« Nous sommes en 1962 après Jésus-Christ. Tout Billancourt est occupé… Tout ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles gaulois résiste toujours à l’envahisseur ».
L’extrait de la photo aérienne de Roger Henrard, ci-dessus, est fascinant ! Regardez bien, il nous montre un petit groupe d’immeubles se serrant les coudes, au milieu d’une mer de toitures de l’usine Renault. Un petit reste du Billancourt d’antan noyé au milieu d’ateliers géants. Au village de Billancourt, nous n’avons pas hésité longtemps avant de lui donner un surnom : le « village gaulois ». Qui donc habitait dans cet environnement ?

Ils sont cinq immeubles, au croisement des rues actuelles Émile Zola et Yves Kermen. Il est bien difficile a priori de reconnaître l’endroit. Grâce à la photo ci-dessous, on peut se repérer par rapport à la place Jules Guesde et l’immeuble de la brasserie BBRose (visibles en bas à droite).

Neuf bistrots
Au début du XXe siècle, alors que Renault est encore une petite société, ce coin de rue avait le nez dans la verdure, comme en témoigne la photo ci-dessous. D’élégantes demeures bourgeoises entourées d’un parc, donnaient également sur ce carrefour, comme la villa Fountaine ou la villa Aussillous, que nous avons redécouvertes, souvenez-vous.

Après la guerre de 1914-1918, Renault est devenu un géant industriel et le quartier est brutalement recouvert d’ateliers.

Dans les années 30, on trouve dans l’annuaire, à ce coin de rue, pas moins de neuf marchands de vin (bistrots) ! Ils ont pour nom, côté avenue Émile Zola : Vergne (n°31), Vilar (n°33), Joseph Cabiron (n°35) et Viguier (n°37) et, côté rue de Saint-Cloud (Yves Kermen) : Prosper (n°59), Adrien Faré (n°61), Pénin (n°63) et Chanteloup (n°65). Les deux derniers étaient auparavant marchands de beurre et de fruits, on s’adapte à la nouvelle population ouvrière.
Le propriétaire de l’immeuble qui fait le coin (n°59) s’appelle Antoine Teulade. Juste à côté, se tient l’immeuble d’Adrien Faré (n°61) et son restaurant à la devanture art-déco.


Dans ce coin de rue, on recense, en 1936, près de 200 résidents, vivant dans les étages, au milieu du vacarme et des odeurs de l’usine. Ce sont pour la plupart des ouvriers avec leur famille ; ils travaillent pour Renault, mais aussi pour Farman ou Salmson.

Surprise : parmi eux, on trouve le nom d’un certain Yves Kermen, ajusteur et syndicaliste CGT chez Renault. Dans ces années agitées du front populaire et de grands mouvements sociaux, ce militant communiste est membre du comité central de grève qui décrète l’occupation de l’usine en 1936. Il deviendra résistant durant la seconde guerre mondiale, sera arrêté et fusillé au Mont Valérien. La municipalité baptisera la rue Yves Kermen à sa mémoire dès 1944.
Photo – Yves Kermen durant son procès.
Au recensement de 1946, le « village gaulois » compte toujours autant de résidents, ce qui laisse à penser que les immeubles ont été préservés des bombardements alliés.
Pourquoi ces immeubles n’ont-ils pas été absorbés par Renault ? Ce n’est guère dans ses habitudes. Et si Renault avait trouvé avantage à garder ces restaurants à proximité, pour ses employés? Il y a beaucoup d’ouvriers à nourrir chez Renault.

Encore là dans les années 1980
Paradoxalement, si le « village gaulois » a résisté à l’invasion de Renault, et aux bombardements alliés, il n’a pas survécu au départ de l’industriel. Le bloc d’immeubles était encore là dans les années 1980. Il est réduit à quelques immeubles dans les années 1990 et est détruit totalement, dans les années 2000. Il n’était pas probablement pas compatible avec les projets d’aménagement du trapèze.

Et qui se souvent qu’en 2008 il y avait, à cet endroit, le pavillon d’informations « Ile Seguin Rives de Seine »? Il a été transféré sur l’île, un peu plus tard, avant de terminer au « Pavillon des Projets ».

Au coin de la rue on trouve, aujourd’hui, cet immeuble moderne vitré avec son élégant surplomb. Il abrite le siège social de BeIN Sports, diffuseur télé bien connu des amateurs de football.




