La guinguette du Robinson et le passeur Meunier

L’île Robinson mentionnée par cette carte postale du début du XXème siècle n’était pas une île, mais le nom d’un restaurant à la pointe amont de l’île de Billancourt, devenue île Saint-Germain.

Au milieu de ces bosquets se cachait une guinguette prisée, le « bal-restaurant du Robinson ». L’allusion à Robinson Crusoé n’est surement pas fortuite, l’isolement et le pittoresque devait attirer les curieux en mal de dépaysement.

Le Pont d’Issy n’existait pas encore et un passeur faisait la navette depuis la rive de Billancourt pour d’élégantes clientes. Ce passeur s’appelait Edouard Meunier. il s’est rendu célèbre pour ses sauvetages depuis 1859. Un jour il sauve le jeune Schmidt qui allait se noyer, en 1885 il sauve le fils Noël, rue des Peupliers, en 1888 il sauve le sieur Thomas, pris dans les hautes herbes de la Seine.

Le dessinateur Auguste Lepère (1849-1918) nous a laissé d’autres témoignages de ce passeur. A en juger par l’un de ses dessins, il avait un air bien peu rassurant…

On retrouve le Robinson dans « les dimanches parisiens, notes d’un décadent« * de Louis Morin, publié en 1898. Dans ce roman, le narrateur et sa pétillante amie Pompon, arrivés à pied du Point du Jour, cherchent à se joindre à une noce en barque vers le Robinson :

« ..Pompon avait trouvé pour chacun le petit compliment qui devait lui aller tout de suite au cœur, et c’est en vieux camarades que nous débarquâmes au Robinson de Billancourt. Toute la noce accostait, et nous fumes présentés tout de suite aux vingt et quelques personnes qui la composaient, car les cousins voulaient absolument, en gentilshommes bien élevés, nous offrir un verre. Le verre n’était pas pris que toute la noce était dans les filets de Pompon, et la tournée de liqueurs supérieures que nous offrîmes fit des amis inséparables du coiffeur et de la fleuriste, et des ébénistes, charcutiers, femmes de ménage, couteliers, herboristes et cordonniers qui composaient la bande.« 

« Cette bande manquait d’un boute-en-train. Voici Pompon qui entraîne tout le monde, organise une sauterie sous les arbres, installe sur une table le papa ravi et son accordéon; elle forme les quadrilles, entraîne à son bras le petit soldat, confus, enchanté, et qui va oublier son regard noir et la défense de l’honneur de la famille ; elle fait ouvrir la danse par le marié et la mariée, mis d’autorité au bras l’un de l’autre et qui ne se quitteront plus; à moi-même, elle me fait danser un cavalier seul qui doit être la chose la plus drôle du monde, à cause de mon manque d’habitude, car je la vois rire de bon cœur. « 

« Je fais tout ce que je peux pourtant pour me souvenir des gestes que j’ai vu faire dans les bals publics : accroupi, j’écarte les genoux et les rapproche dans un joli battement, je pique des entrechats vertigineux, je saute alternativement d’un talon sur l’autre, dans une course à fond de train sur place qui ne doit pas manquer de grâce, j’alterne le saut en avant et le saut en arrière en bat tant des bras repliés comme des ailerons; je termine enfin par une culbute qui ne réussit malheureusement pas tout à fait et au cours de laquelle je m’étale piteusement sur le côté comme un canard amoureux.
Mais la glace est rompue, tout le monde est mis en joie, nous aussi. »

Aujourd’hui… comme dire…avec le pont d’Issy en travers, on peine à retrouver l’atmosphère de l’époque. Mais le parc a gardé la verdure originelle.

Pont d'Issy 2020
Le Pont d’Issy en 2020

Au passage, saviez-vous que l’île de Billancourt était sur le domaine de notre ferme de Billancourt? Comme son nom l’indique. Elle aurait pu nous revenir, mais c’est une autre histoire.


* les dimanches parisiens, notes d’un décadent. Louis Morin. Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1521951n

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