En 1826, il n’y avait pas grand monde à Billancourt. Gourcuff était seul propriétaire de l’immense domaine de la ferme de Billancourt et venait de découper les 70 hectares de terrains pour les proposer à la vente sous le nom de « village de Billancourt ». Huit ans après, sur son plan promotionnel de 1834, on peut voir que le succès n’est pas au rendez-vous. Quelques terrains ont trouvé acquéreur, non loin de la route du Vieux pont-de-Sèvres (« ancienne route de Sèvres », sur le plan). La ferme y est représentée à proximité de ce qui ne s’appelle pas encore Place Jules Guesde. Mais ce qui a attiré notre attention, c’est une grande propriété de l’autre côté de la place, sur l’actuelle rue du Point-du-Jour, au niveau des numéros 117-119.

Elle est presque aussi vaste que la ferme. Ses terrains s’étendent sur plus de deux hectares. Ils portent plusieurs bâtiments groupés le long de la rue et ce qui semble être des jardins ou terrains paysagers.
Ces bâtiments n’existaient pas sur le cadastre de 1823 et sont donc probablement bâtis par un nouvel acquéreur. On peut les voir sur les cadastres successifs de 1842 et 1860.

Sur le cadastre de 1905 la propriété est traversée par la rue Heinrich, percée depuis, ce qui suggère que les terrains ont été divisés entre-temps. On sait, de plus, qu’ils ont été remis en vente par le Comptoir Naud, le grand promoteur de l’époque à Billancourt.

A-t-on des photographies de ce bâtiment, parmi les plus anciens de Billancourt ? le Village de Billancourt a enquêté et en a retrouvé.
La première vue, ci-dessous, est une carte postale prise vers 1900, de mauvaise qualité, prise en hauteur, place Nationale (Jules Guesde). L’angle de vue est médiocre et lointain mais on distingue, rue du Point-du-Jour, un grand ensemble complexe de bâtiments bas, avec plusieurs hauteurs de toiture et qui se termine par un muret. C’est bien lui. On voit également, derrière le restaurant à droite, que la propriété est couverte d’arbres.
Il faut l’imaginer en 1834 isolé au milieu des champs et des prés, au bord de ce qui était alors une route.

Plus nette, cette vue aérienne de 1925 nous montre, tout au bord de la photo, l’organisation d’une partie des bâtiments et une cour. C’est la photo la plus récente dont nous disposons. Elle est incomplète et ne nous offre, hélas, aucun détail des façades.

Le bâtiment était situé en face de l’Artistic Palace et de l’hôtel Solférino, abondamment photographiés entre 1900 et 1930, peut-être un photographe a-t-il eu l’idée de tourner son appareil ? Oui et non. C’est depuis la rue d’Issy et dans l’alignement de la rue de Solférino, une photo également lointaine, que nous apparaît enfin la façade du bâtiment avec le plus de détail.

Ce n’est pas un palace qui s’offre à nos yeux, ni un élégant manoir, mais ce qui ressemble bien à une ferme, peut-être une grange ou une remise, avec une porte cochère. Il a tout l’aspect d’un bâtiment à vocation agricole. Qu’en pensez-vous ?
Avons-nous trouvé une deuxième grande ferme à Billancourt ? Est-ce la dernière exploitation agricole de la plaine ? Pour nous c’est bien probable. Bien sûr, il faudrait maintenant fouiller aux archives, espérer trouver des plans, des descriptions, pour avancer sur ce sujet. Et qui étaient ceux qui y vivaient, qui y travaillaient ?
Le destin de cette « ferme » sera semblable à celui de beaucoup d’autres bâtiments du quartier : Louis Renault rachètera le terrain pour installer ses œuvres sociales durant la première guerre mondiale. Il y fera bâtir des réfectoires et une coopérative pour ses ouvriers. Il conservera toutefois quelques années une partie du bâtiment d’origine (celle qu’on voit sur la dernière photo) qui sera détruite avant 1932. Il ne restera alors plus aucune trace du bâtiment de 1834.
Le terrain sera ensuite divisé, Renault en gardera une partie, le 119, qu’il conserve encore aujourd’hui et cédera l’autre partie, le 117, qui verra la construction du collège du Point-du-Jour. Après la destruction du collège en 2000, la rue Nina Berberova sera percée et un grand ensemble de logements modernes sortira de terre en 2005 (depuis lequel votre serviteur a l’honneur de vous écrire).

Situation au 23 septembre 2020 : à la suite de la découverte de nouveaux documents, le mystère est levé. Il s’agit bien d’une ferme : la ferme Delaguepierre, du nom d’un propriétaire, et dans laquelle a résidé Mme veuve Heinrich, qui a donné son nom à la rue Heinrich. Un nouveau post est en préparation et qui en dira davantage..
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