connaissions de cette rue et de son voisinage avant sa destruction par Louis Renault.

Cet article aurait pu s’arrêter là, mais il y a une petite histoire.
L’examen attentif de cette photographie pose des questions : Pourquoi cette photo ? Qui est le photographe ? Et d’où est-elle prise ? Manifestement elle est prise de trop haut pour une maison et trop bas pour un avion.
Et c’est encore une fois le cadastre de 1905 qui nous donne la solution. En prolongeant la ligne de visée, nous réalisons que la photo a été prise depuis le toit de l’usine Renault Frères ! Et, d’un seul coup, nous arrivent les réponses aux autres questions. Vous avez trouvé ?
Voici l’hypothèse du Village de Billancourt : en 1912, Louis Renault possède déjà tout le quartier à l’est de l’avenue du Cours (Emile Zola) jusqu’à la Place Nationale (Jules Guesde). Mais il a encore besoin de s’agrandir, et il convoite les beaux quartiers au-delà de l’avenue du Cours. Il envoie alors un de ses employés sur le toit de l’usine avec pour mission de prendre en photo les terrains. Cette photo serait donc une photo de repérage. Et s’il faut encore vous convaincre de notre hypothèse, ajoutons que cette photo est présente …dans les archives Renault.
A l’issue de la guerre de 14-18, Renault prend effectivement possession de tous ces terrains. Sur la photo aérienne de 1921 ci-dessous, là où se trouvaient villas, jardins et avenues arborées, on ne voit plus que des toitures d’usine.

Aujourd’hui, si nous devions situer la rue Théodore, elle serait dans l’axe du Parc de Billancourt. Si ces maisons étaient encore là, les résidents des grands immeubles qui bordent le parc les auraient sous leurs fenêtres.

Ce que nous apprend aussi cette photo, c’est que chaque prise de vue a une histoire et une intention. On photographie pour préserver ses souvenirs de famille, pour se montrer, pour vendre de la carte postale… ou pour préparer l’avenir.
4 Replies to “Le photographe de la rue Théodore”