La toute première église de Billancourt

Durant des siècles il n’y eut qu’une grande ferme dans la plaine de Billancourt, pas de village, peu de paroissiens, donc pas d’église. La ferme dépendait de la paroisse d’Auteuil, dont l’église était située à plus de trois kilomètres. Au nord, l’église de Boulogne n’était guère plus près. Bref, Billancourt était un désert spirituel.

La chapelle de la ferme

Pas tout à fait un désert, car y on trouve mention d’un lieu de culte dès 1688 dans un procès-verbal de vol à la ferme de Billancourt. Il nous apprend que la « chapelle a esté dégarnye de tous ses ornements et de son hostel ».

Un peu plus tard, des comptes-rendus de visite d’architecte de 1762 à 1782 nous décrivent une chapelle attenant au corps de logis de la ferme. Elle est privée, et réservée au maitre des lieux. Mais les textes nous apprennent qu’ elle n’est plus utilisée :

« il ne reste dans ladite chapelle que le coffre d’autel en menuiserie fait et de peu de valeur simple paraissant qu’elle est interdite depuis du temps, aussi est-elle en mauvais état «  (1762)

Le projet du comte de Gourcuff

Après la révolution, tout change. Le comte de Gourcuff acquiert le domaine de Billancourt en 1825, pour y créer son « nouveau village de Billancourt« , un lotissement destiné aux riches parisiens en mal de campagne. Pour attirer les résidents, il se doit de proposer une église.

On trouve, sur le plan promotionnel de 1826, un projet d’ église tout proche de la place Jules Guesde (Grande Place), au milieu de la rue Nationale.

Mais il ne la construit pas. Les terrains du Village tardent à se vendre et les quelques résidents préfèrent s’installer le long de la rue du Vieux Pont de Sèvres, loin de la place.

1834 – La première chapelle

Gourcuff fait bâtir une chapelle plus au nord, en 1834, sur l’actuelle place Bir-Hakeim. Il la construit à ses frais et en fait don à la commune d’Auteuil. Cette place en demi-lune est baptisée naturellement « Place de l’Eglise ». Il faut imaginer cette chapelle entre l’actuelle allée Emile Pouget et la rue Nationale, à l’emplacement du Monoprix actuel.

Localisation de l'ancienne église

Dans une lettre à l’archevêque de Paris, Gourcuff demande un prêtre pour la bénir et y célébrer la messe. Elle est consacrée à l’Immaculée Conception (la croyance en la conception de Marie sans péché) très populaire à l’époque et qui deviendra un dogme de l’église catholique en 1852.

La chapelle est bénie le 15 août 1834, jour de la fête de l’assomption. Elle accueille des messes chaque dimanche pendant l’été. Parmi les voisins qui la fréquentent on trouve probablement Casimir de Gourcuff lui-même, Lady Hunloke, le notaire Heyrault, le prince Mostowski ou l’avocat Olivier Nizon.

En 1855, le curé d’Auteuil vient bénir le tabernacle destiné à recueillir le Saint-Sacrement.

Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucune image de cette première chapelle. Elle n’a sûrement pas beaucoup d’attrait car, dès le début, les employés de pompes funèbres la baptisent « la grange ». Le cadastre de 1860 nous montre un bâtiment guère plus grand qu’une maison. Le curé Charon nous dit même en 1901 « elle avait à l’origine les dimensions d’un salon, le petit oratoire permettait à peine de contenir deux ou trois familles« .

Billancourt devient enfin une paroisse

En 1860, Billancourt est détaché d’Auteuil pour être réuni à Boulogne. Sa population monte à près de 1800 personnes, Le 6 juin 1859, la paroisse de Billancourt est officiellement créée. Ses limites avec celle de Boulogne sont fixées à la rue Gallieni actuelle.

