La baronne de Laroche, femme moderne et aviatrice intrépide

Elle aura eu le cran de s’imposer dans un milieu masculin.

Le 11 mai 1908 à Billancourt, les frères Voisin pendent la crémaillère de leurs nouveaux ateliers de constructions aéronautiques du 34 quai du point du jour. C’est leur deuxième aménagement, entre le petit atelier de la rue de la ferme en 1905 et les vastes locaux d’Issy les Moulineaux en 1911.

Forts de leur toute récente notoriété, Gabriel et Charles Voisin sont alors les seuls constructeurs capables de proposer un avion sûr et éprouvé. Les commandes affluent. Il est de bon ton pour le tout Paris mondain de s’y montrer.

François Alaux (1878-1952) a saisi ce moment pour la postérité. Voici sa toile conservée au musée de l’air. Elle mesure 195 cm sur 130 cm.

Certains de ceux qui comptent alors dans le monde de l’aviation française y sont représentés. Au centre, sous l’aile du biplan : Gabriel Voisin.

Adossé à un pilier, au premier plan, son frère Charles. Egalement présents les pilotes Delagrange et Colliex…et des dames, dont le grand amour de Gabriel.

Dans le groupe devant à droite, l’homme conversant avec cette élégante au chapeau est Henry Deutch de la Meurthe. Richissime industriel, il préside l’Aéro Club de France, société d’encouragement à l’origine du  » Grand prix de l’aviation ». Ce prix avait joué un rôle important dans les vrais débuts de l’aviation avec le premier kilomètre bouclé, en janvier de cette année 1908. L’Aéro Club de France délivre également les premiers brevets de pilotes.

Mais quelle est donc cette élégante au chapeau à laquelle il s’adresse et que Charles Voisin semble couver du regard ? C’est Elisa Deroche. Elle est au seuil de sa courte mais intense aventure d’aviatrice, remplie de moments de triomphes mais aussi de pas mal de pleurs. Elle va y entrer en passionnée avec pour armes son courage et sa détermination … mais aussi avec les atouts dont la nature l’a pourvue.

Elisa la sportive

Élisa Léontine Deroche naît le 22 août 1882 à Paris. En 1892, à l’âge de dix ans, on lui offre un poney. Très jeune, elle s’intéresse aux sports : équitation, tennis, rowing, patinage, bicyclette et obtient en 1902 son permis de conduire !

Elisa Deroche sur motocycle Werner vers 1902

Elisa l’actrice…

On peut la voir en 1903, au théâtre Sarah Bernhardt où dans le rôle de Doña Sérafine dans la pièce La Sorcière de Victorien Sardou, en 1904 au théâtre des Mathurins dans le rôle de Maria, dans la pièce Baptiste de Michel Carré, et en 1906 au théâtre Réjane, dans le rôle de Rigolboche.

…et aussi le mannequin.

Une spectatrice passionnée de l’aviation naissante

Présente à Bagatelle lorsque Santos-Dumont réussit un premier vol le 13 septembre 1906, mais aussi le 13 janvier 1908, à Issy-les-Moulineaux, quand Henri Farman réalise le premier kilomètre bouclé sur un Voisin, elle ne rêve désormais que d’envolées et ne va pas tarder à trouver les moyens de les réaliser.

Le ciel sera désormais sa scène.

Santos-Dumont – 1er vol à Bagatelle en septembre 1906 (à gauche) et Henri Farman-1er kilomètre bouclé à Issy-les-Moulineaux en janvier 1908 (à droite)

Charles Voisin n’attend pas trop longtemps avant de succomber à ses charmes. Cette romance vaudra à Elisa un divorce d’avec son premier mari, Louis-Léopold Thadome, en 1909. Le couple a un fils, André, né en 1903.

Apprentissage

Sa formation a lieu au camp de Châlons à Mourmelon sous la conduite de l’instructeur Edouard Chateau. Le 22 octobre 1909 elle fait, sous l’œil attentif de Charles Voisin, son premier vol seule à bord d’un biplan Voisin sur une distance de 300 mètres et réalise le lendemain un vol de 6 kilomètres. Son biplan Voisin lui est livré en janvier1910.

Le  brevet de pilote n° 36 lui est remis pendant le meeting d’Héliopolis en Égypte, du 6 au 13 février 1910, faisant d’elle la première femme au monde à l’obtenir. Le règlement pour l’obtention de ce brevet comprend 3 circuits fermés de 5 kilomètres avec atterrissage de précision.

Délaissant alors ses brillantes toilettes, voilettes et chapeaux à aigrettes pour des tenues plus appropriées, Elisa se soumet sans broncher aux intempéries.

