Une visite au tir aux pigeons de l’île Seguin

C’est un de ces endroits privilégiés où ces messieurs et, parfois, quelques dames du beau monde venaient « taquiner la gâchette », au tournant des 19e et 20e siècles. Autres temps, autres loisirs !

Mais à vous, lecteurs sensibles et civilisés d’aujourd’hui, une question se pose : le tir aux pigeons se pratiquait-il sur cibles vivantes ?

Non, rassurez-vous, il s’agissait là de tirs sur pigeons artificiels, l’ancêtre du ball-trap en quelque sorte, car en cette fin de 19ème siècle nous n’étions plus des sauvages tout de même ! L’idée venait d’Angleterre où des voix s’étaient élevées contre cette pratique barbare.

Voyons ça de plus près. L’installation est à la pointe de la technique de l’époque et son site judicieusement choisi car implanté à l’écart des habitations. Elle se déploie sur environ deux hectares, à la pointe amont d’une l’île Seguin presque encore intacte , face à l’île de Billancourt (aujourd’hui Saint-Germain).

Les boites dans lesquelles étaient autrefois enfermés les pauvres pigeons sont à présent remplacées par des appareils munis de puissants ressorts projetant des disques d’argile. Et comme il est possible de régler à loisir la direction et la vitesse du projectile, voici qui ajoute à la difficulté et au plaisir, surtout que le tireur ne sait pas quand ni dans quelle direction le disque part. Il faut faire preuve d’une grande adresse, mais quel entrainement pour le tir en vrai !

Voici comment cela se présente :

Et le tout sous le contrôle très strict du marqueur, selon un protocole très précis.

Mais la grande innovation est la tour qui permet le lancer de la cible en hauteur, vers le tireur, reproduisant autant que se peut le tir « en réel », c’est à dire en battue.

La tour est visible à gauche, au bord de la propriété du comte de Lambert. Pas sûr qu’il ait apprécié ce voisinage !

Tout tir intempestif vers les spectateurs semble exclu. Quoique…

Le tir aux pigeons de l’île Seguin appartenait à la société civile « Le Fusil de Chasse ». L’un de ses présidents les plus marquants fut Maurice Bucquet, grand champion et également président du moins bruyant et plus pacifique « Photo Club de Paris ».

Parmi les adhérents de ce cercle très select : R. de Barbarin, Julien de Felcourt, messieurs de Luze, de Mérode, les barons de Castex, Jaubert, de Schonen, le comte de d’Havrincourt…

Ses membres se sont à maintes fois illustrés dans de nombreux championnats.

Pour terminer sur une note insolite, un de nos fidèles lecteurs, Monsieur Steve Légère, nous signale que le tir aux pigeons fut aussi le théâtre de compétitions de « tir de duel », très à la mode en cette fin de 19e siècle. Oui, vous avez bien lu, de « tir de duel », car dans un monde de gentlemen il faut se tenir prêt à toute éventualité, n’est ce pas ?

Soyez là aussi rassurés, il ne s’agit pas de tir sur cibles réelles mais sur silhouettes placées à 25 mètres.

Et selon le vieil adage qui dit que, là où il y a de la gêne, il y a du plaisir, le règlement ne manque pas le sel : d’une part les compétiteurs dont l’ordre de passage est tiré au sort ne connaissent pas le pistolet qu’ils vont devoir utiliser et, d’autre part, le temps imparti au tir est court (3 secondes à la première manche après l’ordre de commandement « feu »), voire très court (1 seconde et 8/10e précisément lors des 2e et 3e manches).

Nous sommes à la 2e ou 3e (et dernière) manche. Quel sérieux dans le respect du règlement !

Un des grands compétiteurs fut monsieur Léon Lecuyer rencontré lors de notre première visite de février 2020. Personnage réputé fort sympathique, également champion de sabre et d’épée. Gageons que son couple fut stable…

Puis un certain Louis Renault viendra mettre un terme à tout cela en achetant en 1919 le terrain à son propriétaire, Simon Aubry…

Les illustrations, sauf précision, sont issues de la BNF, notamment de la revue « Le Sport Universel Illustré » dans ses N° 253 du 25 mai 1901 et 512 du 03 juin 1906 qui ont également alimenté le texte de cet article.

Le sujet du « tir de duel » est inspiré des archives de Monsieur Steve Légère. Il s’agit d’un article du n°6 de la revue « La vie au grand air » du 15 juin 1898. Les photos sont reprises de la BNF.

La photo d’en tête vient de la collection Alexis Monnerot-Dumaine.

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