Armand Seguin, de l’île Seguin

C’est l’histoire d’une ascension éclatante suivie d’une terrible déchéance.

Armand Jean François Seguin (« Segouin », pour l’administration) est à la fois un chimiste, un médecin, un homme d’affaires, un industriel et un banquier. Il nait le 21 mars 1767 à Paris. Il a, dans sa jeunesse, été collaborateur de Lavoisier pour ses expériences sur la respiration animale. Il est également l’un des découvreurs de la morphine.

Lors de la révolution française, il invente un procédé rapide de tannage des cuirs. Sa méthode à base d’acide sulfurique et diverses solutions tanniques, traite le cuir en deux ou trois semaines au lieu de trois mois. Le Comité de Salut Public, pour assurer l’approvisionnement des armées en souliers, est séduit par son procédé. Seguin leur propose de « former, aux dépends du gouvernement, dans l’île de Sèvres, une manufacture dans laquelle il s’engage de tanner dix mille peaux de bœuf par année« .

Sur demande de la Convention Nationale, le préfet de la Seine lui vend l’île de Sèvres, le 3 janvier 1795, ainsi que la propriété dite « maison de Brancas », à Sèvres. Tout cela était alors des propriétés nationales, confisquée par les révolutionnaires.

On lui accorde la jouissance de l’établissement pour 15 années et des avances pour ses dépenses. On va plus loin que ses propositions en lui demandant de tanner entre « 40 000 et 50 000 peaux annuellement ». Il recevrait pour ce faire « toutes les peaux de l’abattage de Paris« 

Il n’a que 27 ans et est déjà fournisseur officiel de la Révolution.

Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucun portrait de notre homme. Nous avons pris contact avec ses descendants, peut-être aurons-nous quelque chose de la famille ?

Admirez le tableau de Hyacinthe Dunouy de 1821, ci-dessus. On y voit l’île et le pont de Sèvres. Les bâtiments de la manufacture y sont visibles au milieu de la végétation. Il y a aménagé un lavoir, un canal, des bâtiments divers et rouvert la buanderie de l’ancien propriétaire blanchisseur, Jean Riffé, qui disposait de grands séchoirs.

En 1795 il emploie 100 ouvriers et 200 apprentis. La manufacture traite plus de 100 000 peaux par an qu’il vend six fois moins cher que ses concurrents. Il fournit le cuir des chaussures des armées révolutionnaires puis des armées impériales.

La chaussure de troupe de l’armée de Napoléon n’avait ni pied droit, ni pied gauche – BnF.

L’armée lui confie en 1796 le marché de « tous les cuirs tannés, corroyés et hongroyés nécessaires à la chaussure et à l’équipement de la totalité des troupes à pied et à cheval » pour une durée de 9 ans. La fabrique tourne à plein régime.

Mais le voisinage ne partage pas cet enthousiasme. En 1795 la mairie de Sèvres, de l’autre côté de la Seine, porte plainte « L’air est tellement infesté des émanations des corps pourris de l’atelier, des lavages pleins de sang putréfiés…enfin de la corruption des matières stagnantes dans la rue, que les passants sont obligés de se boucher les narines« .
Cette production industrielle signe l’arrêt de mort de la production artisanale et la manufacture Seguin est dénoncée par ses concurrents comme un monopole d’état. Il est accusé de vouloir « envahir et concentrer dans son atelier toute l’industrie des tanneurs de France« .

Armand Seguin devient l’une des plus grandes fortunes de France. Il donne des réceptions somptueuses qui éblouissent le tout-Paris.

Il intègre alors le groupe des « négociants réunis », une association de financiers chargés de trouver des liquidités pour les guerres de Napoléon. Mais il est embarqué par les spéculations hasardeuses du banquier Gabriel Ouvrard dans les affaires d’Espagne et est finalement emprisonné pour malversations entre 1810 et la chute de l’Empire.

La chute d’Armand Seguin

Il est réhabilité à la Restauration, mais sa tannerie périclite, avec le retour de la paix, les commandes de l’Etat se tarissent.

De plus, la qualité de ses cuirs est remise en cause. On l’accuse de fabriquer essentiellement du « cuir de Hongrie », (selon un procédé déjà ancien, utilisant du sel et de l’alun). Ce cuir dit « hongroyé », mou et spongieux, est adapté pour le harnachement des chevaux mais n’est pas assez solide pour la fabrication de chaussures. On doute même que sa fameuse méthode ait pu être utilisable à l’échelle industrielle. Ces accusations sont tirées d’un mémoire de Charles-Grégoire Dulac, dès 1798 : « Apperçu (sic) de la conduite et de la science d’Armand Seguin« .

Bacler d'Albe - Vue des coteaux de Sèvres et de Saint-Cloud 2
« La manufacture de l’île Seguin, vue de Meudon – Bacler d’Albe

Il délaisse la tannerie et se tourne vers l’élevage de chevaux. Il transforme l’île en un haras peuplé d’une centaine de pur-sang. Dans ses ouvrages « le classement de vitesse des chevaux de course » ou « Observations sur les courses qui ont eu lieu à Paris« , il fait une étude quasi-scientifique des performances comparatives des chevaux.

Parallèlement il devient membre de l’institut National des Sciences et des Arts. Il continue de s’intéresser au monde de la finance et écrit nombre de mémoires relatifs aux finances publiques, entre 1816 et 1829.

À la fin de sa vie, Armand Seguin devient paranoïaque et odieux. Il persécute sa famille et abandonne toutes ses affaires. Sa femme, Félicité Raffard-Marcilly, s’enfuit à Londres chez sa fille. Il meurt seul, le 23 janvier 1835, à 67 ans, cloîtré dans son hôtel particulier de la rue de Varennes. Ses héritiers revendront ses biens et la plus grande partie de l’Île, sauf la pointe aval.

Son nom restera attaché indéfectiblement à l’île de Sèvres. À la Belle Epoque, l’île abritera un tir aux pigeons, un restaurant et des résidences secondaires.

Ile Seguin Maison comte de Lambert vers 1920 perspective corrigée RH

Là où était située la tannerie (puis le haras) il ne reste plus, en 1920, qu’une ruine abandonnée. Son style suggère qu’elle avait probablement connu Armand Seguin. Renault se chargera de la raser dans les années 20.

Photo : Renault Histoire.


3 Replies to “Armand Seguin, de l’île Seguin”

  1. Très intéressant cet éclairage sur le passé de l’île.
    Je ne connaissais pas ce personnage un peu haut en couleur il semble.
    Curieusement, son état de santé se dégradant ainsi, me fait penser à des effets secondaires des produits utilisés sur son île (fût-il en contact prolongé avec, au début de sa carrière ? Médicaments utilisés ?). Ou était-ce le climat social et politique de l’époque qui l’ont rendu amer (si j’ai bien suivi, il a connu l’époque de Louis XVI, la Révolution et La Terreur, et l’empire de Napoléon. Ça en fait du changement !).

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