La villa du préfet de police de Paris, Symphorien Boittelle

Quelle était cette maison, à l’emplacement de la piscine municipale actuelle, sur la rue du Vieux Pont de Sèvres ? Voilà encore une de ces belles villas disparues de Billancourt que nous traquons, au Village de Billancourt, depuis bien longtemps. On a trouvé bien peu de choses sur elle, l’historien Couratier parle d’une « belle propriété ». Nous avons mené l’enquête et elle nous mène vers l’un des personnages les plus intéressants du second empire.

Le préfet de police de Paris, Symphorien Boittelle

Si on n’a pas grand chose sur la villa, nous avons beaucoup d’information sur son propriétaire, puisqu’il était préfet de police de Paris durant huit années, sous Napoléon III.

Né dans le Nord de la France en 1813, Symphorien Casimir Joseph Boittelle1 est le fils du Président de la Compagnie des mines de Vicoigne. Saint-cyrien, il est destiné à devenir militaire, mais son tempérament querelleur lui fait quitter l’armée en 1845. Cette année-là, il épouse une Emilie Haussmann, cousine issue de germains du baron Haussmann.

Le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, qui aboutira à la fin de la deuxième république et à l’avènement du second empire, bouscule la vie politique française. Bonapartiste actif, Boitelle est récompensé et fait carrière dans la haute administration. Il est nommé sous-préfet puis préfet de l’Aisne (1853) puis de l’Yonne (1856).

Lorsque le peintre Jean-Léon Gérôme présente au salon de 1857 ce tableau intitulé « Suites d’un bal masqué« , nombreux sont ceux qui font le lien avec un duel qui avait opposé, durant l’hiver 1856-1857, Boittelle au républicain Pierre-Deluns-Montaud. A l’issue d’un bal costumé, les deux hommes croisent le fer au bois de Boulogne. Boittelle, habillé en Pierrot, est grièvement blessé à la poitrine alors que son adversaire, habillé en Arlequin, quitte la scène.

Il est nommé, enfin, préfet de Police de Paris en 1858, après l’attentat d’Orsini2 contre l’empereur. On peut penser qu’Hausmann est pour quelque chose dans cette nomination.

Il a beaucoup de travail : il doit participer à la mise en œuvre de la politique sécuritaire du second empire qui prône un retour à l’ordre moral, garant d’une société apaisée, et qui assimile l’opposition au désordre et à l’anarchie. La loi de sûreté générale votée en 1858 (ou loi des suspects), permet de punir de prison toute tentative d’opposition et autorise l’arrestation et la déportation sans jugement, d’un individu condamné pour délit politique depuis 1848. Pour ce faire, la préfecture de police se dote de moyens importants de surveillance policière et de fichage.

Un homme de la haute société

C’est probablement lors de sa nomination à Paris qu’il devient propriétaire de cette belle villa de Billancourt3. Il a pour voisins le comte de Gourcuff, le marquis de Castéja et le prince polonais Sapieha. Nous avons déjà raconté leurs histoires. Billancourt est alors un lieu de résidence secondaire apprécié des riches aristocrates et bourgeois parisiens.

Sa situation l’amène à fréquenter la haute société du second empire. Boittelle est un ami intime du duc de Morny. Il contribue, à sa suite, à l’essor de Deauville et de la côte normande. Il fait bâtir à Villers-sur-Mer, une « Villa des Flots » qui n’existe plus. Il est un habitué du salon littéraire de la princesse Mathilde Bonaparte, où il croise Flaubert, les frères Goncourt ou Dumas. Sa résidence d’été de Billancourt voit-elle passer la crème de la littérature française ? Comment le savoir ?

Une villa énigmatique

On trouve mention dans l’annuaire cantonal de 1865 de la « résidence d’été à Billancourt, commune de Boulogne« , du préfet Boittelle, au 99 rue du Vieux Pont de Sèvres. C’est à peu près tout ce qu’on peut dénicher dans la presse. Heureusement, les documents administratifs sont plus bavards.

Mais n’existe-t-il vraiment aucune représentation de la villa ? Pas sûr, car caché dans le catalogue d’une exposition en 1904 au musée Guimet, nous avons trouvé la mention d’une gravure ou dessin représentant une « Maison (récemment démolie), de M. Boitelle,  ancien préfet de police, à Billancourt« . Où est cette gravure ? Nous aimerions bien mettre la main dessus.

