Que reste-t-il des écuries du comte d’Artois ?

1777, le comte d’Artois, futur Charles X, fait construire, près du vieux pont de Sèvres, sur la berge de Billancourt, de petites écuries. Nous racontions cette découverte la semaine dernière.

La Révolution française survient, abolissant les chasses royales. Il prend, en 1824, la succession de son frère Louis XVIII, sous le nom de Charles X, pour être chassé du trône six ans plus tard. Que deviennent les écuries de Billancourt ? Nous avons poursuivi l’enquête.

À la recherche d’indices

Le début du XIXe siècle nous livre bien peu de documents. Billancourt passe d’un domaine agricole à un lotissement résidentiel sillonné de nouvelles rues. Le vieux pont de Sèvres est détruit, un nouveau pont est construit 200 mètres en aval. Les écuries ne sont plus sur la grande route vers Versailles.

À défaut de textes, de gravures ou de tableaux, nous examinons les cartes à la recherche de ce bâtiment en forme en U. Bonne nouvelle, les écuries restent visibles durant tout le XIXe siècle. À mesure que Billancourt s’urbanise, il est probable qu’elle changent de finalité.

À l’orée du XXe siècle elles sont toujours là. Le bâtiment figure sur le plan cadastral de 1905. Mais faute de photos précises, nous n’en savons guère davantage.

L’examen du cadastre nous donne d’autres indications. L’adresse est au 123 rue du Vieux Pont de Sèvres, puis au 151, puis au 231, après renumérotations de la rue. Les écuries sont passées de main en main. Il nous révèle également ce que nous espérions : Le dernier propriétaire est Louis Renault, encore lui ! Nous nous rendons donc chez Renault Histoire1 dans l’espoir d’y trouver les informations qui nous manquent.

De l’écurie à l’industrie

Chez Renault Histoire, nous prenons connaissance de l’acte de vente. Son examen nous révèle que les anciennes écuries passent, tout d’abord, entre les mains d’un certain Théophile Philéas Thibault, puis ses enfants. En mars 1847, elles sont vendues par adjudication aux époux François Saint Salvi puis Madame François Saint Salvi à la mort de son mari en 1873, puis leurs enfants.

À la fin du XIXe siècle, l’industrie fait son apparition. Le 19 avril 1895, elles deviennent la propriété de l’ingénieur céramiste René Edmond Lahaussois qui y installe une manufacture de porcelaine, pour deux années seulement.

En décembre 1897, les écuries sont acquises par la société britannique Standard Dynamite Manufacturing Company limited. Nous avons trouvé, en 1897, une demande d’autorisation, adressée au préfet de police, d’y exploiter une fabrication de cyanure de potassium et de chlorhydrate d’ammoniaque. Il est probable que la demande n’a pas abouti car la société entre vite en liquidation.

Les anciennes écuries sont acquises en janvier 1901 par Joseph Alexandre Billerey. Les annuaires nous révèlent qu’il y fabrique des « conserves de fruits au naturel et confits, confitures, ananas, amandes et pistaches« . (Nettement moins dangereux pour la santé).

Nous avons trouvé deux vues de cette époque Billerey, malheureusement trop lointaines pour être utiles :

C’est en octobre 1919 que Louis Renault acquiert les anciennes écuries auprès de Joseph Billerey qui décèdera deux mois plus tard. L’acte d’achat décrit un établissement industriel de 3 000 mètres carrés avec ses deux cheminées, un jardin et « une machine à faire de la marmelade de pommes ».

Des photos, enfin.

En 1919, un état des lieux de toutes les propriétés Renault est confié au cabinet d’architectes Plousey. Ce très volumineux rapport contient des descriptions détaillées de l’usine et, surtout, des centaines de photos et c’est ça que nous venons trouver. Parmi elles, nous découvrons cinq photos du 231 rue du Vieux Pont de Sèvres. C’est enfin ce que nous cherchions !

Le bâtiment ne paye pas de mine. Il n’a pas grand chose de royal, mais ça, nous nous y attendions, surtout après un usage industriel. La question est : reste-t-il quelque chose des écuries de Charles X? Bonne surprise, une partie du bâtiment de droite est nettement reconnaissable !

Les bâtiments ont été grandement modifiés. Ils sont été agrandis sur la rue, profitant de la réduction de la largeur de la rue du vieux Pont de Sèvres. Ils ont également été surélevés. Le bâtiment de gauche étant d’un seul tenant, il ne peut être d’origine.

Autre belle surprise : les stalles semblent avoir subsisté et témoignent de l’usage originel.

Par ailleurs, nous y découvrons une salle de classe. Que vient-elle faire là ? Des plans de l’usine Renault de 1922, nous révèlent que Renault a utilisé le bâtiment comme école d’apprentissage pour ses ouvriers.

L’usine Renault s’étend encore. Sur les photos aériennes de 1925, les anciennes écuries du comte d’Artois ont disparu. Un grand atelier sans intérêt prend sa place. Le cadastre ne semble pas s’accorder avec ces photos, toutefois. On peut y lire la démolition d’une écurie et d’une remise en 1933. C’est probablement un enregistrement tardif.

Un siècle et demi après sa création, il ne reste plus rien des écuries du comte d’Artois. L’automobile a supplanté la voiture à cheval. Le symbole est fort.

Et aujourd’hui ?

Un autre mammifère ongulé a investi les lieux : une girafe au long cou. La crèche de la girafe n’est pas exactement au même endroit : les écuries étaient à une cinquantaine de mètres plus loin vers la Seine.

La crèche de la Girafe, en 2020. À proximité des anciennes écuries.

Ainsi s’achève notre enquête sur un petit chapitre architectural de Billancourt laissé chez nous par le dernier roi de France.


  1. Cette association, basée à Billancourt, conserve les archives de la société Renault. ↩︎

Laisser un commentaire