L’orphelinat de Billancourt

Cet orphelinat pour jeunes filles était situé à l’extrémité de la rue du Vieux Pont de Sèvres, face à la Seine Musicale actuelle. Très peu de choses sont parvenues jusqu’à nous. La plupart des sources ne font qu’évoquer son existence. Nous avons enquêté et trouvé… et il a tant à raconter.

C’est un établissement fondé par une des grandes figures charitables du XIXe siècle : l’Abbé Roussel, à qui on doit l’œuvre des Orphelins d’Auteuil, institution qui a survécu jusqu’à nous sous le nom d' »Apprentis d’Auteuil ». Cette fondation gère aujourd’hui plus de 300 établissements, qui accueillent plus de 36 000 jeunes et familles en France. Qui était l’abbé Roussel ?

L’abbé Roussel et les orphelins d’Auteuil

Louis Roussel nait dans la Sarthe en 1825 d’un père tisserand. Ordonné prêtre en 1854, il veut se consacrer à la jeunesse démunie. Il quitte sa congrégation pour pouvoir se consacrer à son œuvre : mener à la première communion des enfants et des jeunes adultes ayant dépassé l’âge de la faire en paroisse. Pour ce faire il crée l’Œuvre de la Première Communion et s’installe, avec six jeunes des rues qu’il a pris sous son aile, au 40 rue La Fontaine à Paris (C’est toujours de siège des Apprentis d’Auteuil).

Entre 1870 et 1875, il ajoute au catéchisme et à l’instruction une activité d’apprentissage, afin de donner aux enfants les moyens de subvenir à leurs besoins et quitter leur misère. C’est d’abord la cordonnerie, puis l’imprimerie, la confection de vêtements, la serrurerie, la peinture, l’horticulture et la fabrication d’objets religieux. C’est ainsi que naissent vraiment les apprentis d’Auteuil.

Mais la misère ne touche pas que les garçons, les rues de Paris sont aussi peuplées de jeunes filles dont les parents sont morts ou sans ressources. Abandonnées à leur sort, elles sont encore plus fragiles et à la merci de tous les dangers.

« La police elle-même est forcée d’en ramasser dans les rues de Paris, qui ne sont que malheureuses et non coupables, et pour lesquelles elle n’a que la maison de correction ou la prison. C’est pour sauver tant de pauvres et innocentes créatures et leur donner une famille chrétienne et un toit hospitalier, que nous nous sommes mises à l’œuvre, religieuses et femmes du monde« . La France Illustrée 1885.

C’est pour elles que l’abbé décide d’ouvrir un deuxième lieu d’accueil. Ce sera en 1882, à Billancourt.

La création de l’orphelinat de jeunes filles

Il y a, à l’extrémité de la rue du Vieux Pont de Sèvres, en 1882, une bâtisse à l’abandon, au bord de la Seine. C’est tout ce qui reste de la propriété de l’ancien maire de Boulogne Jean-François Collas (1767-1849). L’abbé Roussel acquiert le bâtiment et son grand parc de quatre hectares. Nous l’avons repéré sur cette photographie de 1871 :

C’est une grande bâtisse marquée par les bombardements de la guerre de 1870, et dont le parc est à l’abandon. Surprise, le cadastre nous révèle que cette acquisition le rend aussi propriétaire de la pointe aval de l’Ile Seguin. Mais il n’en fera rien. Ce bâtiment hébergeait un premier orphelinat dirigé par une certaine dame de Saint-André que les enfants appelaient leur « bonne mère ».

Avec l’aide de ses protégés, l’abbé mène à bien une restauration d’ampleur. L’orphelinat de jeunes filles ouvre ses portes en octobre 1883.

Louis Roussel y installe des sœurs de l’Enfant-Jésus, un nouvel ordre fondé par son oncle, Joseph Roussel, au Mans. Il confie la direction à sa sœur, Rosalie, religieuse également, sous le nom de « Mère Marie Joseph ». (Oui, la famille Roussel a produit de nombreux religieux).

Nous sommes parvenus à dénicher cette photographie de celle qui sera la supérieure de l’orphelinat durant plusieurs années.

L’institution accueille les jeunes filles pauvres, orphelines ou abandonnées, depuis l’âge de 12 ans (âge où l’assistance publique ne les prend plus en charge) jusqu’à 18 ans. Les coûts sont de 240 francs par an et 50 pour l’entrée, payés par les âmes charitables qui recueillent les enfants. Mais certaines sont reçues gratuitement.

