Sauriez-vous localiser cette photo ?

Aujourd’hui, le Village de Billancourt va révéler ses petits secrets d’enquêteur.

Voici une photographie sympathique avec ces dames, chaudement vêtues, assises sur un tronc d’arbre abattu, dans un décor d’inondation. La légende nous dit qu’il s’agit de la rue de Meudon lors de la crue de janvier 1910.

Mais où est-ce exactement ? Si vous connaissez la rue de Meudon actuelle, vous aurez toutes les peines du monde à identifier les lieux. Aucun de ces bâtiments n’existe aujourd’hui. Aucune inscription ne figure sur les façades, ni numéro, ni commerce, ni plaque de rue. La rue est longue (à l’époque, elle allait même jusqu’au marché). À quel numéro sommes-nous ? La vue est-elle tournée vers le nord ou vers le sud ? Pas de soleil, donc pas d’ombre pour nous repérer. Cette photo semble être un vrai casse-tête.

Tout d’abord, après une recherche simple, on apprend que l’inondation de 1910 n’a pas atteint la place Nationale (Jules Guesde). On peut donc exclure toute la moitié nord de la rue de Meudon. La photo est située au sud.

Limite des plus hautes crues connues. Source : Geoportail.

Ensuite, on voit clairement une cheminée dans l’axe. Or la seule cheminée visible de la rue de Meudon, à l’époque, était la cheminée des glacières situées à l’emplacement du parc des glacières actuel. Le photographe a donc pris sa photo  en direction du nord, vers la place Nationale. On progresse.

Le cadastre à la rescousse

Puis on recherche d’autres repères. On croise avec d’autres photographies, comme celle ci-dessous. On y reconnait bien le bâtiment blanc à gauche, avec ses balcons. Il semble être constitué de deux maisons jumelles. Il est suivi par une grille, puis une grande maison dont on ne distingue que la toiture.

La façade du bâtiment de droite est tournée vers nous et s’étend perpendiculairement jusqu’à la rue. Nous avons donc trois bons repères, figurés ici en vert:

Puisque nous sommes en 1910, nous allons consulter le plan cadastral de 1905. Il est accessible sur le site des archives municipales. Le plan d’assemblage nous apprend que la portion sud de la rue de Meudon est dans la section E, feuille 5.

Il faut ensuite inspecter le plan en longeant la rue sur toute sa longueur, jusqu’à la place. On constate qu’un endroit est compatible avec nos indices et c’est le seul. Nos trois repères y trouvent parfaitement leur place. Nous sommes entre la Seine et la rue traversière. Vérifiez vous-même, pour vous en convaincre.

Au passage, on remarque les lucarnes d’une autre maison, tout à gauche, derrière les maisons jumelles. Cette maison figure aussi sur le plan, ce qui conforte notre conclusion.

Un œil aux états de section nous en dit davantage. Les maisons jumelles, à gauche sont au n°5 de la rue de Meudon et appartiennent à un certain Felix Motier. À droite, c’est le n°2, qui appartient à la veuve Langlois.

Trouver confirmation

On peut aussi retrouver les lieux à partir des photos aériennes de l’IGN. Mais elles ne sont pas toujours de bonne qualité et ne couvrent pas la période avant 1919.

Regardons celle de 1925, ci-dessous. Nous sommes 15 ans plus tard. La partie gauche de la rue de Meudon a déjà disparu, occupée par le « bâtiment de l’artillerie » construit par Renault durant la Grande Guerre. Mais la maison de droite, qui appartient toujours à la veuve Langlois, parfaitement reconnaissable avec son pignon et sa façade perpendiculaire à la rue, est toujours là, avec son jardin qu’on devine descendant jusqu’à la Seine :

Photo aérienne de 1925. Source : IGN

Autre confirmation : Nous avons trouvé, un peu plus tard, une autre photo des lieux, prise depuis le quai. On reconnait la maison Langlois, à gauche.

Rue de Meudon et Quai de Billancourt. Collection : J-P Lebaillif.
La maison Langlois, à gauche, sera détruite par Renault dans les années 1930.

La rue a aussi disparu !

Pour enfoncer le clou, constatons que la rue, elle aussi, a disparu ! En effet, lors de l’aménagement du trapèze, il y a quelques années, l’extrémité de la rue de Meudon a été supprimée pour laisser la place au Parc de Billancourt. Si le photographe se téléportait aujourd’hui, il se retrouverait sur le terrain de football !

Rue de Meudon 2021
La position du photographe aujourd’hui (point rouge). Source : Google.

Bien rares sont les photos qui ont résisté à ce type d’analyse. Nous avons du recourir à ce procédé de très nombreuses fois au cours de nos recherches, car vous le savez bien, l’usine Renault a quasiment tout rasé en l’espace d’une trentaine d’années. C’est ainsi que nous avons retrouvé, avec une quasi-certitude, la localisation des quelque 1 000 photographies qui constituent notre carte interactive.

A partir de là, on peut aller plus loin : le cadastre nous donne les propriétaires, les dates, les adresses. Les recensements nous donnent les résidents. Les archives d’état civil nous donnent leur famille, leur métier, leur origine et c’est toute l’histoire de ce bout de rue qui s’humanise. Et, là, surprise, on constate que l’une des maisons à gauche (celle dont les lucarnes dépassent derrière les maisons jumelles) est habitée un certain Gabriel Voisin et sa famille. Oui, le pionnier de l’aviation, dont nous avions raconté l’histoire dans « Les frères Voisin à Billancourt : des géants du ciel« .

Quant aux dames assises sur leur tronc d’arbre, elles resteront à jamais inconnues. Quoique….

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