Nous vous racontions la belle époque de la plus belle avenue de Billancourt. Aujourd’hui le Village vous raconte la suite son histoire mouvementée.

Louis Renault a sans doute souvent arpenté cette avenue dans sa jeunesse. Était-il sensible à sa beauté ? Tout à sa passion pour la technique, on peut en douter. S’imaginait-il qu’il allait bientôt bouleverser tout cela ?
Avenue du Cours 1907 Steve Légère
Avant la première guerre mondiale
Après le succès de la voiturette de Louis, les frères Renault fondent leur société en 1899 et construisent leur première usine, à proximité de la maison familiale. En quelques années, ils s’étendent de part et d’autre de la rue du Cours (avenue Emile Zola), au sud de la rue Yves Kermen actuelle, pour y établir ce qu’ils appelleront les ilots B et C, selon leur habitude de nommer les ilots par ordre alphabétique. L’usine ne couvre à l’époque que quelques hectares
La rue du Cours, jadis si tranquille, fourmille maintenant d’ouvriers. Et ce n’est que le début.

La carte postale ci-dessous met en évidence l’impossible cohabitation entre le résidentiel et l’industriel. Les nuisances sonores, les odeurs découragent les riverains. Le portefeuille bien garni de Renault les convainc de vendre, les uns après les autres.

A l’angle de l’avenue et de la rue Gustave Sandoz (aujourd’hui disparue) Louis Renault érige un buste à la mémoire de son frère Marcel, né à Billancourt et mort lors de la course automobile Paris-Madrid en 1903. Voir « L’accident mortel de Marcel Renault« .

Lors de la crue de 1910, l’avenue du Cours est intégralement sous l’eau, plaçant les résidents de cet immeuble, au n°3, en bien fâcheuse posture.

La première guerre mondiale
La guerre de 14-18 amène Louis Renault, grand fournisseur d’armement pour l’armée française, à s’agrandir considérablement. Il acquiert peu à peu les autres propriétés de l’avenue et de la rue du Cours et y bâtit ses ateliers. Entre 1903 et 1917, on ne compte pas moins de 22 acquisitions. Aucune des belles villas qui s’y trouvaient n’y échappe. Il les utilise, dans un premier temps, pour ses oeuvres sociales.
Le bas de l’avenue est toujours piétonne, selon la clause de 1836, ce qui gène considérablement le constructeur. Les autres rues du quartier sont encombrées de véhicules qui font la navette d’un atelier à l’autre.
Le 13 juin juin 1917 survient l’effondrement accidentel du bâtiment C4, tuant 26 ouvriers.

Des considérations de sécurité amènent Renault en juin 1917 à fermer l’accès à tout le trapèze, (Voir « Le jour ou Renault ferma les rues du trapèze« ), réalisant un hold-up sur la voirie publique et déclenchant ce qu’on appellera l’ « affaire des rues Renault ». Malgré les molles protestations de la municipalité et des derniers résidents du trapèze (peu nombreux), on le laisse faire. Renault est trop important pour l’effort de guerre.
Une avenue méconnaissable
Après l’armistice, arguant que les intérêts de la défense nationale ne justifient plus cette situation, le préfet et le maire exigent la réouverture à la circulation des rues fermées, à commencer par l’avenue principale : l’avenue du Cours. Renault obtempère mais se refuse à ouvrir les autres rues. Elles resteront fermées.

En 1920, la municipalité, qui a récupéré son avenue, entreprend de grands travaux. Le niveau de la chaussée est relevé pour la mettre à l’abri des crues et les arbres sont arrachés. Le buste de Marcel Renault est transféré sur le bas-côté. Le 12 mars, le conseil municipal rebaptise la rue du Cours et l’ancienne promenade du nom du romancier et journaliste Emile Zola. Elle devient alors une voie comme les autres, ouverte aux automobiles.
Mais une personne objecte, devant le Conseil d’Etat, qu’on a violé le contrat de 1836 et la promesse d’interdire l’avenue à la circulation. A sa défense, Renault fait valoir que la décision a été prise par l’administration elle-même et que la nouvelle situation profitant à l’usine, elle profite également à tous. Le Ministère de l’Intérieur observe que « la destination des lieux n’a pas été modifiée ». Finalement le conseil d’Etat « botte en touche » : pour éviter de se prononcer sur le fond, il déboute le plaignant pour vice de forme, arguant qu’il aurait du mettre en cause le conseil municipal plutôt que le préfet.
Renault transforme le reste de l’avenue
C’est sur cette avenue encore que Renault construit dans les années 1920 un grand bâtiment, dans le parc de l’ancienne propriété familiale. Il sera le siège de la société Renault jusqu’en 1975. C’est le bâtiment Dreyfus aujourd’hui visible au bout du Parc de Billancourt. Dans ce jardin est conservé le premier atelier dans lequel Louis Renault a construit sa voiturette, en 1898.


