C’était le tout dernier tramway à cheval de toute la région parisienne et l’ancêtre du 123. Au tournant du XXe siècle, ce moyen de transport pittoresque arpentait le boulevard de Strasbourg (Jean Jaurès) depuis l’église jusqu’aux Moulineaux et retour. Les boulonnais le surnommaient affectueusement « la tortue » ou « l’aquarium ». Mise en service en 1880 par la Compagnie Générale des Omnibus, la ligne TR perdura jusqu’en 1912.


Nous n’avions pas beaucoup plus d’information à son sujet, jusqu’à il y a quelques jours, où une lectrice nous envoie un extrait des mémoires de son grand-père. Dans ce texte, rédigé à la fin des années 1950, il nous raconte ce que c’était que de voyager dans ce tramway. C’est le genre d’email que nous aimons recevoir, au Village.

« Un tramway lent et minuscule »
Alphonse-Auguste Seillier, né en septembre 1882. Jeune homme, au début du XXe siècle, il se rend tous les jours du 17ème arrondissement jusqu’à Meudon, à l’Etablissement Central d’Aérostation Militaire* où il est employé. Décrivant son trajet quotidien, il écrit :
« …À Auteuil, je prenais, pour 0,10 F, sur l’impériale, le tramway à air comprimé allant à Saint-Cloud mais que je quittais à l’Eglise de Boulogne. A cet endroit, je montais dans un tout petit tramway traîné par un seul cheval lequel était conduit par un vieux cocher. Celui-ci était coiffé d’un chapeau en toile cirée noire à bords et fond plat ; il portait une grande houppelande à boutons argentés ; il se tenait debout sur la plate-forme pour conduire. «
« À chaque arrêt, il percevait lui-même le prix des places qui était de 0,10 F pour les places assises (à l’intérieur) et de 0,05 F pour les places debout (sur les deux plates-formes, une avant, une arrière). Ce tramway, lent et minuscule, traversait Boulogne qui, sur la plus grande partie de son trajet (aujourd’hui boulevard Jean Jaurès) n’était bordé que d’immenses terrains vagues, les usines d’automobiles Renault n’existaient pas dans leur superficie actuelle et ne nécessitaient pas les très nombreuses maisons de locataires que nous y voyons aujourd’hui. «
« Puis ce véhicule franchissait le pont de Billancourt au bout duquel se trouvait, sur le territoire du Bas-Meudon, son terminus. Comme ce tramway n’avait pour vitesse que celle du trot de son unique cheval, plusieurs voyageurs montaient ou descendaient très aisément en marche. Alors, si la tête d’un client était inconnue du cocher, celui-ci, craignant les « resquilleurs », arrêtait son cheval, serrait le frein et allait percevoir le prix de la place du nouvel arrivant ce qui n’abrégeait pas le temps du parcours. Enfin, cahin-caha, nous arrivions en retard au terminus.«

Les intervalles entre chaque départ étaient de 30 minutes et la durée de parcours de 20 minutes…en théorie.
On raconte que le cheval était tellement habitué qu’il s’arrêtait tout seul aux stations, permettant au cocher de faire son travail de contrôle. Allez faire ça avec un bus !
A la recherche de la « tortue »
Comme vous, nous aurions aimé, au moins une fois, monter sur sa plateforme, juste pour voir. C’est pourquoi nous sommes partis à sa recherche. Nous avons trouvé des images dans les archives municipales, départementales, les sites de cartes postales et de photos anciennes. Elles illustrent cet article.
Le petit tramway se fait parfois discret et il faut le débusquer. Saurez-vous le trouver sur ces photos ?




Peut-être avez-vous d’autres photos au fond de vos tiroirs ? Nous serions plus qu’heureux de les publier.

En 1912, la ligne TR est électrifiée et le dernier cheval peut prendre sa retraite. C’était le dernier tramway hippomobile de la région parisienne. En 1921, la Société des Transports en Commun de la Région Parisienne reprend la ligne, l’étend jusqu’à la porte d’Auteuil et la rebaptise ligne 23.
Après la seconde guerre mondiale, la ligne est étendue jusqu’à la mairie d’Issy et renumérotée ligne 123. C’est l’époque de la nationalisation et de la création de la RATP.
C’est l’emblématique ligne 123 que nous connaissons aujourd’hui, ce trait d’union entre Boulogne et Billancourt, qui dessert, d’un bout à l’autre, notre grande avenue commerciale . Qui ne l’a jamais emprunté ?
* Le dernier vestige de l’aventure de l’aérostation à Meudon est le hangar Y, en lisière de forêt. Un ancien hangar à dirigeables réhabilité tout récemment.



Bien aimé la description du « vieux cocher » qui faisait aussi le travail de contrôleur. Sans oublier ce cheval intelligent qui connaissait les arrêts. Merci à Mr Sellier d’avoir écrit son trajet.
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