La période des meetings

L’aviation devient très populaire grâce à de nombreux vols de démonstration où les avions sont mis à rude épreuve et où les pilotes font preuve d’habileté au prix de prouesses risquées, parfois mortelles. Ces fêtes spectaculaires, en France et à l’étranger, attirent alors des foules de plus en plus nombreuses et enthousiastes.

Elisa Deroche participe bien sûr à ces nombreux rassemblements aériens comme à Héliopolis en Egypte, en février 1910, à Tours du 30 avril au 5 mai 1910. A Saint-Pétersbourg du 8 mai au 15 mai 1910, elle exécute un vol spectaculaire, coupant à cent mètres d’altitude le moteur de son biplan pour atterrir en vol plané. Cet exploit lui vaut un titre de baronne accordée par le tzar Nicolas II. Ce titre de  « Baronne Raymonde de Laroche » dont elle se pare en fait sourire plus d’un.

Meeting d’Heliopolis en février 1910 (gauche) – Elisa à la Grande Semaine d’aviation de Rouen en juin 1910 (droite)

On peut la voir aussi au meeting de Budapest du 5 au 15 juin 1910 et à la Grande Semaine d’aviation de Rouen du 19 au 26 juin 1910.

Lors de la deuxième Grande Semaine d’aviation de Champagne, Elisa est grièvement blessée pendant un meeting à Reims, le 8 juillet 1910, après une chute de 60 mètres. On ne donne pas cher de sa survie. Mais après plusieurs mois d’une douloureuse immobilisation, elle se promet qu’elle recommencera à voler.

Charles voisin l’installe dans la villa mauresque, quai de Billancourt. La rupture avec son frère Gabriel et l’entreprise familiale est désormais actée.

Celui ci n’a d’ailleurs jamais admis celle qu’il considérait comme une intrigante. Dans ses mémoires, mes 10.000 cerfs volants, il écrit  » Malgré tous mes efforts, je n’arrivais pas à souffrir cette femme qui devait nous séparer plus tard « .

Charles s’occupe désormais de pilotes chevronnés parmi lesquels Roland Garros.

Remise contre toute attente, Elisa reprend les vols en 1912. S’ensuit alors une nouvelle période heureuse de meetings. Ce bonheur ne dure pas longtemps.

L’accident mortel de Charles, la guerre

Le sort semble s’acharner. À peine remise, elle échappe de peu à la mort dans un accident d’automobile le 26 septembre 1912 à hauteur de Belleville-Corcelles dans le Rhône. Elle s’en sort avec des contusions. Son compagnon, Charles, a moins de chance : il est tué sur le coup. Il avait 30 ans.

Mais pas le temps de s’abandonner au chagrin : sa passion est la plus forte. En rejoignant l’école Farman de Châlons en avril 1913, son ambition est de remporter la coupe Femina, un concours d’endurance réservé aux femmes pilotes brevetées. Elle bat le record de distance sur 323 km à Mourmelon en novembre 1913.

Durant la Grande Guerre, voulant s’engager et se proposant de combattre l’ennemi, le ministère de la guerre lui oppose un refus catégorique :  » Une femme dans un régiment d’homme, vous n’y pensez pas ! « . A noter que l’accueil qui lui aura été réservé en temps de paix n’aura souvent pas été plus courtois.

Elle se marie en 1915 avec Jacques Vial, un pilote.

Retirée dans son pavillon de Meudon, son inaction pendant la guerre la mine. Engagée volontaire, elle devient quelque temps chauffeur d’officiers supérieurs. Mais les malheurs continuent : divorce en juillet 1917 et décès en 1919 à 16 ans de son fils unique des suites de la grippe espagnole.

Derniers records avant sa fin prématurée

A bord d’un avion Caudron, Elisa gagne, perd, puis reprend le record féminin d’altitude à 4800 mètres, en juin 1919.

Le prix Femina redevient sa priorité.

Baronne Raymonde de Laroche-1919

Elisa, le 1er juillet 1919 après son record de vol en altitude sur Caudron GIII – Source Bettmann-Corbis

Désireuse également de devenir pilote d’essai, elle copilote un avion expérimental au Crotoy, en juillet 1919. Lors de la manœuvre d’approche pour l’atterrissage, l’avion plonge, tuant les deux pilotes. Elle avait 37 ans.

Elle est enterrée au cimetière du Père Lachaise dans la 92ème division.

Souvenons de cette belle et courageuse aventurière qui aura su souvent défier le destin et contrarier le sort réservé par la société aux femmes de cette époque. C’est là que réside surtout sa modernité.

3 Replies to “La baronne de Laroche, femme moderne et aviatrice intrépide”

  1. Une histoire passionante, riche en details, où la peur ouvre place au courage, à l’auto-détermination, la perséverance et au dévouementElle participait à des compétitions aériennes et à des vols dé preuve, comme avoir piloté un Caudron.

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