La famille Boucher à Billancourt

Il y a quelques semaines, nous vous présentions l’une des villas disparues de Billancourt, située sur les lieux de l’école des Papillons, et que nous avions baptisé la « Villa Boucher ».  Nous avions retrouvé les descendants et avions récupéré un ensemble exceptionnel de photographies anciennes qui nous ont permis de faire revivre la villa.

Aujourd’hui nous allons nous intéresser à Louis et Jeanne Boucher, auteurs de ces photographies et initiateurs d’une belle affaire familiale qui perdure encore jusqu’à nos jours.

Mais commençons par le premier arrivé à Billancourt, Charles Alexis « Auguste » Boucher. Il quitte le nord de la France pour devenir fabricant et négociant de casquettes à Paris, rue de Boulogne. On ne sait pas ce qui l’amène à acheter ou à faire construire cette belle maison de campagne vers 1860, au 113 rue du Point du Jour. A l’époque, Billancourt est un quartier résidentiel bien peu urbanisé. Sa femme, Emilie, en profitera peu car elle meurt en 1861, à 51 ans.

Durant la guerre franco-prussienne, la maison est très probablement désertée. Elle survit aux obus qui passent au dessus de Billancourt durant le siège de Paris. Une photo d’elle la montre complètement isolée dans un décor lunaire. Après la guerre, Billancourt panse ses plaies et Auguste s’y installe. Il y décède en 1881.

Louis et Jeanne Boucher

C’est son fils Louis qui reprend la maison en 1883. Il a épousé trois ans plus tôt une jeune parisienne de 18 ans, Jeanne Bournot. Ils ont 16 ans d’écart. Au début, Louis et Jeanne n’y résident pas, la maison semble être une maison de vacances. Ils habitent à Paris, au 23 rue de Turbigo.

Ils ont quatre garçons: Auguste, Marcel, Robert et Jean et une fille, Emilie. Les trois derniers sont nés à Billancourt. Nous avons reconstitué leur généalogie.

Au Ver à Soie.

S’ils habitent rue de Turbigo c’est parce que Louis y a acquis en 1878 une société qui fabrique et vend du fil de soie : « Au Ver à Soie ». Un nom qui vous dit sûrement quelque chose si vous aimez la broderie. Fondée en 1820 cette société fabrique des soies à coudre, à broder pour la sellerie et les corsets, ainsi que du fil de pêche. La qualité de sa soie lui vaut une médaille de bronze lors de l’exposition Universelle de Paris en 1878.

Avec la haute couture, la soie française est renommée dans le monde entier et la société compte déjà de nombreux clients étrangers. Ses ateliers se trouvent à Billancourt. On ne sait pas bien où. Peut-être dans les dépendances, à gauche de la villa.

Louis se doute-t-il alors que cette société restera dans la famille durant cinq générations et qu’elle sera aujourd’hui le spécialiste français du fil de soie ? Nous en reparlerons.

Les photos de famille

Au vu des photos, les années autour de 1900 semblent être des années heureuses pour les Boucher. La maison de Billancourt est belle et agréable. Derrière sa barbe en pointe et ses yeux rieurs, Louis, semble être un vrai « geek » en photographie, une technologie qui se démocratise alors rapidement. Il s’essaye à la photo stéréo et même aux effets spéciaux comme la surimpression sur fond noir. Voir notre article  » De quand date cette photo ? « .

Il nous donne ainsi à voir la vie d’une famille bourgeoise à Billancourt, au tournant du XXe siècle.

Il photographie tout : la famille, les amis, la maison, le jardin. Comme tout photographe, c’est lui qui apparait le moins souvent et lorsqu’il apparait il est toujours nommé « monsieur Boucher ». Les photos sont souvent légendées de manière sommaire (mais toujours datées) et il nous faut faire des recoupements pour identifier correctement les lieux et les personnages. 

Il capture les moments familiaux privilégiés : baptême à l’église de Billancourt, mariages, vacances. C’est banal aujourd’hui, mais à l’époque c’est très nouveau ! Il prend des instants malicieux, comme cette photo où Robert fait un pied de nez et tire la langue, et d’autres plus posés, en belle robe blanche et tenue de marinier.  Il aime le jardin d’hiver où il trouve suffisamment de lumière.

D’autres personnages apparaissent, qu’on identifie comme des membres de la famille. En creusant un peu on découvre que certains habitent également Billancourt. Marie Victorine Rosier, la sœur de Louis, habitait au 37 rue du Point du Jour en 1860, à la naissance de sa fille. Son frère Antoine (dit Antonin), après un passage rue du Point du Jour puis au 2 rue Gabrielle (une des rues disparues du trapèze) a fini ses jours en 1897 au 15 rue Solferino avec ses sept enfants, c’est à 300 mètres de la villa Boucher. Sa maison n’existe plus. En 1936, on trouvera encore des nièces au 2 rue de Sèvres, dont une née rue de l’Ile. Et combien d’autres cousins éparpillés à Boulogne-Billancourt ?

Outre les cousins, les photos nous montrent des amis de Billancourt. Parmi eux, un certain « Edgar Morgan » se détache, avec sa moustache à la Bismarck.

Nous avons enquêté à son sujet : Edgar Morgan habitait une grande maison au 7 rue Heyrault, près du marché de Billancourt, avec son épouse et ses enfants. Encore un billancourtois. Ce joailler parisien avait des boutiques rue de la Paix, à Nice et à Biarritz. Sa maison n’existe plus non plus, mais nous avons également réussi à contacter des descendants et avons des photos. Voir notre article la « Villa Morgan ».