La chapelle devient alors église paroissiale en 1860. Elle est placée sous la direction de l’énergique abbé Joseph Gentil, alors vicaire de Boulogne. Il devient le premier curé de l’Immaculée Conception.

On procède à l’élection du premier conseil de fabrique (paroissial), début 1861. Trois membres sont nommés par l’archevêque de Paris, dont Casimir de Gourcuff et le marquis de Casteja. Les deux derniers membres sont nommés par le préfet de la Seine. Gourcuff est élu président.

En juillet 1861 un ouragan terrible souffle sur Paris, il emporte le plafond de l’église, la ville verse, en 1862, 1 200 francs pour les réparations.

Grâce à une souscription à laquelle prennent part les habitants, l’église est agrandie et embellie, sans recourir aux deniers de la commune. Assez vaste pour contenir cinq cents personnes, elle possède tous les éléments nécessaires à la liturgie, un orgue et un calorifère. Elle a plusieurs chapelles. l’une sert de baptistère, une autre est consacrée aux catéchismes. On y ajoute une cloche, financée par Gourcuff.

On passe de messes dominicales en été, à des messes quotidiennes et toute l’année.

Avec la paroisse est créée l’ « association paroissiale de charité » dans le but de patronner les œuvres de bienfaisance à destination des nécessiteux. Présidée par l’abbé Gentil, elle assure une caisse de loyer, un vestiaire (vêtements gratuits), l’attribution de cartes de pain, de viande et de chauffage, une caisse pour payer la pension des orphelins et une société de secours aux mères de famille.

Le 17 mai 1866, Casimir de Gourcuff, fondateur et bienfaiteur généreux de Billancourt meurt à 85 ans. Il est remplacé au conseil par M. Lachelin-Noël, capitaine retraité. Dans le conseil de fabrique de 1869, on trouve également Georges de Bessé, propriétaire de la belle maison de Tavernier.

Arrive la guerre de 1870, et le siège de Paris par les prussiens. Billancourt est sous les bombes. L’abbé Gentil prend sous son aile 122 de ses paroissiens démunis et part les installer à Saint-Jean d’Assé, dans la Sarthe. Il raconte cet épisode extraordinaire dans un livre qu’il fait publier. Voir notre article « L’abbé Gentil et ses 122 réfugiés de guerre« . A leur retour, en février 1871, l’église a peu souffert malgré les obus qui ont éventré les maisons avoisinantes. Les troncs ont tout de même été fracturés.

Le 6 juillet 1873, l’abbé Gentil annonce son départ pour la paroisse de Notre-Dame de la Croix à Ménilmontant. Ainsi part l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de Billancourt. Son départ est très regretté.

Le 2 aout 1873 il est remplacé par le père François Auguste Marbot, nommé par le vicaire général. Il entreprend des travaux mais néglige d’informer correctement la ville de la destination des subsides. Il se fâche avec la municipalité qui lui supprime son indemnité. Des annexes sont construites et 1874 et 1878.

En 1895, à 74 ans, le curé Marbot est remplacé par l’abbé Victor Charon, vice-chancelier de l’archevêché, qui est mis en place le 4 juillet 1895. Il prend l’engagement de se consacrer à l’agrandissement de l’église, en y mettent ses ressources personnelles, et même à sa reconstruction. Il y met un beau maître autel, de deux petits autels, une nouvelle chaire, un nouvel orgue et 6 vitraux.

La chapelle en 1895

C’est de 1895 que date le premier dessin ci-contre. On décide, en juin 1897, d’y ajouter des bas-côtés.

Notre église

Il faut attendre le début du XXe siècle pour avoir enfin des photos de l’église. Durant toutes nos recherches, nous en avons rassemblé 27, principalement sous la forme de cartes postales. Nous ne vous proposons que les plus intéressantes.

L’architecture du bâtiment est sobre et modeste. « Son architecture ne permet de la classer dans aucun style » nous dit le curé Victor Charon en 1901. Elle ressemble à beaucoup de ces petites églises sans ornements qu’on trouve dans les paroisses sans grande histoire ni budget. Mais c’est notre église.

Les photos nous révèlent également à quel point les alentours sont peu urbanisés. Nous sommes au début du XXe siècle et Renault n’a pas encore peuplé Billancourt d’ouvriers.

L’historien Penel-Beaufin nous détaille, en 1905, l’histoire de cette église. Nous avons reconstitué, sur cette base, l’agencement intérieur et retrouvé les œuvres qui l’ornaient, pour beaucoup des copies de tableaux du musée du Louvre. A découvrir dans l’article « À l’intérieur de la vieille église de Billancourt« .

Un agrandissement

A la fin du XIXe siècle, la population s’est grandement accrue. En 1900, le père Charon se plaint que les cérémonies de première communion sont difficiles, l’église étant trop exiguë. Le conseil de fabrique demande au conseil municipal une emprise de terrain sur la place d’une profondeur de sept mètres, afin de « favoriser le projet de construction d’une église plus digne de la localité à la place de la chapelle actuelle, si exiguë, si incommode ».

Malgré l’appui d’une pétition de plus de 1.000 signatures, la demande reste lettre morte. On ne cherche pas un autre emplacement, considérant que la situation sur la place est centrale (pour l’époque).

Puis on examine deux projets proposés par l’architecte Pradelle en 1901 et 1903. Le plus onéreux propose la construction d’une nouvelle église (voir « notre article « L’église qui ne vit jamais le jour« ). L’autre propose un simple agrandissement. Malheureusement, les fonds pour une reconstruction ne peuvent être réunis et la paroisse opte pour l’agrandissement. Le gain s’effectue vers le chœur. Hormis la façade, ces travaux ne changent guère la physionomie de l’église.

Vexations anticléricales

Le peu de financements s’explique grandement par l’atmosphère anticléricale qui règne au tournant du XXe siècle en France et les conflits ouverts entre l’Eglise et l’Etat. Les conseillers de la section de Billancourt, tous anticléricaux, s’opposaient à toute décision de la part du conseil et il est certain que le préfet de l’époque aurait vu d’un mauvais œil toute générosité de la part de la municipalité.

La lanterne

Les industriels du quartier n’ont guère contribué non plus. Si les projets de monsieur le curé sont souvent bien reçus par madame Renault, paroissienne d’une piété militante, son mari Louis, intéressé uniquement par son usine, ne voit aucun profit dans de telles dépenses.

En février 1906, suite aux lois de séparation de 1905, des fonctionnaires de l’enregistrement procèdent à l’inventaire des biens de l’église, ce qui donne lieu à quelques troubles.

La situation ne s’améliore pas avec l’industrialisation massive provoquée par la guerre. Durant les années 30 et le front populaire, la paroisse fait face à l’hostilité d’une population éduquée selon les principes hostiles à l’église. On rapporte que certains ne manquent pas l’occasion de lancer un croassement moqueur au passage de la soutane du curé. La presse locale communiste (L’Etincelle de Boulogne-Billancourt) dénonce en 1934, dans un article titré « Des enfants à l’église ! », le fait que quelques enfants en camps de vacances sont amenés à l’église par leur famille d’accueil, chose qu’on « ne saurait tolérer ».

L’église de l’Immaculée Conception connaitra une fin tragique : lors des bombardements alliés de 1942, une bombe s’abat sur l’un des bas-côtés. C’est l’histoire que nous racontons dans : « La destruction de l’église de Billancourt« .

Eglise Immaculée Conception détruite bombardements 1942-1943

10 Replies to “La toute première église de Billancourt”

  1. Comme toujours un article intéressant qui nous fait plonger dans le passé de BB. Félicitations. Lorsque je passe en France, je vais toujours faire un tour au 233 Blvd Jean Jaures où j’ai habité il y a longtemps de mon temps chez Renault.

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