Après huit années de bons et loyaux services à la préfecture de police, Symphorien Boittelle est élevé à la dignité de sénateur par décret impérial du 20 février 1866. À la chute de Napoléon III, lors de la cuisante défaite de 1870, il perd son siège de sénateur.

Il doit vendre, la même année, sa belle propriété de Billancourt.

Il est mis à la retraite en 1874. Il continue cependant de militer en faveur de la cause impériale. Il meurt le 22 novembre 1897 à son domicile parisien du 45 de la rue Raynouard.

Du square Henri Barbusse à la piscine municipale.

Les propriétaires suivants sont une certaine veuve Pellerin puis, en 1891, un certain Henri Claude Jeanson (1858-1934), industriel dans le textile. Ils n’y résident pas. La propriété va être morcelée : les parcelles proches de la place de l’église sont vendues.

La villa est démolie peu avant 1904, emportant son mystère avec elle.

Dans les années 20, le terrain se couvre de cultures, qui les exploite ? L’industriel Jeanson ? La réponse nous est probablement donnée par le recensement de 1921, qui mentionne deux jardiniers au n°1715 : Louis Lassard et René Passedouet, avec leurs familles.

A 72 ans, Henri Claude Jeanson vend le terrain à la municipalité en 1930. La ville le conservera jusqu’à aujourd’hui. Les services municipaux en tirent du sable durant plusieurs années, puis, le maire, André Morizet, le transforme en square. Il y fait construire un auditorium en cul-de-four. Inauguré en 1934, on y organise des fêtes en plein air et des meetings populaires jusqu’à la guerre de 1939. En 1935, il prend le nom de l’écrivain et journaliste communiste Henri Barbusse, décédé cette année-là.

Les bombardements de 1942-1943 détruisent tous les aménagements. Le square reste de nombreuses années sans le moindre équipement, hormis quelques alignements d’arbres.

En 1961, la municipalité, associée avec le Stade français, décide de construire une piscine municipale afin d’encourager la pratique sportive. Le bâtiment accueille en sous-sol une salle de gymnastique, un sauna et des sanitaires tandis qu’au rez-de-chaussée se trouvent les vestiaires, douches, le bassin de natation et des plages. Vous y avez sûrement déjà nagé !

Le square Henri Barbusse est alors réduit au petit parc actuel.

1960 - IGN1973 IGN
Evolution de 1960 à 1973, construction de la piscine municipale et de la patinoire. (La place du marché est en bas à droite) – IGN.

Après des premiers travaux d’aménagements au début des années 1970, la piscine est rénovée, agrandie et réhabilitée entre 2001 et 2003 (Voir l’expo virtuelle « Boulogne-Billancourt : terre de sports« ).

Comme la ferme de Billancourt ou la maison du Prince Polonais, la villa Boittelle a disparu 10 ans trop tôt pour avoir une chance de figurer sur les cartes postales qui inonderont la France au début du XXe siècle. Mais le Village de Billancourt ne baisse pas les bras. Si nous trouvons, nous publierons à nouveau. D’ailleurs, nous avons découvert que l’arrière-petite-fille de Symphorien Boittelle, Jacqueline Boittelle, épouse Worth, habitait à Boulogne-Billancourt, lors de son décès en 2010. Connaissait-elle cette histoire ? Sa famille a-t-elle des archives ou photos à nous communiquer ?


Les villas disparues de Billancourt

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Ferme carré
Ferme de Billancourt

Maison du prince polonais
Villa Boucher carré
Villa Boucher

  1. L’orthographe « Boitelle » se rencontre souvent dans la presse. ↩︎
  2. Avec ses complices, Felice Orsini prépare un attentat à la bombe contre l’Empereur. Le 14 janvier 1858, 3 bombes sont lancées sur le cortège impérial alors qu’il arrive à l’opéra, rue Le Pelletier. 8 personnes sont tuées, 150 sont blessés, le couple impérial est indemne. ↩︎
  3. La cadastre donne 1860, au plus tard. ↩︎
  4. Les taxes locales sont calculées en fonction du nombre d’ouvertures. ↩︎
  5. La numérotation de la rue a changé au début du XXe siècle ↩︎

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