Il fait également bâtir les deux portes jumelles en brique qui donnent accès aux rues Théodore et Traversière, fermées au public. Ces rues n’existent plus mais les portes sont toujours là. Elles semblent n’être plus, aujourd’hui, qu’un ornement pour le bâtiment Dreyfus.


Louis Renault, propriétaire de l’Ile Seguin depuis le début des années 20, décide d’y construire son usine ultra-moderne. Pour y acheminer tout le nécessaire, il fait bâtir en 1928 par la société Daydé, un pont à l’extrémité de l’avenue. Il est uniquement accessible depuis l’intérieur de l’usine. C’est le pont bleu visible encore aujourd’hui. Il restera jusqu’au bout le « cordon ombilical » entre le trapèze et l’usine de l’Ile Seguin.


Entre 1925 et 1932 Renault détruit les deux plus grandes villas de la rue du Cours. La villa Fountaine, avec ses trois hectares de parc, acquise en 1917 pour y installer son Cercle des Agents de Maîtrise des Usines Renault, et la villa Aussillous, située de l’autre côté de la rue, dans laquelle il avait installé une pouponnière pour ses employés. Il y bâtit à la place deux ateliers géants pour le service de livraison des voitures.
L’avenue Emile Zola ne connaîtra pas beaucoup de transformations dans les années qui suivront. Elle restera une avenue grise, sans charme, industrielle, essentiellement utilisée par les employés de Renault, puisqu’elle ne dessert aucun quartier résidentiel ni aucune autre commune.
En décembre 1950, Renault obtient de la commune le déclassement de l’extrémité de l’avenue qui mène jusqu’à la Seine. La régie évite ainsi la situation d’une usine coupée en deux parties. Une grille vite surnommée « grille Zola » est placée à hauteur du n° 35.
C’est par là que les ouvriers entrent dans l’usine dès six heures du matin, en vagues successives et denses provenant de la station de métro « Billancourt ». C’est là encore qu’on accède à la cantine ou aux vestiaires, que les syndicats distribuent tracts et informations.


– Elie Kagan & Roger Enrard
C’est en tentant de forcer le passage à cette grille que le militant maoïste Pierre Overney (à gauche sur la photo), récemment licencié, est tué par un agent de la sécurité de Renault (au centre) en février 1972, provoquant des réactions nationales. Certains d’entre nous s’en souviennent encore.

L’avenue fait l’objet de reportages comme celui-ci, en 1971, qui nous en révèle l’aspect :
L‘avenue Emile Zola renait
Renault est parti et le trapèze a retrouvé son caractère résidentiel. Les urbanistes ont dessiné de toutes nouvelles rues dans un réseau différent, parallèle à la Seine et à la rue Yves Kermen, laissant l’avenue Emile Zola étrangement « de travers ».
Elle a retrouvé ses couleurs du début du XXe siècle avec ses rangées arbres et, dans sa partie sud, une belle largeur grâce à un grand terre-plein végétal de plus de 300 mètres de long.


Avec le parc de Billancourt, l’avenue Emile Zola a retrouvé la tranquillité et le caractère paisible de ses débuts. Les familles sont de retour, les enfants jouent dans les allées du parc et les promeneurs apprécient la spectaculaire floraison des cerisiers au printemps.
Et mieux : l’extrémité de l’avenue ayant disparu, les voitures n’y circulent plus. Le vœu du comte de Gourcuff de 1836 est exaucé.



