Être orpheline à Billancourt

Nous avons vu, dans « l’orphelinat de Billancourt« , comment l’abbé Roussel, fondateur des Orphelins d’Auteuil, a créé, en 1883 à l’extrémité de la rue du Vieux Pont de Sèvres, un orphelinat pour jeunes filles. Qui étaient ces orphelines et que devenaient-elles ? Qui étaient les religieuses en charge ? Et les bienfaiteurs ?

Nos réponses à, ces questions sont pour beaucoup tirées des éditoriaux de « la France Illustrée » disponibles, notamment, aux archives des apprentis d’Auteuil1. Ce journal hebdomadaire catholique a été fondé par l’abbé Roussel en 1874. Il était imprimé par les orphelins et sa publication se poursuivra jusqu’en 1935.

On y trouve surtout les actualités des orphelins à Auteuil mais Billancourt y est pafois mentionné. Dans le numéro du 21 janvier 1899 de la France Illustrée, on pouvait lire, ce plaidoyer touchant :

Un comité de dames patronnesses s’occupe de l’œuvre et des moyens de récolter des ressources. Ce sont des épouses de la haute société dont quelques noms nous sont parvenus : Mesdames Clérembault, Dubois-Davesnes, Abel Rainbeaux ou la marquise de Tamisier. On peut donner mais on peut aussi fonder un lit à perpétuité, en versant une somme de huit mille francs. Ce lit porte le nom du donateur. On peut s’unir à deux, trois ou quatre bienfaiteurs.

La petite abandonnée, charité privée à Paris l'ophelinat d'Auteuil Maxime Du Camp 1885

La petite abandonnée, Charité privée à Paris – Maxime Du Camp, 1885 – Gallica

On trouve aussi quelques noms de religieuses : la mère supérieure, sœur Marie-Joseph, sœur Alphonsine. Parmi ces bienfaiteurs, on retrouve des noms que nous connaissons, comme Jules Bican qui habite place Nationale (Jules Guesde).

« Elles sont sauvées, soignées et aimées« 

Les nouvelles arrivées y sont décrites de manière touchante. On y trouve, par exemple, ces deux jumelles recueillies, dans une mansarde, par un couple d’ouvriers « chargé lui-même d’enfants et de misère ». Ou ces trois sœurs dont la mère était morte, et que le père était bien incapable de nourrir avec son maigre salaire. Ou encore cette fille de douze ans, perdue par sa mère au coin d’une maison de passe.

Roussel ne peut donner à Billancourt les dimensions de l’école professionnelle d’Auteuil et la faiblesse de ses ressources le force même à restreindre les admissions, malgré les nombreuses sollicitations.

Un an après son ouverture, l’institution héberge déjà 40 jeunes pensionnaires. En 1893, elles sont une soixantaine et elles ne seront guère plus nombreuses, alors que les garçons, à l’orphelinat d’Auteuil, se comptent par centaines.

Il ne s’agit pas d’en faire des dames pleinement instruites, mais de leur donner une instruction religieuse et le moyen de gagner leur vie honnêtement en tant que bonne :

« Les enfants apprennent à coudre ou à faire la cuisine et le ménage, pour être placées dans des familles chrétiennes. Depuis quelques semaines, on a ainsi pu établir un atelier de brochage qui promet de ne jamais chômer. Cette œuvre, comme celle d’Auteuil, vit au jour le jour, ainsi que le veut la providence ». La France Illustrée 1899

Distribution de récompenses

Le moment le plus attendu est celui de la remise des recompenses, chaque trimestre. Des poupées, vêtements, jouets, albums ou livres pour les plus grandes, sont donnés par les bienfaiteurs. Les objets sont disposés sur une grande table et distribués cérémonieusement par la mère supérieure. Durant ces réunions auxquelles les donateurs sont invités, les pensionnaires exécutent plusieurs chœurs ou récitent quelques dialogues. Ces réunions se terminent par un salut solennel.

Le jour de la première communion est un moment important (l’œuvre d’Auteuil est née autour de ce sacrement). Si le temps est beau, la procession s’effectue dans le parc pavoisé, avec ses grandes allées et ses belles pelouses . On presse les bienfaitrices de donner une partie de leur garde-robe, voiles et ceintures pour que tout soit parfait. Les communiantes sont parées de blanc avec une écharpe d’un bleu tendre. La messe est présidée dans la chapelle par un évêque, quand on peut, sinon par le supérieur de la communauté de l’Enfant-Jésus ou le curé de Billancourt. Les bienfaiteurs sont bien sûr conviés. Le lendemain, tout le monde va en pèlerinage à Montmartre.

Les sœurs organisent aussi des animations : un spectacle de Guignol en 1889, une sortie en bateau à Honfleur en 1886, ou un tour de chant au Havre. En 1885, une démonstration de lanterne magique éblouit autant les jeunes filles que les religieuses.

Tout cela nécessite des fonds. Les éditoriaux de la « France Illustrée » sont remplis de besoins urgents, d’appels au dons répétés, de supplications entêtées.

Le « pain dans la main »

A la sortie de l’orphelinat, à 18 ans, les protégées sont suivies. L’abbé Roussel souhaite qu’elles ne soient pas livrées à elles-mêmes « tant qu’elles n’ont pas le pain dans la main » selon son expression. Il finance parfois un apprentissage supplémentaire.