Les ambitions sont plus modestes que pour l’orphelinat de garçons d’Auteuil. Il s’agit de « former des domestiques simples, honnêtes et travailleuses », pas d’en faire des demoiselles, ni des « femmes savantes » selon les mots de l’abbé Roussel. On apprend, donc, à Billancourt à faire la cuisine, à soigner une basse-cour, à coudre et à raccommoder le linge, à le laver, le blanchir et le repasser. Elles sont ainsi assurées, en sortant, de trouver un emploi et une vie décente.

En 1886 l’orphelinat n’a toujours pas été payé et on envisage même de le fermer à cause de cette dette. Il est vrai que le terrain avait coûté, en 1883, 300 000 francs, un bon prix, mais hors des moyens de l’abbé Roussel. Fort heureusement, il était aussi trop grand et, sur les 44 000 mètres carrés, l’œuvre en vendra 30 000, en 1899, allégeant ainsi la dette et assurant sa survie.

L’orphelinat invisible

Pour illustrer notre article, nous avons recherché des photos ou tableaux. Mais les bonnes photos manquent terriblement, l’orphelinat a disparu avant la première guerre mondiale. Il nous faut parfois fouiller longtemps pour avoir la chance de trouver une vue acceptable.

Que nous révèlent ces photos ? L’orphelinat est constitué de deux bâtiments de trois étages en L, encadrant ce qui semble être une cour. Un troisième bâtiment, donnant sur le quai, semble bien être la chapelle. Elle est dédiée à la sainte Vierge et à saint Joseph. L’ensemble est de dimensions modestes.

Une vache résignée et trois chèvres rationnées

Faute de photo correcte correcte, nous avons trouvé cette admirable description du Journaliste Aimé Gibon, publiée dans le Figaro du 30 juin 1885 :

« Dans le grand air et le plein soleil il est charmant, ce toit hospitalier. En face de lui, de l’autre côté du fleuve, l’ombreuse et verdoyante colline de Bellevue, où quelques élégantes villas ont remplacé le château en miniature de Mme de Pompadour. … Quant à lui, au bout de la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, le voici, sur le chemin de halage – maçonnerie en équerre, très blanche et rien de plus, enclos permis seulement aux fruits et aux légumes…

« La chapelle est d’une coquetterie à bon marché – résumant dans le vitrail de sa rosace, le labeur en famille et le labeur modeste et sain; la Vierge filant, saint Joseph menuisant, l’enfant Jésus aidant au ménage et à l’établi. Dans l’ouvroir toute la semaine, les mains s’escriment de l’aiguille ou de la plume et les notes s’y proclament le dimanche.« 

« Les dortoirs encadrent, dans leurs fenêtres, le cours tranquille du fleuve et les vertes immobilités de la colline. Pauvres couchettes si rapprochées, mais si propres et dont une grossière couverture de laine bise dissimule l’insuffisance! Le réfectoire où l’on descend par l’escalier des caves, est bien triste avec ses murs lépreux, son jour crépusculaire, ses vieilles tables vermoulues, ses cruches de grès pleines de la bière fabriquée à l’asile et ses assiettes d’étain où se rencontrent des légumes continuellement, de la viande quelquefois. En entrant là-dedans on frissonne; mais les fillettes ont si vite mangé! Ce qui ne serait point pour nous le strict nécessaire, est le confortable pour elles.« 

« L’Asile de Billancourt a – dans son écurie – une vache résignée et trois chèvres rationnées, chargées de fournir le laitage; puis, pour les charrois et les commissions, un cheval rustique hors d’âge, acheté 150 fr. et qui – au régime de l’orphelinat – broute et rebroute l’herbe d’un préau entre les pieux où l’on étend sur des cordes le linge à sécher. »

« Le personnel se compose de huit religieuses. Le dévouement, la sollicitude, le renoncement en cornettes. Elles se sont appris une maternité d’adoption ingénieuse et touchante, dont je ne veux pas trahir les adorables intimités.« 

Comment se déroulait la vie au jour le jour, à l’orphelinat de Billancourt ? Qui étaient les religieuses et les bienfaitrices ? Que devenaient les orphelines ? Nous avons parcouru les archives des Apprentis d’Auteuil et ses publications et ils révèlent bien des choses. C’est que que nous verrons dans le deuxième volet : « Être orpheline à Billancourt ». Nous découvrirons également un scandale et le mystère de sa fermeture.

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