On l’a vu, les Boucher ont des amis partout dans Billancourt, mais participent-ils à la vie de la cité ? Les photos ne nous montrent pas grand chose. Lorsque le dirigeable « Patrie », dont l’enveloppe est fabriquée par Surcouf à Billancourt, fait des essais en vol au dessus des glacières, les Boucher sortent leur appareil photo. Ils ont sûrement fréquenté le marché et l’église (un prêtre figure parmi leurs connaissances), traversé la place Nationale (Jules Guesde), peut-être aussi fréquenté l’école de la rue de Clamart. Se sont-ils approvisionnés aux glacières ? Ont-ils déambulé, aux beaux jours, sur les berges herbeuses de la Seine ? On ne peut que l’imaginer.

Un certain « M. Boucher » figure dans la liste des personnes remerciées pour leur contribution par l’historien Penel-Beaufin dans son « Histoire de Boulogne » paru en 1905. Est-ce notre Louis Boucher ?

Louis meurt prématurément

Louis meurt en janvier 1901, dans l’Indre. Il n’a que 53 ans. Jeanne se retrouve jeune veuve avec ses cinq enfants à charge dont l’ainé, Auguste, n’a que 18 ans.

Vente villa Boucher Le Monde Illustré 6 janvier 1902
Le Monde Illustré 6 janvier 1902

Au vu d’une petite annonce de janvier 1902, il semble qu’elle cherche à vendre Billancourt, mais elle change d’avis.

Elle prend la direction de l’affaire familiale Au Ver à Soie et y associe Auguste puis Robert et Jean.

Jeanne a laissé la mémoire d’une femme de caractère, une des premières femmes dans les affaires. Il n’est pas rare qu’on vienne la solliciter pour trancher un différend et ses avis sont très écoutés.

Le fils aîné, Auguste, s’éprend d’une voisine : Berthe est la fille de Victor Riethe,  président de l’Association des Pharmaciens de France entre 1898 et 1905. Sa maison existe toujours au 243 boulevard Jean-Jaurès, à côté du bureau de poste. C’est également une famille originaire du nord.

Ils se marient en 1905 à Neuilly/Seine, mais ne déménagent pas pour autant. De leur union naissent deux enfants. Louis nait à Billancourt en 1906 et reprend le prénom de son grand-père. Jacques voit le jour en 1913. Dans les archives familiales figurent ces magnifiques autochromes, un procédé tout récent commercialisé par les frères Lumière :

Le patriarche n’étant plus là, c’est probablement leur père Auguste qui est derrière l’objectif. Le goût pour la photo semble héréditaire.

Les recensements nous apprennent qu’Auguste et Berthe continueront à vivre au 113 rue du Point du Jour avec leur mère, jusqu’à la seconde guerre mondiale. Au passage on remarque, au recensement de 1910, les noms d’Augustine Allard, une femme de chambre qui restera à leur service durant au moins 35 ans et de Marie Bournot, la mère de Jeanne.

Recensement 1910 113 rue du PdJ

En juin 1914, c’est au tour d’Emilie, la seule fille, de se marier. Elle épouse à Pléneuf (Val André), près de Saint Brieuc, un pharmacien Boulonnais, Henri Peltier.

Tués à l’ennemi

En 1914, Robert devait partir aux Etats-Unis pour créer une succursale lorsque la première guerre mondiale éclate. Il est mobilisé, ainsi que son petit frère, Jean. Marcel, contre sa volonté, n’est pas appelé, en raison d’une grave maladie.

Memorial de Verdun
Memorial de Verdun

Il ne reverront jamais Billancourt.

Le 6 septembre 1914, deux mois seulement après la déclaration de guerre, Robert tombe au champ d’honneur à Sommaisne, dans la Meuse, à l’âge de 25 ans. Ces combats de trois jours sont parvenus à bloquer l’avance ennemie.

Il était sergent au 54e régiment d’infanterie.

Deux ans plus tard, c’est au tour de Jean, caporal au 367e régiment d’infanterie; il est tué à l’ennemi le 8 septembre 1916 à Vaux Chapitre durant la terrible bataille de Verdun qui fait 700 000 victimes. Il n’a que 20 ans ! Ces restes sont conservés dans l’ossuaire de Douaumont.

mort de Jean 1916 - Ministère des armées
mort de Jean 1916 – Ministère des armées

On imagine la douleur de Jeanne, déjà veuve, perdant coup sur coup ses deux jeunes enfants. Heureusement, elle n’est pas seule : Marcel, Auguste, Berthe et ses petits enfants l’aident à surmonter son deuil.

A suivre

Et c’est une autre guerre qui bouleversera à jamais le destin de la belle villa du 113 rue du Point du Jour. Lors de la soirée du 3 mars 1942, 461 tonnes de bombes vont s’abattre sur la ville. Mais c’est une autre histoire que nous racontons dans l’article « La Terrible fin de la villa Boucher« . Et, oui, nous avons aussi des photos.

5 Replies to “La famille Boucher à Billancourt”

  1. Merci pour ces passionnantes archives retrouvées et mises en valeur pour notre plus grande curiosité.
    Mes meilleurs vœux pour vous et votre famille… vous « le Michelet de Billancourt » !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire