C’est un petit air populaire au refrain joyeux. Il nous dit : ça s’est passé à Billancourt. On ne s’en lasse pas !
Ce tableau d’entête, intitulé « La noce à Billancourt », est dû à Jean-François Raffaëlli. Il l’a peint probablement vers 1880. C’est une scène charmante, celle d’une noce sûrement pas très riche et presque sans invités, saisie comme sur le vif à la manière d’un instantané photo.
Il fait beau, le fond de l’air est doux, on dirait le printemps. À gauche la Seine déroule son ruban bleu-vert, plus loin une cheminée d’usine crache sa fumée.
Le peintre a saisi ce moment de la sortie du restaurant. On semble hésiter pour la suite : faut il traverser la Seine en barque pour aller danser au bal du « Petit Robinson » à la pointe de l’Ile de Billancourt, remonter le quai vers Paris pour terminer cette belle journée dans quelque guinguette, ou bien prendre la navette des « Bateaux Parisiens » vers le bas-Meudon et ses autres lieux de réjouissance ?
Peut on localiser la scène ?
Oui ! C’était après les fortifications, sur le quai du Point du Jour, au pied de l’actuelle tour TF1. C’était ici :



C’était dans la zone des guinguettes, presque à son extrémité.
Souvenez vous, après la guerre de 1870-1871 une clientèle d’ouvriers, employés et petits patrons venait à Billancourt se distraire dans les bals et restaurants qui fleurissaient à la belle saison sur ces terrains ingrats du quai du Point du Jour, inconstructibles et immergés tous les hivers.

Ce que nous voyons ici, depuis les berges d’Issy-les-Moulineaux, est cette zone des guinguettes du Point du Jour. Au fond, Auteuil.
Cette photographie vous avait été présentée en septembre 2021. Nous l’avions alors datée de la fin du XIXe siècle, mais la récente découverte du tableau de Jean-François Raffaëlli nous a fait réviser notre estimation : elle date plus probablement d’avant 1880.
En effet, à gauche se situe l’emplacement du futur restaurant de » la noce » qui ne jouxte alors pas encore le gymnase Bonnaire*.

Bientôt, une guinguette en « bois de démolition » va apparaitre. C’est bien notre restaurant de la » noce à Billancourt « , pas de doute possible !

Tempus fugit **
Ce que l’on voit sur le tableau de Jean-François Raffaëlli est le reflet d’un monde à jamais disparu, remplacé depuis par un nouveau décor.
Mais n’en va t’il pas ainsi de toutes les choses de nos vies humaines : nouveaux visages, nouvelles rues, nouveaux bâtiments, nouvelles façons… ?
Renault va transformer radicalement ce coin de l’insouciance et de la joie de vivre en installant son usine O. Voyez cette autre photo venant des archives de Renault Histoire. Elle date de vers 1920.

Notre restaurant de la noce, à droite, a déjà disparu.
Reste à gauche, mais pour bien peu de temps encore, le bâtiment plus très fringuant du bistrot » à la pêche miraculeuse » visible sur le tableau de Raffaëlli et devenu, entre temps, une épicerie. A l’extrême droite sur cette photo, le gymnase Bonnaire dont on aperçoit une partie est lui aussi en sursis.
Il faut cependant préciser que si Renault a transformé le quartier, on ne peut l’accuser d’être l’auteur direct de la disparition des guinguettes.
Quant au quai, vers le pont d’Issy, voici à quoi il va ressembler désormais : l’usine O s’est largement installée sur ce qui n’était qu’un terrain vague, refuge des vagabonds. C’était aussi l’emplacement de l’usine chimique Billault.
Construit pendant la Grande Guerre, un ensemble imposant de bâtiments va s’étaler jusqu’à la rue des Peupliers. L’usine participe à l’effort de guerre en produisant des pièces d’avions pour Farman et Voisin et en équipant de moteurs les fuselages Breguet. Puis la paix revenue, ce sont de prestigieuses carrosseries automobiles en bois et métal qui y sont construites.
Enfin, des véhicules spéciaux y seront assemblés, dont la célèbre camionnette Estafette, jusqu’à la destruction de l’usine à partir de 1969.

Qui était Jean-François Raffaëlli (1850-1924) ?
C’était un peintre, dessinateur et graveur naturaliste auquel on doit aussi les illustrations des écrits de Joris-Karl Huysmans. Il est associé au mouvement impressionniste.
Jean-François Raffaëlli aura d’abord peint et dessiné des scènes de la vie de banlieue, assez souvent non localisées. La « noce à Billancourt » se démarque en cela, mais aussi par son thème inhabituellement joyeux.

Il habite Asnières …dans un petit pavillon de banlieue, laquelle devient son territoire artistique, de la Zone aux portes de Paris et qui le rendit célèbre en peignant et en gravant la misère sociale des chiffonniers. (Wikipédia)
Il voyage en Europe, puis aux Etats-Unis où il donne des conférences. Fortune faite, il s’installe à Paris et change radicalement de style en se consacrant à sa nouvelle ville et aux portraits.
Il reste pour les critiques ….l’inventeur du paysage de banlieue : « un talus, des arbres en balais, des cheminées d’usine, des toits rouges, un sol fertile en tessons, le ciel triste. (Wikipédia)


Cet article est dédié à tous les amoureux.

* Détail amusant : sur le cadastre de 1912, le propriétaire du gymnase est recensé sous le nom de Le Débonnaire. On sait que l’établissement avait été créé en 1873 par un artiste trapéziste qui fit la renommée de l’hippodrome de l’Alma pendant le Second Empire sous le nom de » Bonnaire « …
** C’est du latin, ça veut signifier quelque chose comme « le temps passe vite ». Oui, je sais, ça fait un peu savant…



Moi aussi j’ai habité avec mes parents à Asnières – la ville de Louis Vuitton… – mais je ne savais pas peindre ! Notre Boulogne est passée par tant et tant d’histoires. J’adore ! Rentré chez Renault en 1975, j’y ai passé quelques belles années.
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