En 1886, la France illustrée écrit : « Parmi les jeunes filles qui s’y trouvaient au moment de sa fondation nous en comptons cinq qui ont pris le voile et se sont consacrées au service de Dieu et des pauvres. Plusieurs autres sont dans le monde ou déjà établies ou n’y occupant encore que de modestes positions« .

Mais toutes les histoires ne se terminent pas bien.

L’affaire Annette Harchoux

Annette Harchoux, était une jeune fille « à problèmes ». Sortie de l’orphelinat de Billancourt en 1883, elle va défrayer la chronique judiciaire. En 1886, elle contrefait la signature de l’abbé Roussel au bas d’un billet à ordre de 1 000 francs. Quand elle présente le billet pour se faire payer, l’Œuvre d’Auteuil suspecte un faux et porte plainte. Annette Harchoux est arrêtée. Sa défense est une contre-attaque redoutable : elle accuse l’abbé d’avoir été son amant et avance que les 1 000 francs sont un cadeau pour sa fête.

Ces accusations font vite scandale et la presse libérale s’en empare (La période connait un anticléricalisme grandissant). Les grands journaux nationaux comme le Figaro, la Croix ou le Monde, emboîtent le pas et rendent compte régulièrement des détails du procès2 à travers de longs articles que le public lit avec passion. L’affaire trouve un écho jusqu’au Times anglais.

Finalement, les trois experts juridiques confirment le faux en écriture. Les accusations d’Annette ne sont étayées par aucun témoin, bien au contraire. Les débats révèlent qu’elle a volé 250 francs à une voisine et qu’elle s’est adonnée à la prostitution. De plus, son comportement insolent et moqueur devant la cour la dessert et ses contradictions achèvent de la décrédibiliser.

Devant la faiblesse de sa position, elle finit par rédiger des aveux. Elle reconnait à la fois le faux et la calomnie :

Le 1er février 1887, à une heure et demie du matin, le tribunal des assises de la Seine condamne Annette Harchoux, 19 ans, à six mois de prison. L’abbé Roussel sort de cette affaire secrètement meurtri.

Mais l’orphelinat produit surtout de belles histoires. Elles sont plus discrètes car, citant Saint François de Sales, « le bien ne fait pas de bruit ». Prenons, par exemple, celle d’une certaine Eugénie Halley, en 1886, tirée aussi de « la France Illustrée » :

« Samedi dernier l’église d’Auteuil était témoin d’une cérémonie touchante. On y célébrait le mariage de Mlle Eugénie Halley, dont nos sœurs ont dirigé l’éducation tout entière; par ses bonnes qualités, sa persévérance et son travail assidu, cette jeune fille avait acquis un talent remarquable comme musicienne et était devenue organiste de notre chapelle de Billancourt; s’occupant avec un dévouement sans limite de sa tâche, elle était parvenue à former, avec les jeunes voix dont elle disposait, un chœur« .

Une disparition nimbée de mystère.

La directrice Rosalie Roussel (et sœur de l’abbé), décède en 1893 à Auteuil. On ne sait pas qui lui a succédé.

En 1895, l’abbé Roussel est âgé de 69 ans et fatigué. Il s’installe dans une maisonnette à Billancourt, au 6 rue Collas (la rue n’existe plus), à quelques pas de son orphelinat. On trouvait là-bas une petite chapelle. Il confie les destinées de l’Œuvre d’Auteuil à L’abbé Daniel Fontaine. Le fondateur des Apprentis d’Auteuil y meurt, deux ans plus tard, le 13 janvier 1897. Sa mort fait grand bruit dans la presse.

Trois ans plus tard, en 1901, on recense, au 228 rue du Vieux Pont de Sèvres, huit religieuses, mais plus rien en 1910. Sont-elles parties ? Quand ? Les numéros de la France Illustrée ne nous racontent plus rien au delà de 1899. L’historien Penel Beaufin évoque encore son existence en 1905.

C’est le cadastre qui nous révèle ce qui s’est passé : La propriété est revendue en 1908 par la SCI des Orphelins d’Auteuil à une société d’assurance : « La Prévoyance ». On ne sait pas pourquoi.

Que sont devenues les dernières orphelines ? Les religieuses ? Mystère.

Les bâtiments et la chapelle sont visibles sur les photos aériennes jusque 1934. Ils sont alors la propriété du carrossier Kellner dont l’usine s’étend jusqu’au pont de Sèvres. Selon les recensements, il semble y loger des ouvriers.

Les bombardements de la seconde guerre mondiale détruisent l’usine Kellner, ont-ils aussi détruit les vestiges de l’orphelinat ?

Aujourd’hui

Aujourd’hui, c’est le Trident qui se tient à la place de l’orphelinat de Billancourt. Ce grand bâtiment résidentiel à trois branches a vu le jour en 1978. Sans doute ne le connaissez-vous pas ? Vous êtes tout excusé, il est vrai qu’on ne passe à côté qu’en voiture.

Aujourd’hui, l’œuvre des Apprentis d’Auteuil s’est considérablement agrandie et gère plus de 300 établissements en France et outre-mer3. L’un d’eux se situe à Boulogne-Billancourt : la Maison Saint Maximilien Kolbe, au 11 rue de Montmorency. Elle accueille 47 jeunes garçons en besoin d’insertion sociale et professionnelle.

Les orphelines nous ont laissé des petits frères !


  1. Archives des Apprentis d’Auteuil ↩︎
  2. le Figaro 1er février 1887 ↩︎
  3. Site web Apprentis d’Auteuil ↩︎

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