Comment Paris a spolié Boulogne-Billancourt, il y a tout juste 100 ans

Ce que nous voyons sur cette photo c’est l’ancienne porte de Billancourt, vers les années 1920, avec sa grille et son bureau d’octroi. Le pont à droite est l’ancien viaduc d’Auteuil, aujourd’hui pont du Garigliano. Vous reconnaissez l’endroit ? Comparez par rapport à la photo contemporaine ci-dessous, on reconnait bien l’immeuble haussmannien à gauche. A droite nous reconnaissons la rampe d’accès aux voies sur berge et le pont du Garigliano. Vous y êtes ? Si vous êtes automobiliste, vous l’avez sûrement reconnu.

C’était, jusqu’en 1925, la limite entre Paris et Boulogne-Billancourt. Aujourd’hui, cette limite est située 500 mètres avant, à peu près entre la tour TF1 et  le périphérique. Que s’est-il passé ? Paris nous a volé 500 mètres de quais !! Le forfait a été commis le 19 mars 1925, il y a tout juste un siècle.

Pour comprendre pourquoi, il nous il faut revenir en 1844.

Les fortifications de Thiers

Cette année-là, Adolphe Thiers, président du Conseil, fait construire un réseau de fortifications qui encerclent Paris.  L’enceinte est percée de 17 portes qui donneront leur nom aux portes de Paris actuelles (Porte de Saint-Cloud, Porte d’Auteuil  etc…). 

Outre le mur d’enceinte de 10 mètres de haut, le dispositif défensif comprend un fossé, puis un talus en pente douce: la contrescarpe, puis un glacis.

Ce glacis est un no man’s land militaire de 250 mètres de large. Il est non constructible afin de ne laisser aucun abri à l’ennemi. Si l’enceinte est sur le territoire de Paris, le glacis est situé sur les communes voisines. On y coupe même tous les arbres afin de laisser aux défenseurs une vue large et dégagée. Il est qualifié de zone « non ædificandi » (non constructible) dans les règlements d’urbanisme de Paris ou parfois « zone unique de servitude militaire » sur les cartes.

Ces fortifications sont mises à l’épreuve lors de la guerre franco-prussienne et montrent bien peu d’efficacité lors du siège prussien de septembre 1870. Paris a, certes, tenu mais n’a pas échappé au pilonnage de l’artillerie et à la capitulation.

Le démantèlement de l’enceinte est envisagé très vite, dès 1882, soit moins de quarante ans seulement après son édification. La paix revenue, la Zone est détournée de son objectif militaire. Des jardins potagers apparaissent dans les fossés de Billancourt.

Ailleurs, aux portes de Saint-Denis, Clignancourt ou Montreuil, la « Zone »  voit l’installation de bidonvilles. Les miséreux qui y trouvent abri sont appelés les « zoniers », ou péjorativement les « zonards » (le terme est resté). Au début du XXe siècle, leur nombre s’élève à 30 000. Ils viennent à la fois de la capitale et de la province, chassés par la spéculation immobilière ou par l’exode rural.

Du côté de Billancourt, les berges de la zone sont plutôt un lieu de promenade pour les parisiens qui veulent goûter au calme de la campagne.

Joris-Karl Huysmans, dans sa nouvelle de 1886, « Autour des fortifications », nous donne un aperçu des lieux:

« Je sortis et, traversant le viaduc d’Auteuil, je m’engageai sur la rive droite de la Seine ; la journée était blonde, pâlement ensoleillée, et des points d’or pétillaient dans l’eau verte, dès qu’un nuage écarté laissait filtrer des lueurs. Le vacarme du Point-du-Jour s’affaiblissait ; — je longeais les fortifications, sur la route encore peuplée de guinguettes et de cafés, mais ces établissements devenaient plus campagnards et plus simples, — puis il y avait comme une toute petite rade où naviguait une flottille de canots et un minuscule chantier où ronflait l’équipe en chauffe des express. Je fus soudain confondu : un troupeau de vaches était là, des vaches blanches, marbrées de café au lait et de roux ; »

Pour l’anecdote, le Village de Billancourt a également trouvé dans les archives nationales le projet de construction d’un grand champ de tir pour officiers, de 400 mètres de long, au même endroit. Il ne verra jamais le jour.

La fin des fortifications

Les fortifications sont finalement déclassées par une loi du 19 avril 1919. Que faire de cette zone démilitarisée ?

Les murailles sont détruites et les fossés comblés progressivement.  Il faudra attendre le début des années 30, pour constater que les remparts côté Boulogne-Billancourt ont disparu des photos aériennes. Ils sont remplacés par les grands ensembles d’habitation qui existent aujourd’hui et, du côté de la porte de Saint-Cloud, par l’église Sainte Jeanne de Chantal (1933).

Concernant l’ancien glacis, la loi prévoit que « dans l’intérêt de l’hygiène et de la salubrité publiques », il restera inconstructible et sera aménagé pour des services publics comme des transports, des parcs ou des équipements sportifs.

Faut-il la rendre aux communes limitrophes ? Non. C’est finalement à Paris que la Zone est rattachée (par un décret du 19 mars 1925, pour la partie Boulonnaise).

Les limites de la petite couronne sont donc repoussées à celles de la Zone non ædificandi au grand désarroi des communes qui voient leur superficie rabotée. Le décret ne prévoit aucune indemnisation1. Les propriétaires des terrains sont expropriés.

C’est ainsi que nous avons perdu 500 mètres de berges sur la Seine. Le sympathique Trinquet Village actuel, et son fronton basque auraient donc dû se situer à Boulogne-Billancourt, de même que les clubs de sport (incluant 32 cours de tennis) qui bordent le quai Saint-Exupéry ou les aires de déchargement de matériaux long de la Seine.

Boulogne-Billancourt a aussi perdu les terrains sur lesquels seront bâtis le stade du Parc des Princes (1967), le stade Jean Bouin (1925), le stade Français, le stade Pierre de Coubertin (1937) ou la piscine Molitor (1929). C’est également sur la Zone que, entre 1960 et 1973, on tracera le boulevard périphérique.

En tout, ce sont 40 hectares que Paris aura pris en 1925 à Boulogne-Billancourt. Ce n’est pas rien, c’est plus de 7% de sa superficie de l’époque. Des volontaires pour en réclamer la propriété, un siècle après ?


Photo en tête d’article: porte de Billancourt – Archives numérisées de la ville de Paris

  1. sauf en cas de pertes de recettes dûment démontrée par la municipalité spoliée ↩︎

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